La contribution de l’Islam à la pensée des lumières au centre d’un débat à Beit-Al-Hekma
Les sources étrangères des Lumières occidentales. Telle était la thématique du colloque scientifique international, organisé vendredi et samedi derniers, par l’académie des sciences, des lettres et des Arts (Beit –Al-Hekma).
Le débat a tourné autour des contributions des différentes civilisations, à l’élaboration de la pensée des Lumières ; ce mouvement littéraire et culturel qu’a connu l’Europe du XVIIIe siècle…
Dans son allocution ayant pour titre, « ce que les Lumières doivent à la civilisation arabo-musulmane », le professeur Hafedh Gouiaa de l’université de Sfax, a souligné que cette question n’a jamais été posée avec acuité en Europe.
Selon lui, les historiens occidentaux ont admis clairement que l’Europe de la Renaissance doit beaucoup à la civilisation arabo-musulmane. Mais, en revanche, l’influence directe de l’Islam sur les Lumières, n’a été démontrée que dans quelques ouvrages comme dans  « Ce que l’Occident doit à l’Islam », de Gabriel Martinez…
«Le siècle des Lumières est actuellement le centre d’intérêt de beaucoup de chercheurs, car les courants islamiques extrémistes comme la Qaida et Daech, l’ont utilisé comme une apologie pour leurs combats menés contre l’occident », a-t-il souligné.
« Ces extrémistes ont baptisé leur idéologie « Al Islam Al Mûstanir », soit un Islam politisé, basé sur le Wahhabisme, qui prétend s’inspirer des conquêtes territoriales du prophète Mahomet, « Al Foutouhat » ».
« Depuis l’apparition de ces courants religieux extrémistes, il y a eu un retour massif des académiciens vers l’époque des lumières. Cet intérêt aux Lumières, est apparu comme une réponse à la réapparition de l’Islam politique, qui menace selon eux, la stabilité et la sécurité des sociétés européennes », a-t-il souligné.
« En effet, l’extrémisme religieux de Daech et de la Qaida rappelle à certains penseurs, un éventuel retour des « sarrasins », qui existaient trois siècles avant les croisades, soit les alliés du prophète Mahomet, très critiqués dans la culture occidentale… », a expliqué Professeur Gouiaa.
« D’autres conclusions tirées par des chercheurs occidentaux ayant utilisé une approche démonstrative a déplu à la droite libérale en France…Car à travers leurs analyses, ils ont pu innocenter l’Islam de la Qaida et Daech, en rappelant le rôle qu’a joué la civilisation arabe dans le développement de l’Europe à l’époque médiévale.»
A ce sujet, Hafedh Gouia a conclu que la montée de l’extrémisme est plutôt une conséquence, de l’hésitation et du vacillement de l’occident entre le conservatisme religieux chrétien et la pensée libérale des lumières, dont il ne reste que les slogans…
Ces chercheurs auraient mieux fait de redéfinir les fausses connaissances acquises par les européens, à cause d’une histoire écrite, faussée, et basée sur des comparaisons perfides, entre les prophètes Mohamed et Jésus (Issa), a-t-il conclu.
« L’autre », un repoussoir dans la littérature de Montesquieu et de Voltaire
En marge de ce colloque, l’essayiste Denise Ibrahimi, a confirmé que les Lumières européennes n’existeraient pas, sans leur prise en compte de ce qui leur venait d’ailleurs.
Elle a évoqué le roman épistolaire de Montesquieu publié en 1727, rassemblant la correspondance fictive échangée entre deux voyageurs persans, Usbek et Rica.
Cet ouvrage est fondé beaucoup plus sur l’enthousiasme, que sur le besoin de théoriser et de convaincre, par la pensée des Lumières, a-t-elle souligné.
« Néanmoins, Montesquieu lui-même, quand il a choisi cette espèce d’invention qui consiste à imaginer deux persans Usbek et Rica, venant à Paris, il a accompli un renversement, car il s’agit de poser un regard de l’extérieur sur la France… »
La critique littéraire a souligné que c’était une belle initiative littéraire de Montesquieu, voire une révolution qui va lui permettre de jouer sur deux tableaux…
« A travers les deux personnages, il va faire la critique d’un gouvernement despotique, féroce à l’égard des femmes, puisqu’il imagine une histoire aux termes de laquelle, Roxane l’un des personnages, va se révolter contre son mari en son absence, en exprimant son désir de liberté et l’aptitude de la conquérir… »
Denise Brahimi a révélé également, que cette technique de renversement, qui utilise l’altérité, fait de l’étranger « un repoussoir »…
Ce n’est pas une pensée simple qu’a utilisé Montesquieu. A travers le double et l’ambigu, il renvoie à l’intolérance et le rejet de l’autre « étranger »…
D’ailleurs c’est la même approche utilisée par Voltaire, a-t-elle ajouté, en se référant à la pièce de théâtre « Le fanatisme ou Mahomet ».
Tout comme Montesquieu, ce qui intéresse Voltaire dans cette pièce, c’est de trouver l’exemple et le contre-exemple. Il leur fallait deux points de vue.
« Les lumières se basent sur la pensée dialogique, qui met en présence deux positions tout à fait différentes, et qui essaient de les faire fonctionner l’une par rapport à l’autre… »
Dans cette pièce, Voltaire part d’une position, où l’Orient équivaut à un repoussoir. Il fait cela encore une fois en s’inspirant d’un texte très lu à l’époque, datant de 1730, cité souvent par les penseurs des Lumières ».  Il s’agit de « La vie de Mahomet », qui discute les réflexions Mahométanes, et les coutumes des musulmans…
Concernant ce texte, Voltaire dit que son ennemi principal n’était pas le prophète  Mahomet, mais le fanatisme qui n’est pas propre non plus à l’Islam.
Brahimi a tenu à confirmer, que le personnage discuté n’est pas convaincant du tout. « C’est un personnage fabriqué, allusif, d’ailleurs beaucoup de gens qui fréquentaient le théâtre, croyaient qu’il s’agissait d’un pape controversé et non pas d’un prophète… »
Des universitaires et chercheurs de renommée ont enrichi le débat autour des questions de l’orientalisme des Lumières de l’Italie, l’influence confucéenne, et l’impact des traductions du Coran…
Emna Bhira