La Faculté des Lettres de la Manouba : d’un scandale à l’autre…

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Publié le Lundi 11 Juin 2012 à 15:22
Il y a quelque temps, la « communauté » islamiste à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de la Manouba revendiquait les « droits » des porteuses du niqab à passer leurs examens comme tout autre étudiant. Ce que cette communauté aurait du remarquer bien avant « l’injustice » envers les « niqabées » c’est que le système régissant les départements de la Manouba présente certaines failles qui vont à l’encontre des intérêts de tous ses étudiants.
Pour les anglicistes du moins, la situation n’est pas exemplaire, c’est pourquoi je me charge ici de l’exposer.

Le 15 Mai dernier commençaient les examens finaux à la Manouba. Etant donné que ceux-ci sont sujets à un tirage au sort, les étudiants sont supposés préparer un minimum de deux matières par module dont l’une fera l’objet de l’examen final. Certains modules comprennent jusqu’à quatre matières.

A priori, ce genre de méthode semble inefficace et dès l’approche des examens, tout le monde a l’air de s’en plaindre. Un étudiant est supposé assister à un certain nombre de cours et passer par la suite les examens nécessaires, portant sur tout ce qu’il a étudié. Or, à la fin de l’année, l’on se rend compte que bon nombre de matières n’ont servi à rien suite au tirage au sort qui les a éliminées.

Ce n’est rien de grave, me dit-on, tout ce que nous apprenons contribue à compléter notre formation. Bien évidemment, cela serait vrai si certains professeurs se préoccupaient de ne pas « s’aider » uniquement d’Internet pour faire apprendre à leurs étudiants un cours qu’ils oublieront une fois les examens achevés. Cela serait tout aussi indéniable si les professeurs ne manquaient pas d’informations autant que leurs étudiants. Il est vrai que le « système fac » permet à l’étudiant de sélectionner les meilleurs cours et les professeurs les plus compétents ; cela n’empêche de se demander ce qu’un professeur enseignant la théorie littéraire, et qui assure que Freud est un psychanalyste du 17ème siècle, fait à la Manouba.

Pire encore, certains professeurs se vengent sur les notes quand une opinion leur déplaît. Je me rappelle un peu trop amèrement la remarque d’un professeur sur la copie d’une étudiante qui défendait la cause du niqab. « Vous ne devriez pas les encourager ! » était sa remarque qui justifiait, selon sa logique, la mauvaise note attribuée. Peu importe la position que prennent les étudiants ou la manière dont ils la défendent, être libre de s’exprimer ne devrait nullement être la cause d’une telle punition. De même, défendre une cause ne se fait pas en postillonnant rageusement en classe et en traitant ses étudiants de « stupides ».
Tout cela n’est qu’excuses triviales, me dit-on, un étudiant doit travailler tout seul, faire ses propres recherches et ne compter sur l’aide de personne. Je trouve cet argument atrocement mal placé parce que cela revient à dire que l’université n’a jamais eu de rôle constructif et que les enseignants n’ont aucun lieu d’être. Internet est certes très utile en ce qui concerne les recherches mais c’est tout aussi interminable. Même si l’on met à notre disposition des polycopies non-gratuites pour nous faciliter la tâche, l’étudiant financièrement modeste se rend compte que ce n’est rien d’autre qu’un business. Les prix augmentent du jour au lendemain ; il faut croire qu’on nous vend du temps et du savoir. Un professeur se doit donc de limiter le champ d’informations accessibles et si ce n’est trop demander, faire en sorte que le travail des étudiants ne soit pas dénué de volonté, de curiosité et de passion. Autrement, l’on se demande si les universités ne sont que des endroits où des gens viennent passer des examens à la fin de l’année et en oublient le cauchemar rapidement.

Le manque d’équilibre entre les matières s’avère tout aussi critique. Rien ne semble suivre un niveau prédéterminé. Un étudiant en année de Licence censé maitriser un tant soit peu les travaux de Shakespeare, s’enferme dans un laboratoire deux heures par semaine, se met un casque sur les oreilles et répète des phrases sans queue ni tête, chose supposée faite dès l’enseignement primaire. Lorsqu’on ne comprend pas l’utilité de certaines matières et que l’on cherche une explication à tant de déséquilibre auprès des professeurs, on nous répond que les programmes sont préparés par des « personnes » plus haut-placées, que c’est comme cela et pas autrement, et que de toute façon, le niveau des étudiants est bien trop faible. Ce qui, selon une logique qui échappe à tout le monde, veut dire que les programmes doivent suivre le déclin du niveau des étudiants et non le contraire.

En parlant de niveau, le phénomène en vogue à la Manouba, ces derniers temps, est la fausse copie. Parallèlement, ce qui lui correspond aux départements, c’est les combines.
Quand on est obligé de choisir une option, on s’attend tout de même à étudier quelque chose d’intéressant qui sorte un peu du cadre du programme. Pourtant, le premier jour des inscriptions, toutes les options sont déjà prises et il ne reste que des matières aux noms bizarres. Les heures de cours ont la nostalgie des années de primaire pendant lesquelles les étudiants se bornent à écrire ce qu’on leur dicte. Des pages qui n’en finissent pas et qui seront ensuite recopiées en format fausse copie. Parce que les étudiants ont la faculté innée de contourner les problèmes et pensent instinctivement à la ruse qui leur décrochera la note. Nous avons été entrainés à voler nos notes plutôt qu’à chercher un juste moyen de les mériter.
Le premier jour des examens, le tirage au sort fait en sorte que la matière choisie au premier Devoir Surveillé soit la même choisie à l’examen final. Bizarrement, personne n’a l’air de protester ou d’attendre que ses camarades protestent comme en est l’habitude à la Manouba, quand un problème se pose.

Le deuxième jour, une étudiante vient me demander si j’ai révisé telle ou telle matière. Lorsque je garde le silence et affiche un air dubitatif, elle m’offre les détails : Hamlet de Shakespeare, dit-elle, tu as révisé la pièce ? D’abord, Hamlet n’a pas été enseigné au groupe auquel j’appartiens. Gardant mon calme, j’ai nié toute possibilité que ce qu’on venait de me dire puisse être envisageable. Lorsqu’on distribue l’examen, c’est effectivement Hamlet qui en fait l’objet.
Des étudiants se regroupent en sortant de l’examen et se morfondent. Ce qui m’étonne davantage, c’est que quand tout le monde proteste auprès du chef de département d’anglais, celle-ci, ébahie, répond : « Mais je croyais que c’est ce que vous vouliez ! ».
Tout le monde se regarde et a l’air de chercher un coupable à blâmer qui, mystérieusement, s’est volatilisé. Ironiquement, le coupable qui connaît le sujet de l’examen est le même qui prépare sa fausse copie.

C’est pour cela qu’on s’étonne que des étudiants qui ne savent pas conjuguer leurs verbes se retrouvent en année de Licence, que les enseignants s’en indignent et se demandent d’où provient tant de bêtise et qu’en fin de compte, ces mêmes étudiants se retrouvent, quelques années plus tard, à enseigner. Il est de plus en plus indéniable que chercher un coupable à tant de failles ne soit d’aucune utilité ; professeurs, étudiants et administrations sont tous fautifs. Il serait plus urgent qu’utile de changer de méthodes.

Aujourd’hui, tout ce qu’on entend autour de nous se résume à « fuir le système tunisien pour se construire une éducation en bonne et due forme à l’étranger » ou encore « plus personne ne se préoccupe d’être honnête en Tunisie, ce ne sont que des valeurs d’antan, après moi le déluge ! » Or, étudier à l’étranger n’est peut-être pas moins difficile que de corriger ce qui va de travers chez soi. Pour ce qui est de l’honnêteté, Shakespeare avait bien dit que « l’honnêteté est une folle qui s’aliène ceux qu’elle sert.»

Etudiante au bord du désespoir.

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Commentaires 

 
-2 #4 Vrai
Ecrit par Yacine Hichri     25-06-2012 08:15
Pour avoir étudié a Ibn Charaf, a Manouba (pour deux mois), et a l’Université de Westminster en Grande Bretagne, je suis tout a fait d'accord sur presque tous ce que vous dites. Non seulement les profs sont, en majorité, pas très compétents (y compris les doctorants), mais en plus ils ne préparent pas leurs leçons sérieusement. Je dirais même que bon nombre d'entre eux méritent de retourner aux bancs de l’université. Quant au fameux argument que les programmes et les matières sont compilés par des experts, le classement de nos universités a l’échelle internationale indique bien le niveau d'expertise de ceux qui font les programmes. Même le Soudan est mieux classé que nous.
En effet, ce sont ces même profs incompétents qui, une fois promus chef de département, décident du programme et introduisent des changement et de nouvelles matières.

Bref, quand je me rappelle de l’année que j'ai passée a l’université de Westminster, je me rend compte qu'en Tunisie, on ne manque pas de technologie ou d'argent, mais on manque cruellement de compétences, et ceci est de loin le plus gros handicap de notre système universitaire.
 
 
+2 #3 Hamlet
Ecrit par syl     12-06-2012 18:16
Bonjour,

N'attendez pas après la fac pour vous emparer d'Hamlet, même en France il ne nous est pas enseigné comme il se doit.
horatio.hautetfort.com

Bienvenue à vous sur mon blog
Sylvain
 
 
+4 #2 université = gaspillage
Ecrit par Royaliste     12-06-2012 16:54
à l'université les étudiants se limitent a écrire ce qu’on leur dicte.
c'est une suite du secondaire et du primaire.

l'université tunisienne ne sert a rien, pour les étudiants, c'est une salle d'attente pour trouver un travail ou un mari ou un contrat a l'étranger.
pour le marché du travail c'est un diplome qui n'a pas trop de valeure et pour le contribualble c'est une charge énorme.

l'université tunisienne doit etre réformée et peut etre le principe de gratuité aussi.
 
 
+10 #1 Votre desespoir
Ecrit par Shlomo     12-06-2012 10:04
Ne restez pas au bord du desespoir, cela ne vous menera nulle part.
Tout est question de culture, d'integrite, de moralite que certains peuples ont et dont d'autres en sont depourvus.
La facon de laquelle vous avez redige ce texte vous mets en valeur. Ce qui vous reste à faire est de vous demarquer et à ne pas vous melanger aux autres. C'est la seule facon de se proteger.
Vous ne changerez pas le monde, certainement pas celui qui n' a pas evolue d'un iota depuis des decenies.
 
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