ALECA : La Tunisie réclame 10 à 15 ans pour préparer son agriculture à la concurrence

04-04-2019

Des négociations sur l’accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) ont été entamées entre l’Union Européenne et la Tunisie en 2015. Le prochain round des négociations est prévu du 29 avril au 3 mai prochain à Tunis.

Les progrès réalisés jusqu’ici sont néanmoins limités. Le développement de l’intégration économique du pays dans le marché de l’UE soulève plusieurs controverses. Notamment en ce qui concerne le domaine agricole. C’est dans ce cadre que l’UTAP a présenté ce mercredi à Tunis le résultat de deux études menées par l’Observatoire Tunisien de l’Economie et la Fondation Rosa Luxembourg. L’une porte sur les barrières tarifaires et l’autre sur les subventions internes.

Faire concurrencer l’UE et la Tunisie ne reviendrait-il pas à comparer le combat de David et Goliath ?

Selon le rapport sur les barrières tarifaires, la majorité des produits agricoles et de pêche tunisiens exportés vers l’Union Européenne bénéficient déjà d’un régime préférentiel, et ce sur certains produits. Cela concerne notamment, l’huile d’olive, les dattes, le thon, les crevettes et les cigarettes. A l’inverse, les produits majoritairement importés de l’UE sont encore relativement protégés par des droits de douane élevés (30% en moyenne sur tous les produits agricoles et de pêche).

Dans un entretien accordé à Gnet, Abdelkhalek Ajlan, membre du bureau exécutif de l’UTAP dénonce cette situation. Il s’en prend au gouvernement de vouloir allier la Tunisie avec « l’Europe des banques, des géants et des multinationales ». Ajlan a également rappelé que « 80% des exploitants agricoles étaient de petites fermes familiales ». Selon l’UTAP, 12.000 agriculteurs ont dû abandonner leurs exploitations. Ainsi comment ces petites structures pourront rivaliser avec les géants industriels présents en Europe ?

Autre sujet, que pointe le rapport. Il concerne les subventions publiques allouées par l’Etat. Alors que les négociations sur l’accès au marché des deux parties se concentrent essentiellement sur le démantèlement tarifaire, l’étude démontre que l’Union Européenne protège bien plus son marché intérieur via sa politique de subvention. Un mécanisme qui lui permet de baisser artificiellement ses prix intérieurs et ainsi de ne pas trop toucher son régime tarifaire. A noter que 40% du budget européen est dévolu à la politique agricole commune.

Pour le représentant de la centrale syndicale, il s’agit là d’une pure concurrence déloyale. Abdelkhalek Ajlan nous explique : « En Tunisie le seul moyen de protéger nos produits agricoles et nos produits de pêche sont les taxes douanières. Quand on voit les deux études et surtout celle concernant les subventions internes, on voit que le pourcentage des tarifs douaniers en Europe est d’environ 6%, contre 30% en Tunisie et ce grâce aux subventions de l’UE ».

Le gouvernement veut donc prendre le temps de la réflexion
De son côté le ministère de l’Agriculture tient à rassurer. La Tunisie ne se laissera pas happer par le rouleau compresseur de l’Union Européenne. D’après, Halim Guesmi, représentant du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche « il n’y a encore aucun engagement de la partie tunisienne en ce qui concerne le secteur agricole ». Il a également ajouté que la Tunisie devait tout d’abord se mettre à niveau en profitant du droit de transition de 10 ans octroyé par l’Organisation Mondiale du Commerce en faveur des pays en voie de développement. Une période qui pourrait même aller jusqu’à 15 ans, toujours selon Guesmi.

Cet accord de libre-échange pourrait constituer une vraie menace pour la souveraineté et la sécurité alimentaire. Rappelons que la crise du lait, des œufs ou de la viande est due au fait que la Tunisie importe plus de 50% de l’alimentation destinée au bétail et volailles. Donc quand il y a dépréciation du dinar tunisien, les coûts de production augmentent. Si l’accord en venait à être signé en l’état, la Tunisie pourrait devenir une usine à fabriquer et non à produire, et tout cela au seul avantage de l’Union Européenne.

Wissal Ayadi