Tunisie/ Education : Les deux principales raisons derrière le rejet d’un retour aux enseignements continus

16-02-2021

La suspension du système d’enseignement par groupe dans les écoles publiques, est envisageable dans les semaines qui suivent, a déclaré le ministre de l’Education Fethi Sellaouti, lors de son audition par la commission de la jeunesse, des affaires culturelles, de l’éducation et de la recherche scientifique à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).

Les réactions du syndicat national de l’éducation, enseignants et parents sont mitigées, entre ceux qui appellent à un retour à la normale, et ceux qui semblent réticents à cause de l’absence du protocole sanitaire dans les écoles. 

Une chose est sûre, c’est que la situation sanitaire est toujours inquiétante en milieu scolaire. D’après le dernier bilan sanitaire publié par le ministère de l’éducation le 12 février 2021, 7525 contaminations et 39 décès ont été enregistrés depuis le début de la pandémie, parmi les élèves, enseignants et corps administratif.

A cet effet, le secrétaire générale du syndicat de l’enseignement secondaire, Lassaad Yaacoubi, a souligné que les conditions épidémiologiques n’encouragent pas à la suspension du système d’enseignement par groupe, soulignant que  les chiffres annoncés par le ministère de la Santé se contredisent avec les chiffres de l’OMS.  Selon l’Organisation mondiale de la santé, la situation épidémiologique est toujours préoccupante en Tunisie.

Plusieurs enseignants confirment les propos du SG du syndicat. Habib Rouis, professeur de philosophie au lycée Menzeh 6,   nous a révélé que le nombre cas positifs dans les écoles est toujours en hausse, d’où l’augmentation du taux d’absentéisme des élèves.

« Plusieurs élèves sont contaminés et ne déclarent pas qu’ils sont positifs, ce qui fausse les résultats affichés dans le bilan du ministère de la santé. Ce nombre est de loin plus important », nous confie-t-il.

Avec la reprise du rythme habituel des cours, le risque sera plus grand, notamment pour les personnes âgées et les malades chroniques parmi les enseignants, a jouté Pr. Habib Rouis.

Pour lui, au lieu de reprendre le volume horaire habituel après les efforts titanesques des profs qui y ont adapté leurs cours,  il faudrait repenser les méthodes pédagogiques archaïques, qui ne sont plus en phase avec les technologies d’apprentissage et d’enseignement. Ce professeur du secondaire recommande de développer les capacités des enseignants, afin d’améliorer leur rendement ainsi que celui des élèves démotivés en cette période de crise ». Selon lui, ce contexte doit être une opportunité pour réformer le système éducatif défaillant, à l’origine de la régression du niveau scolaire des élèves, et cela depuis des années…

Une méthode positive

Une autre institutrice de l’école primaire au Menzeh 6, Aida  Mehrez s’est préoccupée des répercussions qu’il y aura sur les cours que les enseignants ont pris du temps à élaborer, en l’adaptant à ce programme allégé, soumis aux enseignants depuis le 26 octobre dernier. Il concerne tous les niveaux, du primaire au lycée. D’après le département, aucune matière n’a été annulée.

Cette institutrice  a exprimé son inquiétude par rapport à la possibilité de suspendre l’enseignement par groupe, qui engendrera  selon elle, un décalage entre le nombre des cours et celui des séances qui leur sont consacrés…  « Les enseignants seront contraints de finir ce programme scolaire avant la fin de l’année scolaire », indique-t-elle.

En effet, le retour à la normale suscite plusieurs interrogations. Dans un entretien accordé à Gnetnews, Pr. Taher Mathlouli, inspecteur général de l’éducation, explique la démarche à adopter en cas de suspension de l’enseignement par groupe.

Une telle décision dépend tout d’abord de l’évaluation de la situation épidémiologique par le comité scientifique, et le ministère de la santé. « Cette décision ne sera applicable que si les indicateurs sanitaires seront positifs et qu’après une concertation avec toutes les parties prenantes… », rassure-t-il. « Entre temps, le protocole sanitaire est à maintenir, réduction du nombre des élèves par classe,  gestes barrières, distanciation sociale, aération des salles…sont des mesures à appliquer rigoureusement ».

S’agissant du programme scolaire allégé décrété depuis le 26 octobre 2020,  et son impact sur le niveau des élèves, l’inspecteur général de l’éducation nous a expliqué qu’il ne s’agit pas d’un allégement du contenu des cours, mais d’une adaptation du programme au nouveau volume horaire consacré à l’apprentissage.

Concernant la  possibilité de reprendre le programme scolaire habituel, Taher Mathlouthi a rassuré que les cours élaborés par les enseignants pour cette année, se maintiendront, puisqu’ils se basent sur une démarche didactique et pédagogique structurée, dédiée spécialement aux élèves en cette période critique…

« Il s’agit d’une méthode positive de l’enseignement qui permet à l’élève d’évoluer à son rythme, notamment avec les jours de repos dont il bénéficie. Grace à cela, les enseignants parviennent également à repérer plus facilement les difficultés de ces derniers lors du cours, afin de les aider et de consolider leurs acquis. »

Un risque de contamination élevé

D’autre part, plusieurs parents s’inquiètent d’un tel retour à la normale. C’est le cas de Cyrine, une jeune maman d’une élève de 9 ans, inscrite  dans une école publique à Hammamet.

« Sachant qu’une classe compte à peu près une quarantaine d’élèves, et que les enfants sont dans la plupart des cas des porteurs sains, le risque augmentera notamment pour les enseignants. Le plus important, c’est que le ministère de l’Education mette en place un protocole sanitaire plus rigoureux. Sinon, nous serons contraints de jeter nos enfants dans la gueule du loup », déplore-t-elle.

La situation est aussi préoccupante pour les parents dont les enfants étudient dans des écoles privées. Tarek, un parent d’élève du lycée français Pierre Mendes France (Tunis), nous a révélé que tous les moyens sont déployés dans cet établissement, pour mettre en place un protocole sanitaire rigoureux.

Mais pour lui, sans la baisse du nombre des élèves par classe, le risque demeure important. « Malgré l’existence du gel désinfectant à volonté, le port du masque obligatoire tout le long de la journée, et l’interdiction d’utiliser les affaires, cahiers, stylo d’autrui, ainsi que la désinfection quotidienne des classes, toilettes, poignets, tables et chaises, la ventilation naturelle également, la prise de température à l’entrée…En plus de la limitation des brassages entre élèves…l’inquiétude persiste, et rien ne semble pouvoir réduire le stress des parents…».

Emna Bhira