Jeunesse tunisienne et Palestine : « une réaction émotionnelle et humaine, plus que militante » (universitaire)
Dans plusieurs pays arabes et occidentaux, des jeunes ont pris d’assaut les rues, lors de manifestations de grande ampleur pour exprimer leur solide soutien à la cause palestinienne et condamner l’offensive israélienne.
C’est le cas notamment en Tunisie, où depuis quelques jours, les rassemblements de soutien au peuple palestinien sont quasi quotidiens.
Cette réponse énergique de la jeunesse vient ainsi contredire l’idée que les jeunes ne sont pas conscients ni sensibilisés aux problèmes de leur région, même s’ils ne maîtrisent pas nécessairement toute la dimension historique du conflit arabo-israélien et israélo-palestinien.
Quelle place occupe la conflit isarëlo-palestinien dans les programmes scolaires d’histoire en Tunisie? Quel rôle ont les professeurs? Et plus globalement, comment les jeunes appréhendent-ils cette guerre?
Des questions auxquelles nous avons tenté de répondre avec des professeurs, des parents mais aussi des jeunes Tunisiens.
Une jeunesse concernée…mais pas toujours au fait du contexte historique
Depuis l’escalade des violences au Proche-Orient à l’encontre des Palestiniens, notamment dans la Bande de Gaza, de nombreux peuples du monde entier ont décidé de dénoncer les exactions commises par Israël. Des manifestations de grande ampleur ont ainsi pris place dans les plus grandes capitales du monde réunissant des milliers de personnes.
A Tunis, les manifestations se sont également tournées contre la France et sa position pro-israélienne, allant jusqu’à exhorter la démission de l’ambassadrice de France en Tunisie devant les locaux même de la mission diplomatique sur l’Avenue Habib Bourguiba. Un élan de ferveur inédit depuis la Révolution de 2011.
Parmi les manifestants, nombre d’entre eux font partie de la jeunesse Tunisienne, qui semble avoir pris à bras le corps la cause palestinienne, faisant ainsi écho à la position ferme du président Kaïs Saïed à l’encontre de l’entité sioniste et en faveur de la libération du peuple palestinien.
Bilel est tout juste âgé de 20 ans et il a participé au rassemblement du week-end dernier. Il témoigne. « Je suis fier de voir tant de jeunes tunisiens s’exprimer pour soutenir la Palestine. Même si je ne comprends pas tous les aspects du conflit, je suis déterminé à en apprendre davantage. Je veux contribuer à faire entendre notre voix pour la justice, la paix et la solidarité avec le peuple palestinien », nous dit-il.
Des jeunes comme Bilel étaient des milliers à défiler pour la libération du peuple palestinien de l’emprise sioniste. Pourtant, comme lui, leurs connaissances du conflit restent limitées.
Slaheddine El Améri est Maître de conférence en civilisation islamique à l’Université de Tunis. Selon lui, le conflit arabo-israélien peut être lu de différents manières (historique, religieuse, sociale…). « En ce qui concerne la jeunesse tunisienne, on peut constater qu’il y a un manque de connaissances notoire de ce conflit. Beaucoup de jeunes, de moins de 20 ans notamment, ne savent pas ce que représente Israël, la normalisation, les raisons de ce conflits…Certains se demandent même si Gaza est un Etat », nous dit-il.
Pour le professeur El Améri, ceci est du notamment à la stabilité qui s’était installée jusqu’à alors dans la région, avant la frappe surprise du Hamas le 07 octobre dernier. En effet, si ce conflit dure depuis plus de sept décennies, il n’est médiatisé qu’en cas de crise majeure, comme c’est le cas depuis maintenant deux semaines.
« Les générations précédentes avaient l’occasion de comprendre les tenants et les aboutissants de cette guerre à travers sa médiatisation car il n’y avait pas de stabilité dans la région », ajoute-t-il.
Réseaux sociaux, médias…quelles sont les sources d’information pour la jeunesse?
Slaheddine El Améri rappelle également que les sources d’information de la jeunesse ont changé. Dans ce sens, le professeur rappelle la prédominance des réseaux sociaux et des médias qui font circuler les images des exactions commises notamment par Israël envers les Palestiniens poussent les jeunes à s’emparer de la rue en faveur de la cause palestinienne.
« Les images d’enfants tués, de familles décimées et du drame qui touche les Palestiniens ont encouragé cette jeunesse à sortir dans la rue pour manifester son soutien. Mais la plupart d’entre eux ne savent pas vraiment l’historique de cette guerre. C’est une réaction émotionnelle et humaine, plus que militante », souligne-t-il.
Les parents de ces jeunes Tunisiens descendus manifester ont également un rôle dans la compréhension de ce conflit par leurs enfants. Pour certains d’entre eux, le conflit israélo-palestinien est devenu un véritable sujet de discussions dans les foyers. Samia est la maman du jeune Bilel. Elle essaye d’expliquer le contexte de cette guerre à son fils. « Élever nos enfants dans un environnement où ils sont exposés à des perspectives différentes, surtout à travers les réseaux sociaux et les médias, sur des questions mondiales est difficile, mais c’est aussi une opportunité. Dès que la guerre a refait surface il y a une dizaine de jours, nous avons encouragé nos enfants à nous poser des questions, à explorer des idées et à se forger leur propre compréhension du conflit israélo-palestinien. Nous voulons qu’ils soient conscients de ce qu’il se passe dans la région tout en promouvant des valeurs de paix, de tolérance et de justice pour éviter tout comportement déviant », nous confie-t-elle.
Le conflit israélo-palestinien à l’école
Le conflit israélo-palestinien est enseigné au niveau du bac pour les sections littéraires et économiques seulement. Il n’est pas abordé dans les sections scientifiques. Le programme s’étend, quanti à lui, de la Déclaration de Balfour en 1917, jusqu’aux accords d’Oslo en 1993.
Fouad Laribi, professeur d’histoire au lycée explique qu’il se doit d’enseigner les faits historiques tels qu’ils sont et non pas les aborder de manière émotionnelle.
« Depuis les événements du 07 octobre dernier, je remarque que les élèves commencent à poser des questions. Une minorité sont déjà au courant du contexte de cette guerre grâce à leurs parents, les autres ne savent rien sur l’historique du conflit. C’est seulement au moment où ils commencent à aborder ce pan de l’histoire en classe qu’ils commencent à affirmer leurs émotions quant à la cause palestinienne », nous dit l’enseignant.
Concernant l’enseignement du conflit au Proche-Orient dans les programmes d’histoire, au lycée notamment, le professeur Slaheddine El Améri confirme qu’il s’agit d’un enseignement purement théorique, affranchi de toute influence idéologique.
« Même si notre cœur bat pour la cause palestinienne, il faut que la transmission historique se fasse de manière scientifique en encourageant la paix et ce pour éviter l’éventuelle naissance de mouvements djihadistes », conclut-il.
Wissal Ayadi