La Tunisie améliore sa note souveraine, point de vue d’un économiste

15-12-2022

La Tunisie serait-elle en train de voir le bout du tunnel après des années de marasme économique ? Après une série de baisses successives de la notation de la Tunisie, l’agence Fitch and Ratings a décidé il y a une dizaine de jours du relèvement de la note de défaut émetteur à long terme en devises de la Tunisie, la faisant passer de «CCC» à «CCC+ ».

D’après le gouvernement il s’agit là d’un témoignage de la crédibilité et de la viabilité du programme de réformes, mais aussi d’une des première retombée de l’accord conclu, le 15 octobre dernier avec le FMI pour un programme de financement à hauteur de 1,9 milliards de dollars.

Yassine Annabi, analyste économique et professeur à l’université de Tunis nous donne son analyse.

Un programme de réformes plausible

Le Fonds monétaire international (FMI) a programmé l’examen du programme des réformes du gouvernement tunisien et la conclusion d’un accord définitif avec la Tunisie, lors de la réunion de son conseil d’administration, prévue le 19 décembre 2022. Le déblocage de la première tranche de ce prêt sera tributaire de cette échéance. Une vraie bouffée d’oxygène pour la Tunisie, qui il y a encore quelques mois de cela risquait la faillite, selon certains experts.

« Le FMI a donné son accord sur un programme de financement de 1,9 milliards de dollars. Il aurait pu donner plus, mais en réalité c’est ce qu’il fallait. Le FMI a donné un signal positif afin de rassurer les bailleurs de fonds et les pays qui ont des coopérations bilatérales avec la Tunisie », affirme Yassine Annabi.

« Dans son discours lors des Journées de l’Entreprise à Sousse, le gouverneur de la Banque Centrale, Marouane Abbasi, a affirmé que cette fois-ci le gouvernement avait pris son temps pour élaborer le programme de réformes qui a été soumis au FMI, ce qui a permis d’avoir un programme correct et surtout plausible », ajoute l’expert.

Le relèvement de la note de la Tunisie est très important

D’après Yassine Annabi, plusieurs actions ont permis à l’agence de notation de rehausser la note de la Tunisie. Dans un premier temps, il évoque les dispositions prises dans la loi de finances 2022, permettant à l’Etat d’avoir des recettes supplémentaires.

«  Le renforcement des contrôles fiscaux, l’augmentation des taxes sur l’alcool, les augmentations successives des prix de l’essence, le contrôle de la masse salariale et des salaires dans le secteur public ou encore la mise en place de la loi sur la retraite anticipée, ont montré aux agences de notation la capacité de résilience de l’économie nationale », indique l’analyste économique.

Il ajoute également que l’accord qui a été entériné avec l’UGTT sur l’augmentation salariale dans le secteur public et la fonction publique de 3,5%, sur 3 ans a permis une certaine stabilité macroéconomique. A cet égard, Annabi indique que la chose la plus importante dans la notation des agences demeure dans les perspectives macroéconomiques et leur stabilité », affirme Annabi.

Autre signal positif, la récente annonce de l’Union européenne concernant le financement d’un projet d’interconnexion électrique entre la Tunisie et l’Italie à hauteur de 307 millions d’euros. « Cela aussi est très important car c’est une piste d’exportation vers l’Europe, d’énergie verte  produite en Tunisie, comme le photovoltaïque que l’on produit mais que l’on ne peut pas stocker. C’est une rentrée de devises pour la Tunisie », rappelle l’économiste.

Même si cette décision a été largement critiquée, l’augmentation du taux directeur par la Banque Centrale de Tunisie constitue aussi un signe positif pour les agences de notations et bailleurs de fonds. « La stratégie de la BCT est de rendre l’accès plus difficile aux crédits à la consommation afin d’arrêter la dérive et éviter d’avoir une inflation à trois chiffres. Pour les entreprises, des lignes de crédits spécifiques ont été débloquées à des taux plus bas afin d’encourager l’investissement », souligne Yassine Annabi.

« Nous avons une échéance électorale qui est aussi importante. Si elle se passe bien, la note de la Tunisie pourrait encore être rehaussée. Ce qui fait plomber la note d’un pays c’est surtout  l’instabilité politique, le non-respect des promesses de réformes, et les grèves. En ce moment le gouvernement est en train de travailleur sur la prochaine loi de finances et n’a rien partagé avec les partenaires. Cela montre que les arbitrages sont, certes difficiles à faire, mais indispensables », ajoute-t-il.

Les opportunités géopolitiques

D’après Yassine Annabi, il y également des signes positifs au niveau géopolitique. Dans ce sens, l’économiste affirme que la reconstruction de la Libye constitue un vrai champs d’exportation de la main d’œuvre tunisienne ce qui aura des conséquences positives, entre autres, sur la baisse de  l’immigration clandestine. « Il y a une ouverture économique de proximité. J’ai entendu le discours d’un haut responsable libyen présent à Sousse qui a indiqué que même les entreprises qui avaient des chantiers en cours et qui se sont arrêtés en 2010, auront la possibilité de les reprendre là ou ils s’étaient arrêtés ».

Pour notre interlocuteur, il faudrait aussi profiter des ouvertures et des perspectives qu’offre l’Afrique. « La Tunisie peut exporter des services comme des ingénieurs qui font les routes, des universitaires ou des entreprises agissant dans le secteur de l’eau par exemple ».

Ainsi, le développement d’une économie tournée vers l’Afrique pourrait venir contrecarrer les effets négatifs que l’économie européenne pourront avoir sur la Tunisie au vu du nombre important d’entreprises tunisiennes tributaires de la situation économique de l’Europe.

« La Tunisie dispose de tous les atouts pour instaurer un climat économique favorable. Si les élections se passent bien et que le rythme des réformes est réalisé en bonne et due forme, nous pourrons espérer une reprise de la croissance dès 2024 », conclut Yassine Annabi.

Wissal Ayadi