La fête de l’Aïd al-Adha en Tunisie : Entre traditions et pressions économiques

13-06-2024

La fête de l’Aïd al-Adha, aussi connue sous le nom de la « Fête du Sacrifice », est l’un des événements les plus importants du calendrier islamique. En Tunisie, comme dans de nombreux pays musulmans, cette fête revêt une signification profonde, marquée par des rituels religieux, des retrouvailles familiales et des festins copieux. Cependant, cette année, la célébration est teintée d’inquiétudes et de défis économiques, exacerbés par une inflation galopante et une baisse notable du pouvoir d’achat.

Un contexte économique difficile

L’économie tunisienne traverse une période difficile. Selon l’Institut National de la Statistique (INS), l’inflation a atteint un taux de 8,2 % en juin 2024, affectant sévèrement les prix des biens de consommation, y compris ceux essentiels pour la célébration de l’Aïd al-Adha. Les prix des moutons, élément central de la fête, ont particulièrement augmenté, rendant l’achat d’un animal de sacrifice hors de portée pour de nombreuses familles tunisiennes.

Amina, une mère de famille résidant à Tunis, partage son désarroi : « L’année dernière, nous avons acheté un mouton pour 800 dinars. Cette année, les prix ont grimpé à plus de 1000 dinars pour un animal de taille moyenne. Avec la hausse des prix de l’alimentation et des factures, nous devons faire des choix difficiles. Sacrifier un mouton cette année semble impossible. »

Témoignages de familles touchées par la crise

Le sentiment de frustration est partagé par beaucoup. Mohamed, un père de trois enfants exprime son inquiétude : « Mes enfants attendent cette fête avec impatience chaque année. C’est un moment de joie et de partage. Mais avec mon salaire qui ne suit pas l’inflation, je ne peux tout simplement pas me permettre d’acheter un mouton. Nous essaierons de célébrer avec un repas simple, mais ce n’est pas la même chose. »

Les marchés aux bestiaux, habituellement animés en cette période, présentent un tableau plus sombre cette année. Les vendeurs eux-mêmes sont confrontés à des difficultés. Abdelhamid, un éleveur de moutons, explique : « Nous aussi, nous subissons l’augmentation des coûts. Les aliments pour animaux, le transport, tout est plus cher. Nous devons augmenter nos prix pour survivre, mais nous comprenons que les familles ont du mal à suivre. »

Des initiatives de solidarité

Face à ces défis, la solidarité tunisienne s’exprime de différentes manières. De nombreuses associations et organisations caritatives ont intensifié leurs efforts pour aider les familles les plus démunies à célébrer l’Aïd al-Adha. L’une d’entre elle située à Bizerte a lancé une campagne de collecte de fonds et de dons pour acheter des moutons et les distribuer aux familles nécessiteuses. Samira, bénévole de l’association, raconte : « Nous avons pu récolter assez de fonds pour acheter 70 moutons. Nous savons que ce n’est pas suffisant pour tout le monde, mais chaque petit geste compte. »

Alternatives et adaptations

Dans les quartiers populaires, les familles cherchent des alternatives pour maintenir l’esprit de la fête malgré les contraintes financières. Certains optent pour des sacrifices symboliques ou réduits. « Nous avons décidé de faire une collecte de quartier. Chaque famille contribue un peu, et nous achetons un mouton que nous partageons. Ce n’est pas parfait, mais cela permet à chacun de participer », explique Nadia, résidente de la Goulette.

Les boucheries et supermarchés ont également adapté leurs offres pour répondre à la demande des consommateurs. Des packs de viande de mouton, moins coûteux que l’achat d’un animal entier, sont proposés. Hichem, propriétaire d’une boucherie à La Marsa, note : « Les gens cherchent des alternatives abordables. Nous avons donc créé des offres spéciales avec des morceaux de viande pour permettre à chacun de fêter l’Aïd à sa manière. »

Un impact sur les traditions

L’inflation et la crise économique ont non seulement un impact financier, mais aussi social et culturel. Le sacrifice du mouton est non seulement un acte de foi, mais aussi une tradition qui renforce les liens familiaux et communautaires. La difficulté d’accomplir ce rituel dans les conditions actuelles suscite une réflexion sur les valeurs et les priorités.

Sonia Trabelsi, sociologue, analyse : « Le sacrifice du mouton est un symbole fort de l’Aïd al-Adha. Mais cette crise économique pousse les familles à réévaluer la signification de la fête. La solidarité, le partage et la compassion deviennent encore plus centraux. Les familles trouvent de nouvelles façons de se soutenir et de célébrer ensemble, même avec moins de moyens. »

Il semble que l’esprit de résilience et de solidarité des Tunisiens offre une lueur d’espoir. Les initiatives communautaires et l’adaptabilité des familles montrent que même en période de crise, les valeurs fondamentales de l’Aïd al-Adha peuvent être préservées.

En attendant des jours meilleurs, les Tunisiens continuent de trouver des moyens de célébrer leur foi et leurs traditions, prouvant que l’essence de l’Aïd al-Adha réside avant tout dans le partage, l’unité et la compassion.

Aidkom Mabrouk! 

Wissal Ayadi