Tunisie / Maroc : Les dessous d’une crise diplomatique inédite (Analyse d’un politologue)

31-08-2022

En accueillant officiellement le chef du Front Polisario, Ibrahim Ghali lors de la TICAD 8 organisée le week-end dernier à Tunis, la Tunisie s’est attirée les foudres de la diplomatie marocaine dans le dossier brûlant du Sahara Occidental qui oppose le Maroc et l’Algérie depuis 60 ans.

Le résultat étant, le boycott par le Maroc de la TICAD, le rappel de l’ambassadeur du Maroc à Tunis et dans la foulée celui de Tunis à Rabat. Une crise diplomatique sans précédent entre la Tunisie et le Royaume marocain dont les relations d’amitié et de fraternité sont historiques.

Véritable lynchage médiatique du côté marocain et incompréhension chez les Tunisiens, cette affaire ne cesse d’alimenter les débats.

Quelles sont les clés de lecture de cette crise ? Qu’est ce qui a poussé la diplomatie tunisienne à changer sa position de neutralité  vis à vis du Sahara Occidental ? Analyse avec Hamza Meddeb, politologue.

 Contexte et neutralité historique

La rivalité entre le Maroc et l’Algérie sur la question du Sahara occidental constitue encore aujourd’hui, une question plus que délicate dans le paysage géopolitique maghrébin, et plus largement mondial.

Un conflit vieux de 60 ans, auquel aucune sortie de crise n’a été trouvé, rythmé par des phases de tension et d’apaisement. Cette région ne dispose toujours pas, à ce jour, d’un statut définitif sur le plan juridique, laissant les deux pays revendiquer cette partie de désert, situé sur la côte Atlantique, au carrefour de trois Etats.

De son côté, la Tunisie a historiquement toujours essayé de maintenir une position de neutralité en ayant un rôle de locomotive de la construction de l’Union du Maghreb Uni, dont les pouvoirs et les décisions sont quasiment inexistantes en raison des tensions entre le Maroc et l’Algérie.

D’après Hamza Meddeb, la Tunisie ne peut pas jouer le rôle de médiateur. « Ce dossier du Sahara Occidental a toujours été chapeauté par les Nation Unies car il va bien au delà des capacités diplomatiques de la Tunisie et des ambitions de la Tunisie, si on considère qu’elle ait des ambitions à jouer ce rôle de médiation », explique-t-il.

Hamza Meddeb / Politologue

La Tunisie a toujours appelé à l’unité, à la construction du grand Maghreb arabe, à la fraternité, au dialogue. Une situation qui n’est pas facile à tenir mais qui jusque là n’a jamais été remise en question. « De Habib Bourguiba à Beji Caïed Essebsi, la position de la diplomatie tunisienne n’a jamais varié sur ce dossier là. Il est important de rappeler que l’Algérie est extrêmement importante pour la Tunisie du point de vue sécuritaire, économique, énergétique… Et le Maroc est un voisin avec qui nous avons une longue histoire basée sur l’amitié et la fraternité», souligne Meddeb.

Rappelons à cet égard, la position du Roi Hassan II en 1980 au moment de l’attaque de Gafsa quand il a proposé son aide à Bourguiba. Hassan II avait dit cette phrase hautement symbolique « La Tunisie ne disparaîtra jamais car la Tunisie est avant tout un peuple », montrant l’attachement fraternel entre les deux nations, rappel l’expert.

Autre fait marquant, celui des émeutes anti-colonisation survenues à Casablanca après l’assassinat de Farhat Hached, qui a par la suite donné son nom à une grande avenue à  Casa.

« Nous n’avons pas les mêmes relations économique qu’avec l’Algérie. Nous sommes même plutôt en compétition avec le Maroc, notamment sur la question du tourisme… Mais il y a des relations humaines qui  les transcendent. Aujourd’hui il y a beaucoup d’étudiants tunisiens au Maroc, des banques marocaines en Tunisie, etc », précise Hamza Meddeb.

Couac ou volonté de changement ?

Aux vues des éléments énoncés plus haut, il est indéniable de penser que l’attitude de la Tunisie  vis à vis de l’accueil d’Ibrahim Ghali à Tunis lors du TICAD, est en décalage avec sa position historique. La venue de Ghali aurait-elle pu passer inaperçue si le président tunisien ne l’avait pas accueilli en grande pompe ?

« Le communiqué sur la page Facebook de la présidence nous fait sentir un certain embarras dans son entourage, car il a juste été mentionné l’accueil de Ibrahim Ghali par le Chef de l’Etat sans mentionner sa fonction du chef du front Polisario », note le politologue.

La question reste à savoir qui a invité le leader de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) ? D’après le ministère des Affaires étrangère tunisien, l’invitation a été adressée par l’Union Africaine. Cependant, Macky Sall, président du Sénégal et de l’UA a regretté l’absence du Maroc à Tunis lors de la conférence. A qui donc la faute ?

La Maroc fait de la question du Sahara Occidental un élément fondamental de sa politique étrangère. C’est un dossier brûlant au Royaume, donc il ne faut pas s’étonner de sa réaction.  Par ailleurs, on se trompe beaucoup sur ce dossier en considérant que la question du Sahara Occidental est uniquement un problème de régime. Il y a réellement un attachement du peuple marocain au Sahara comme faisant partie du territoire marocain. Cela va de la légitimité du régime…c’est pour cela que ce dossier du Sahara Occidental a autant d’impact au Maroc, plus qu’en Algérie. « L’Algérie joue sa  légitimité sur autre chose que sur le dossier du Sahara », analyse Hamza Meddeb.

En effet, ce n’est pas la première fois que le Maroc remette en question ses relations diplomatique avec d’autres pays en raison de positions ambiguës sur le Sahara Occidental. Rappelons récemment la crise avec l’Espagne, qui a été désamorcée in-extremis et celle avec l’Allemagne qui a duré plus d’un an.

Intérêts économiques avec l’Algérie

Par ailleurs, Hamza Meddeb explique que depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les pays exportateurs de gaz, profitent de la situation pour faire bouger les rapports de force.

« L’Algérie montre qu’elle a une carte qu’elle peut utiliser vis a vis des voisins pour exercer une pression réelle sur leur position vis a vis du dossier du Sahara Occidental », nous dit-il.

Qu’est ce qui a poussé le pouvoir tunisien à remettre en cause la neutralité tunisienne? « Kaïs Saïed voit que l’Algérie fournit du gaz, il y a aussi cette aide sous forme de dépôt à la Banque centrale de Tunisie émise par Alger. Il faut savoir qu’aujourd’hui que le pouvoir agit dans un contexte économiquement et énergiquement  compliqué pour la Tunisie. Ses prédécesseurs avaient les mêmes intérêts, mais il n’étaient pas dans une situation aussi fragile. C’est cette fragilité qui l’a sans doute  poussé à se rapprocher de la position algérienne, même si aucune annonce n’a été faite quant au soutien officiel de la Tunisie à l’Algérie sur la question du Sahara Occidental », poursuit Meddeb.

Pour le moment, on ne peut pas encore dire jusqu’où ce conflit diplomatique peut aller. Il faudra attendre les signaux diplomatiques qui viennent de Tunis.

Qui dessine la politique étrangère de la Tunisie ?

Par ailleurs, cette affaire nous pousse a nous interroger  sur qui dessine la politique étrangère de la Tunisie. Selon Meddeb, dans la majorité des pays du monde, la politique étrangère est le résultat de compromis, d’accords, d’intérêts stratégiques définis par des institutions qui régissent le pays « Le drame pour la Tunisie ce serait que la stratégie en termes de politique étrangère ne soit régie que par un seul homme. Dans les grandes nations, il existe de hauts conseils dédiés à la politique étrangère qui définissent les orientations stratégiques », souligne Hamza Meddeb.

Peut-être est-il encore tôt pour analyser les répercussions concrètes de cette crise diplomatique sur la relation entre les deux pays. Une chose est sure, c’est que le Maroc a déjà montré par le passé l’importance du dossier du Sahara Occidental dans les orientations de sa politique étrangère.

Wissal Ayadi

   

3 Auteurs du commentaire
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Anonyme

Vous attendez quoi de ce président Kaïs Saïed qui un embrassé le front du président français, ce dernier a caricaturé notre prophète (SW )!!!! La place de ce président dans le film Aresala et non pas la politique

Anonyme

Tout le monde sait que la machine médiatique & politique marocaine a crée cette histoire de fond en comble pour la consommation locale, afin de berner nos frères marocains & détourner leurs attentions sur les problèmes internes (pauvreté, oppressions des réclamations des gens de la compagne, mécontentements vis à vis à la normalisation avec Israël, etc…) Et bien sure en Tunisie, tous ceux qui ont des affaires louches & sujets d’enquêtes et/ou qui ont quelque chose contre le président Mr Kais Saîd, en profite pour essayer de le décrédibiliser Les deux ne mérite que le mépris, nous avons bel et… Lire la suite »

amajid

kaiss ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir.
La Tunisie mérite un président à la hauteur de la révolution du Jasmin menée par le Grand peuple Tunisien.