Tunisie/ 8 Mars : Entre régression et espérances, le combat pour l’égalité Homme/ Femme continue (Témoignages)

08-03-2022

Ce 8 mars marque la date de la Journée internationale des droits des femmes. Chaque année, cette initiative officialisée par les Nations Unies en 1977 met en lumière les inégalités entre les femmes et les hommes, chiffres à l’appui… 

D’après l’Observatoire des inégalités, sur le 1.3 milliards de personnes vivant sous le seuil de pauvreté à travers le monde,  70 % sont des femmes. Une femme sur 3 est victime de violences physiques. Les femmes produisent aussi 50% de notre alimentation, mais 10% seulement sont propriétaires des terres…

En Tunisie, les femmes sont souvent confrontées à des niveaux élevés de violence.

Selon une enquête du ministère de la Femme publiée en 2021, au moins 47 % des femmes ont été victimes de violence domestique au cours de leur vie. Ce chiffre a été multiplié par 7 durant la pandémie du Covid-19.  Par ailleurs, 67% des jeunes diplômés en Tunisie sont des femmes, en revanche 26% de ces dernières sont actives. Et dans 800 000 PME tunisiennes, 10.7% sont cheffes d’entreprises dans le pays…

Tant d’inégalités sociales basées sur le genre, qui traduisent une dichotomie entre les acquis des Tunisiennes en matière de droits et de libertés garantis par la constitution, et l’impossibilité de leurs applications en réalité.

En effet, les conditions socio-économiques des femmes en Tunisie témoignent d’une véritable régression, ont répondu unanimement des femmes de différents horizons et des militantes de la société civile.  Quelles en sont les raisons ?  Reportage.

D’après la présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), Neila Zoghlami, « cette date ne fête pas les droits et libertés acquis mais, rappelle le chemin qui reste à faire pour réaliser une égalité complète entre les deux sexes ».

intervenue à une conférence de presse intitulée « Lettre de l’ATFD à l’opinion publique nationale, régionale et internationale »,  organisée à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, elle est revenue sur le combat de la société civile mené contre les forces obscurantistes, ayant appelé à mettre en place ce principe de complémentarité dans la constitution de 2014, « sous prétexte que les femmes sont des citoyennes de seconde classe, ou que leur citoyenneté est limitée à la sphère publique, puisque chaque femme devient sous la tutelle de son « tuteur masculin » au sein de la famille. »

La présidente de l’ATFD a aussi rappelé que les Tunisiennes ont été confrontées à un nombre considérable de « fatwas » sur les droits des femmes, dont certains ont même osé remettre en question leur humanité.

« Malgré cela, nous avons obtenu un certain nombre d’avancées, à commencer par les circulaires 88 et 89, la levée des réserves à la Convention internationale sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes et l’inclusion de la parité dans la loi électorale, en passant par la « bataille » de la constitution et la manipulation de la terminologie utilisée au sujet de l’intégration et l’exclusion des femmes de l’égalité, de la dignité et de la citoyenneté effective, jusqu’à la loi fondamentale 58-2017 relative à l’élimination des violences faites aux femmes et la suppression de la circulaire interdisant le mariage des femmes musulmanes avec des non-musulmans et préconisant la ratification de la loi 37-2021 relative à la protection des travailleuses domestiques ».

D’après la présidente de l’ATFD, ces acquis n’ont pourtant pu protéger les citoyennes des agressions quotidiennes et des atteintes flagrantes à leurs droits, insultant ainsi leur dignité, les exploitant et les excluant de divers secteurs professionnels…S’y ajoute, l’atrocité des crimes commis contre elles, ayant atteint les formes les plus extrêmes d’abus, viols et de meurtre, ces dernières années…

A cet égard, l’universitaire et la militante pour les droits de l’Homme, Pr.Hafidha Chekir, intervenue lors du même évènement, a souligné l’incapacité des autorités officielles, de faire face à ce fléau qui met en péril la sécurité des femmes.

« L’Etat a bien en recours à l’aide des associations spécialisées dans ce domaine, car l’élimination des violences faites aux femmes nécessite des efforts concertés et une multiplicité d’interventions, que ce soit au niveau de la prévention ou de la protection, ou dans la traque des agresseurs ».

D’après Pr.Hafidha Chekir, en l’absence d’une stratégie nationale soutenue par une volonté politique sérieuse, le sexisme demeure, le tremplin qui donne aux hommes un pouvoir absolu et supérieur pour disposer, contrôler et même posséder le corps des femmes.

La militante estime aussi qu’il est nécessaire de préserver le tissu associatif concerné par la lutte contre la violence et la défense des droits des femmes. Elle recommande de retirer la révision du décret 88-2011 dans ces circonstances exceptionnelles, tout en prenant toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre la loi fondamentale 58-2017 et allouer les budgets nécessaires à permettre à toutes les parties de disposer de moyens visibles de résistance à la violence et d’y faire face efficacement…

La violence à l’égard des femmes, la plus grande menace

Dans un entretien accordé à Gnetnews, l’écrivaine, romancière et « poétesse », Hend Bouaziz, est revenue sur la distance qui existe entre les lois qui garantissent l’égalité homme femme, dans notre société et leur mise en pratique. « Avec la hausse du taux de violence en Tunisie, on peut croire que les acquis des Tunisiennes sont menacés », constate-t-elle.

Avec les agressions qui se multiplient à leur encontre, qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques ou économiques, l’écrivaine constate que le frein pour l’évolution des conditions des femmes tunisiennes, est social voire culturel…

Le regard sexiste posé sur les femmes, les expose plus aux tabous sociaux, par rapport aux hommes. La manière dont elles sont perçues par l’homme l’infériorise, pourtant les Tunisiennes représentent quasiment la moitié de la population. Les femmes sont aussi les épouses, mères, et collègues…Mais rien de tout ça, n’a été reconnu par la société quand on voit tant de discrimination et de violences à leur égard », déplore-t-elle.

En l’interrogeant sur les raisons derrière ces inégalités, Hend Bouaziz a dénoncé l’éducation des filles dans nos sociétés conservatrices, qui est selon elle,  responsable de la normalisation des discriminations basées sur le genre.

« Comme le système de tutelle qui renforce le pouvoir de contrôle des hommes sur la vie et sur les décisions des femmes, cette mentalité est susceptible d’encourager les violences et  rendre plus vulnérables les femmes, et plus dépendantes économiquement. La question de la complémentarité demeure malheureusement ancrée dans nos sociétés, », constate-t-elle.

D’un autre point de vue, la coach Jouda Jaffel, spécialisée dans  le Woman Empowering, a souligné que les femmes subissent des pressions sociales de tout genre, sont privées de reconnaissance de leurs efforts quotidiens, pourtant elles exercent le double des tâches effectuées par un homme. Malgré cela, elles gèrent leurs domiciles, familles, enfants et partenaires, en plus de leur travail, plusieurs se sous estiment, en acceptant l’inacceptable parfois…C’est aussi la mentalité du sacrifice, du compromis éduqué à la gente féminine dès l’enfance qui les empêche de rejeter les agressions, et d’accepter d’être infériorisée, nous explique-t-elle.

D’après la coach Jouda Jaffel, ce fléau gagne de plus en plus de terrain dans nos sociétés. « Il est donc recommandé de croire en ses capacités en tant que femme, de fuir toute personne qui pourrait menacer son intégrité physique, ou susceptible de mettre sa santé mentale en péril. La clé est aussi de prendre conscience de sa valeur en tant qu’humain, libre, qui se respecte et qui refuse toute forme d’aliénation », a-t-elle conclu. 

Emna Bhira