Coup d’Etat militaire en Thaïlande, après trois jours de loi martiale

Publié le Jeudi 22 Mai 2014 à 15:54
Coup d'État en ThaïlandeAFP - Le 19e coup d'État en Thaïlande en 80 ans est en marche. L'armée thaïlandaise a pris le pouvoir jeudi et suspendu la plupart des libertés individuelles après sept mois de crise politique et de manifestations qui s'étaient soldés par une impasse. Le Premier ministre renversé, Niwattumrong Boonsongpaisan, et son gouvernement se sont vu "ordonner" de "se présenter" d'ici à la fin de la journée au nouveau régime, qui a pris le nom de Conseil national pour le maintien de la paix et de l'ordre.

L'armée a aussi ordonné aux manifestants des deux bords, campant dans Bangkok, de rentrer chez eux et a interdit tous les rassemblements de plus de cinq personnes. Les manifestants ont commencé à obtempérer dans la soirée, dans la joie du côté de l'opposition. Le nouveau Conseil a également suspendu la Constitution, mais a décidé de conserver le Sénat, précisant que cela permettrait de "diriger le pays en douceur". Après moins de trois jours de loi martiale, destinée, selon l'armée, à forcer au dialogue les acteurs civils de la crise politique, le puissant chef de l'armée de terre, le général Prayut Chan-O-Cha, est apparu dans l'après-midi à la télévision afin d'expliquer que le coup était nécessaire, "pour que le pays revienne à la normale";

Le général a mis en avant la violence dans le pays, qui a fait 28 morts depuis le début de la crise à l'automne dernier, la plupart lors de tirs ou de jets de grenades en plein Bangkok pour réprimer des manifestations. "Tous les Thaïlandais doivent rester calmes et les fonctionnaires doivent continuer à travailler comme d'habitude", a-t-il ajouté. Mais un couvre-feu est imposé à tout le pays à partir de la nuit de jeudi à vendredi. "Je n'aime pas ça... Je vis ma vie au jour le jour", s'est inquiétée Fuangfaa, une vendeuse de nourriture ambulante contrariée par les effets du couvre-feu sur son petit commerce.

Toutes les télévisions et radios ont dû interrompre leurs programmes et diffuser les bulletins du nouveau régime militaire. "Afin de donner des informations exactes à la population", a lu un porte-parole militaire à la télévision, qui ne montre plus que des photos de militaires sur fond blanc entre deux communiqués lus par un militaire à une table. La Thaïlande avait connu jusqu'ici 18 coups d'État ou tentatives en quelque 80 ans. Le dernier en 2006, contre l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, a entraîné une série de crises politiques faisant descendre tour à tour dans la rue les ennemis et les partisans du milliardaire, qui reste malgré son exil la figure de division du pays;

La crise actuelle n'en est que le dernier soubresaut. Elle avait commencé à l'automne par des manifestations réclamant le départ de sa sœur Yingluck, Premier ministre depuis 2011. Elle a été destituée par la justice début mai, mais le gouvernement intérimaire lui survivait, contesté par l'opposition. L'annonce du coup d'État jeudi est survenue deux heures après la reprise des négociations entre partis politiques ennemis et meneurs des manifestants des deux camps dans un complexe militaire de la capitale sous haute surveillance.

Peu avant, la confusion a régné parmi les journalistes sur place quand les leaders politiques des deux camps ont été emmenés sous escorte militaire hors de la salle de négociation et embarqués dans des véhicules militaires. L'endroit où se trouvait le Premier ministre par intérim Niwattumrong Boonsongpaisan, représenté par des ministres aux négociations, n'était pas connu dans un premier temps et aucun représentant des divers acteurs n'était joignable. L'armée avait instauré mardi la loi martiale, dénoncée d'emblée par certains comme un putsch ne disant pas son nom. Cela donnait déjà des pouvoirs très renforcés à l'armée.

Cette dernière assurait qu'elle ne cherchait qu'à trouver une sortie de crise, sans chercher à profiter de la situation pour un coup d'État. "La situation m'inquiète et je ne peux pas laisser les choses continuer sans solution", avait déclaré à l'ouverture de la séance de négociations le général Prayut, qui refusait depuis des mois de céder aux injonctions de coup d'État que lui lançaient les manifestants d'opposition. "Le coup n'est pas une solution du tout à la crise. Cela va devenir la crise", s'inquiète Pavin Chachavalpongpun, de l'université de Kyoto au Japon.

Les Chemises rouges, puissant mouvement progouvernemental dont les partisans manifestaient dans une banlieue de Bangkok, pourraient réagir, même si leurs manifestants se sont dispersés. Lors des négociations, le leader des Chemises rouges, Jatuporn Prompan, avait proposé un référendum national sur la meilleure option de sortie de crise. Mais les deux bords, qui avaient accepté de s'asseoir à la même table pour la première fois en sept mois de crise, semblaient irréconciliables.

Les partisans du gouvernement insistaient sur la nécessité d'élections au plus vite, celles de février ayant été invalidées par la justice en raison de leur perturbation par les manifestants. Les manifestants voulaient, eux, un Premier ministre "neutre", nommé par le Sénat, en l'absence de chambre basse du Parlement, dissoute en décembre. Après l'imposition de la loi martiale mardi, les États-Unis avaient estimé que la situation en Thaïlande ne s'apparentait pas à un coup d'État, mais la communauté internationale avait déjà fait part de son inquiétude.