Tunisie
Jeune Afrique-En chaque Tunisien sommeille un généalogiste. Quelqu’un de bien né n’omettra jamais de préciser à son interlocuteur , quand il le rencontre pour la première fois qu’il est Oueld Flen- littéralement »fils de quelqu’un » posséder un patronyme connu et respecté ouvre bien des portes. A l’inverse, un nom un peu trop connoté « paysan » est souvent vécu sinon comme une tare, au moins comme un handicap. Même si ces hiérarchies invisibles n’ont pas la force de celles qui, par exemple, corsètent la société marocaine, les « les grandes familles » tunisiennes conservent un prestige et une influence considérables. Au commencement était la Medina… Tunis a pris son essor au XI siècle, après la prise et le pillage de Kairouan par les tribus bédouines, les Banu Hilal. Protégée par ses remparts et de venue capitale politique et religieuse d’Ifriqyia, la ville s’enrichit grâce aux apports successifs et savants, de juristes, d’émigrés andalous chassés d’Espagne et de janissaires turcs. La galaxie des grandes familles beldies, qui a profondément influencé la bourgeoisie tunisienne, s’est figée au milieu du XIX siècle. Elle se divise en trois groupes.
1- l’establishment religieux : ce sont d’une part, les dynasties de savants musulmans qui occupèrent fréquemment le fonction de mufti à l’époque malikite (Ben Achour) ou hanafite (Bayram, Belkhouja), et, de l’autre, les familles maraboutiques : Meherzi ( quii descendent de Sidi Mehrez, lle saint patron de Tunis), Belhssen, Azouz… Arabes apparentés au prophète, les Chérif et les Mohsen peuvent être rattachés à cette dernière catégorie, qui administrait les biens fonciers religieux, les habous, jusqu’à leur nationalisation en 1956.
2- le noyau originel beldi. Ce sont les familles corporatives des souks. Les plus presitgieuses sont Lakhoua et les Louzir, qui confectionnaient les chéchias ; les Zneïdi, armuriers spécialisés dans la fabrication des fûtes de pistolets ; les Mbazâa et les Ben Miled, affiliés à la guilde des parfumeurs.
3-Les familles makhzen : Organiquement ou fonctionnellement, elles appartiennent à la cour beylicale, de même que celles des représentants provinciaux de l’Etat central, caîds ou fermiers généraux. Beaucoup sont d’origine turque ou mamlouke ( Circassiens , Géorgiens)- cas des Sahab Tabaa, les Agha, des Kahya, des Caîd Essebsi, des Bach Mamlouk ou des Bach Hamba- et appartenaient à l’aristrocratie militaire et à à l’administration. D’autres sont arabes autochtones, comme les Lasram, (yéménites), les Ben Ayed (Djerbiens, leurs rivaux les Belhaj, ou encore les Jellouli. Jusqu’au milieu du XIX siècle, les ministre du Bey ne percevaient pas de salaires, mais recevaient des gratifications en nature, sous forme de domaines agricoles. L’instauration du protectorat français en 1881 priva les familles Memeloukes de leur raison d’être militaire et provoqua la fusion progressive ( mariages) des familles makhzen et patriciennes tunisoises pour donner naissance à une sorte de caste homogène , mais relativement ouverte : les beldis.
Partageant les mêmes codes, cultivant les mêmes formes de sociabilité, ces derniers étaient reconnaissables à leur tenue vestimentaire. Vêtus d’amples Djellabas, ils portaient la chechia et la moustache à la Turque, habitaient les palais ou des maisons cossues de la Médina, la ville arabe, et possédaient une résidence d’été atténuante à leur sénia (domaine), dans les environs de Tunis. Généralement monogames, ils vivaient et se mariaient entre eux. Conservateurs attachés à leurs traditions, à leur art de vivre, à leurs bonnes manières, à leur parler distingué et à leur cuisine raffinée, ils formaient l’élite de la société tunisienne du début du XX ème siècle.
L’éveil de la conscience nationale (…) Le protectorat a favorisé l’éclosion d’une très entreprenante et très agressive bourgeoisie aigrie, industrielle et commerciale. A l’inverse, note l’écrivain Fayçal Bey : « l’aristocratie traditionnelle a raté sa reconversion. Elle s’est entêtée à gérer son patrimoine « à l’ancienne » avec des méthodes anachroniques. Ses revenus se sont effondrés, mais elle a continué à mener grand train. Son approvisionnement a commencé dès le début du XXème siècle. » Pour éviter que leurs rejetons ne se mélangent au tout-venant des conscrits, les grandes familles avaient demandé – et obtenu- que les jeunes de Tunis et de sa banlieue soient exemptés de service militaire. Ce privilège n’était étendu ailleurs qu’à la condition que ceux-ci soient titulaire du certificat d’études. Anodine en apparence, cette disposition cette disposition a suscité dans toute la régence une farouche émulation scolaire. Résultat : dès les premières décennies du XX siècle, les sahéliens possédaient globalement un niveau d’instruction supérieur à celui des tunisois de souche. L’indépendance et les années Wassila (…)Célébrée le 12 avril 1962, 19 ans jour pour jour après leur première rencontre, l’union de Wassila Ben Ammar et Habib Bourguiba , était tout à la fois un mariage d’amour et une alliance politique. Pour Bourguiba fils de petits notables provinciaux qui avaient eu à souffrir de l’arrogance et du mépris des beldis pendant sa scolarité au collège Sadiki de Tunis, ces noces ont constitué une délicieuse revanche sociale.
Les années Nouira ce dernier a été l’artisan du tournant libéral de la Tunisie. Son nom reste attaché aux lois de 1972 en faveur de l’investissement dans les sociétés off shore, qui a permis l’essor de l’industrie textile. (…) très dynamiques, entreprenants, solidaires aussi, les Sfaxiens et les Djerbiens ont, en une décennie, réussi à conquérir des positions extrêmement avantageuses. Dirigé par l’ingénieur Sfaxien Abdelwaheb Ben Ayed, Poulina (agroalimentaire, grande distribution, tourisme) est avec ses 6000 employés et ses 770 millions de dinars de chiffres d’affaires, le premier groupe privé tunisien. Autre success story sudiste, celle du groupe de Hichem Elloumi, spacialisé dans le câblage électrique et électronique.
L’érosion de l’influence des beldis saute aux yeux, mais celà ne signifie pas qu’ils aient disparu du paysage économique. Hédi Djilani, l’inamovible président de l’Utica, le patronat Tunisien, longtemps actionnaire de Lee Cooper, descend ainsi d’une grande famille. Il a profité de l’essor du textile pour faire fortune et s’imposer comme l’un des entrepreneurs des plus dynamiques et les plus influents du pays. Authentiquement Beldia, la famille de Tahar Ben Ammar conserve pour sa part de vastes domaines à la sortie nord de Tunis et possède de gros intérêts dans la banque, notamment l’Arab Tunisian Bank (ATB). |