Tunisie, après la révolution ... la révolution

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Publié le Mardi 22 Mars 2011 à 13:17
Par Dr. Nizar Mansour, Universitaire,  ISG de Tunis

Révolution tunisienne.Un chemin de mille lieues commence toujours par un premier pas, nous enseigne Lao Tseu. En Tunisie, un premier pas a été franchi avec la destitution de Zinochet et le démantèlement systématique des mécanismes de la haine qu'il a diaboliquement dressés pendant un quart de siècle. La révolution tunisienne est sur la bonne voie, sans doute grâce à ses enfants qui ont fait preuve de détermination rare pour la protéger et sauver ses acquis. Mais la révolution est loin d'être terminée. Elle continuera. Et je suis porté à croire que la bataille de la révolution prendra encore quelques années. Après la révolution, place à la révolution donc. Pas de trêve pour le rêve, disait un rappeur français dont j'ai oublié le nom. Car, Ben-à-vie nous a laissé, un " Waste Land" et des institutions orphelines de sens avec un capital, confiance tendant lamentablement vers moins l'infini. La Tunisie est désormais en chantier et l'euphorie des premières semaines post-dictature ne doit pas nous détourner des défis qui nous attendent. .


Les révolutions sont des moments historiques rares. Elles marquent souvent des ruptures paradigmatiques importantes. Souvent, les populations qui expérimentent de tels évènements affichent une volonté quasi-naturelle de détruire consciemment leurs présupposés centraux et de remettre en cause l'intégralité de la théorie à l'œuvre dans la société. On cherche alors à développer de nouveaux repères, établir de nouvelles bases, former un modèle mental différent et inventer de nouvelles valeurs. Car si ce stade n'est pas atteint, la révolution n'aura été qu'un leurre ayant engendré des milliers de victimes. Les conséquences historiques seraient alors désastreuses avec un nivellement par le bas, des choix médiocres et peu courageux et une dilution dans le temps du moral et de la volonté de la population. En Tunisie, nous avons décidé que nos rêves ne se briseront jamais sur le ressac d'une réalité que nous ne contribuerons pas à forger par nous-mêmes. Les Tunisiens ont brûlé leurs vaisseaux et ils ne s\'arrêteront pas en si beau chemin.

Je suis convaincu que le premier grand chantier serait celui des valeurs. Car c'est là où les sbires de Ben Ali ont le plus fait mal aux Tunisiens et c'est là où le bât blesse. Mon pays a encaissé en silence les pires séquestrations de ses valeurs, sa morale et son éthique. Quelque chose de vraiment grave s'est produite en Tunisie depuis 1987. Doucement, mais sûrement, les théoriciens de l'ère Ben Ali ont mené un travail de destruction méthodique des fondamentaux culturels de la société tunisienne. Le "hall of shame" des inventions Ben Ali est garni de réalisations : le labeur n'est plus l'ascenseur social en Tunisie. Les qualités de détermination et de persévérance cèdent progressivement place au fatalisme et à la paresse chez les jeunes et les moins jeunes. On assiste alors à ce que les sociologues appellent le déclassement intergénérationnel. Déprimant pour une société dont la population est majoritairement jeune.

Autre réalisation, l'éthique n'est plus de mise. Place à la corruption et au clientélisme. Le moral des jeunes est sapé. Je suis enseignant universitaire et j'en sais quelque chose sur ce sentiment. Les horizons étaient bloqués. Etudiants et enseignants étaient incapables d'imaginer par quelle espèce de miracle les choses allaient changer. Constat accablant ! Pour les dizaines de milliers des diplômés qui passent annuellement de l'autre côté de la vie, l'accès à un poste d'emploi passe inéluctablement par les pots-de-vin et la malhonnêteté. Chacun laissera des plumes dans cette traversée dangereuse d'un marché de l'emploi "crocodileux". Les chefs d'entreprises s'approprient rapidement cette forme de déviance. Les mécanismes d'incitation à l'emploi sont détournés de leurs finalités et servent, contre leur nature même, à fragiliser davantage les jeunes et enrichir les entrepreneurs. Les intellectuels ont été achetés. Leur silence valait de l'or. Ben Ali ne savait pas compter ses sous (les nôtres en réalité) quand il s’agissait de dissuader toute velléité de résistance et d'opposition. Tout le monde a eu droit à la baraka de Sidi Zinou. Et que les jeunes de Kasserine, de Sidi Bouzid, le Kef et Kébili aillent au diable. La corruption et la malhonnêteté sont érigées par Ben Ali en système de management du pays. Rares les personnes qui n'étaient pas affectées par ce fléau dévastateur. Quel gâchis !

C'est sur le terrain des valeurs que nous gagnerons (ou perdrons) la bataille de la révolution, celle qui est à venir. Je suis persuadé que les années de braise ne nous ont pas d'autre choix que de regarder notre vérité en face et agir courageusement. Nous devons réinventer la morale, l'éthique, le labeur, la justice et l’honnêteté. Cela prendra du temps. Beaucoup de temps peut-être. Commençons par nous-mêmes. Chacun dans son rayon d'action immédiat. L'effet d'entrainement ne tardera pas à se mettre en place. Chaque pas serait victoire. Encore la sagesse de ce Lao Tseu !
Dr N.M.

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Commentaires 

 
#12 révolution
Ecrit par jbk     29-03-2011 18:20
tout à fait d'accord avec toi nizar.j'ai bien aimé ton article et surtout le choix des mots bien étudiés et assez profonds pour exprimer cette phase sensible de la révolution.
 
 
#11 Première
Ecrit par Khammous     26-03-2011 00:07
La première chose par laquelle on peut commencer c'est exiger qu'on explique de façon très simple
1/ Que la démocratie n'est pas la pagaille 2/ Que c'est un système politique où la puissance publique existe bel et bien et peut être plus impitoyable qu'en dictature car elle n'est pas au service d'un individu mais de la JUSTICE
 
 
#10 Ne perdonspas notre révolution
Ecrit par Néjib BOUJNAH     25-03-2011 13:22
Notre pays à une chance inouïe pour mener une telle révolution…culturelle rappelle de mauvais souvenirs chinois…disons de valeurs, mais où la culture doit occuper la valeur qu’elle mérite (Cf. Ma lettre à un jeune révolutionnaire)…Mais malheureusement on risque de tout perdre. Notre pays est au bord du gouffre ( je suis un homme de terrain et je vous le confirme). Des usines sont à l’arrêt..Un sentiment de haine se développe chez la majorité des ouvriers et des chômeurs…Ils se demandent où est leur part de la révolution de la dignité…Ils peuvent tout casser et détruire car ils n’ont plus rien à perdre…Mais puis-je me permettre de leur reprocher de na pas être patients ? La révolution n’a pas donné de signe fort d’espoir à ces gens. Et les intellectuels ne l’ont pas exigé. Personnellement je m’en fous d’élections en juillet..C’est peut-être même prématuré et on ne sera pas prêt. Des technocrates peuvent bien nous gouverner pendant à certain temps.
Ces gens ont besoin d’espoir. Qu’a-t-on fait ?
Ces honteux d’avoir des gens qui restent avec des contrats d’occasionnels pendant des années ? Pourquoi n’a-t-on pas légiférés rapidement sur ça ? 2 ans c’est un maximum.
C’est honteux d’avoir des gens, et même des maitrisards qui travaillent pour 120 dinars. Que devons-nous attendre de ceux-ci ? Pourquoi les intellectuels et les partis politiques n’ont pas exigé l’application du SMIG et même son augmentation.
Et les chômeurs qui vivent avec un sandwich à l’harissa ? Pourquoi n’instaure-t-on pas immédiatement un Revenu Minimum d’Insertion…
C’est honteux de voir des ouvriers dans des usines manger dans des cantines dégueulasses.
Pourquoi n’a-ton pas crée un fonds de la révolution ou de la dignité pour corriger immédiatement les aberrations. Les gens ont vu des milliards passer de Sidi Bou Said à la banque centrale, mais eux n’ont rien touché. Des réfugiés venant de Lybie ont eu plus d’égard qu’eux.
Sans espoir, sans signes forts…La masse « laborieuse » ne suivra pas les intellectuels…C’est la loi de Maslaw.
Attention aux gens qui n’ont plus rien à perdre…Ils finiront par haïr les intellectuels que nous sommes et saboteront nos « rêves » même s’ils sont pour eux.
 
 
#9 Oui
Ecrit par Tahar     24-03-2011 14:48
Bonjour à tous,

Oui, allons-y pour la "révo. cul." (petit clin d'oeil à Guilhem Fabre, Simon Leys et, osons le coup, aux situationnistes). Sans, pour autant, tomber dans les affres de l'intellectualisme, ni perdre de vue les spécificités culturelles de notre société dans ce qu'elles ont de dynamique, mais aussi de rétrograde et de figé...

Je suis partant, donc. Reste à avoir d'autres avis et à organiser...
 
 
#8 RE: Tunisie, après la révolution ... la révolution
Ecrit par nizar mansour     23-03-2011 23:45
«Toute révolution qui n'est pas accomplie dans les moeurs et dans les idées.... échoue.» [ François René de Chateaubriand ]

@ Khamous: c'est ce que nous devrons tous faire.
 
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