Phobies, addictions, recours aux anxiolytiques : Enquête sur les Tunisiens de l’après-Coronavirus

14-07-2020

Crise, confinement, Covid, coronavirus…autant de mots qui ont agité le quotidien des habitants de la planète toute entière. De manière générale, toute crise déstabilise les habitudes. Les crises font ressortir au grand jour les limites d’un modèle de vie acquis depuis toujours : ce qui ne semblait pas de l’ordre du possible le devient soudainement. Quelles sont  la nature de ces mutations sociologiques ? Quels impacts psychologiques et quelles séquelles a laissé cette pandémie ? Pour répondre à ces questions, Gnetnews a fait appel à deux experts.

Personne ne s’y attendait…le monde a dû faire face à ce qui apparaît comme la plus grosse crise sanitaire de l’histoire de l’humanité. Pendant plus de deux mois, des milliards de personnes se sont retrouvées du jour au lendemain confinées chez elles, privées de leur liberté. Une privation qui a mené, sans surprise, à des changements de comportement et donc à des mutations sociologiques sans précédent. Tarek Belhadj Mohamed est chercheur en sociologie. Il explique que cette crise est juste un retour brutal à la réalité.

Mutations sociologiques

« Le confinement a fait ressortir le côté pervers de l’être humain. L’enfermement, la promiscuité, l’inconnu et la peur de l’avenir ont fait ressortir la vraie nature de l’Homme. Une réalité refoulée à laquelle auparavant nous trouvions des justifications en se réfugiant dans le travail, les études ou les relations humaines », nous dit-il.

Une des conséquence de ce retour à la vraie nature de l’être humain, l’explosion de nombre de divorces à la sortie de confinement, non pas seulement en Tunisie mais également dans le monde entier. « Avec le confinement, le Tunisien s’est rendu compte qu’on ne peut pas vivre ensemble. La vie de tous les jours est devenue une cohabitation plus qu’une vie commune. Une cohabitation imposée par un phénomène extérieur et incontrôlable ».

Pendant e confinement, dans les foyers est apparu la notion de dominant/dominé.

Autre changement sociologique qui a été mis en avant pendant la pandémie, l’égalité. « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte de classes ». Cette citation de Karl Marx et Friedrich Engels datant de 1848 semblait jusqu’à ce début d’année 2020, une pensée inébranlable. « Le Covid-19 a remis tout le monde sur le même pied d’égalité ». Personne n’est supérieur à l’autre face à la maladie », indique le sociologue.

L’homo-sapiens est l’esprit et le corps dans lequel les êtres humains sont devenus ce que nous sommes aujourd’hui. D’après Tarek Belhadj Mohamed, le coronavirus nous a fait revenir aux instincts les plus basiques et les plus primitifs. « On ne vit pas, on survit », dit-il.

Les comportements primitifs se traduisent par une augmentation de la violence pour se protéger, une baisse de l’exigence du point de vue du niveau de vie et un repli sur soi qui mène à la solitude.

En Tunisie, notre culture et notre mode de vie nous pousse à vivre rapprochés les uns des autres. Depuis le confinement, ces habitudes ont changé. Les Tunisiens ont plus de réticences à aller chez les uns et les autres, de nombreuses cérémonies de mariage ont été annulées et reportéeS à une date ultérieure, etc. Pourtant, selon le chercheur en sociologie, ce phénomène de repli sur soi ne sera que passager. « En Tunisie, la notion d’individualisme est faible, donc le repli sur soi ne perdurera pas dans le temps. Nous sommes incapables de vivre seul car nous avons encore cette notion de clan, de régionalisme, de famille. Une mentalité archaïque dans une société qui se dit moderne », affirme-t-il.

Concernant les mesures d’hygiène, l’expert estime que les Tunisiens sont un peuple non appliqué. A cet égard, il souligne que si les Tunisiens ont adopté les bons gestes à l’intérieur des foyers, ceux-ci sont loin d’être mis en pratique à l’extérieur. « Dans notre société, nous considérons que l’espace public ne nous appartient pas et que donc aucun effort n’est dû ». A titre d’exemple, le port du masque qui a été largement assimilé pendant le confinement, ne l’est plus depuis la fin de la pandémie.

Enfin, autre phénomène sociologique celui de la consommation. Le retour à l’état primitif et au repli sur soi a changé en profondeur les habitudes. « La campagne qui a toujours été dans l’inconscient collectif synonyme de pauvreté est devenue synonyme de luxe après la crise sanitaire. Par exemple ceux qui étaient propriétaires de maisons de campagne ont été enviés par ceux habitant en ville », indique le sociologue. Les Tunisiens se sont également tournés vers la nourriture biologique et le fait-maison, qui d’après notre interlocuteur, resteront ancrés dans les habitudes.

Syndromes psychologiques et post-traumatiques

Se retrouver coincé à domicile n’est pas sans douleur. Le confinement a eu des effets psychologiques parfois dévastateurs sur les personnes les plus vulnérables, mais aussi sur des personnes saines.

Anas Laouini est psychothérapeute. Il nous explique qu’il faut différencier deux catégories de personnes. Les malades et les non-malades.

Certaines personnes souffrent de ce qu’on appelle les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Pour elles, le confinement a été une épreuve du combattant, notamment pour les gens qui sont obsédés par la propreté.
« Avec le coronavirus, ils ont confirmé les pensées pathologiques et leur maladie s’est donc aggravée. J’ai reçu dans mon cabinet beaucoup de personnes qui souffraient de cette maladie. Après le coronavirus, tout le travail qui a été fait avant pour les aider est tombé à l’eau, car la crise les a confortés dans l’idée qu’ils étaient dans la vérité ». Un retour à la case départ qui risque de prendre du temps pour retrouver le chemin de la guérison.

Autre syndrome, encore plus grave que les TOC, la thanatophobie est la peur des maladies graves et de la mort. La peur pour soi-même et la peur également pour son entourage. Très fréquente, elle constitue une des plus importantes maladies psychologiques dans le monde. Ces personnes se créent des scénarios catastrophes les empêchant de vivre une vie normale. La thanatophobie se traduit par des crises d’angoisses ou encore des insomnies. A ce comportement, s’ajoutent des éléments dépressifs avec une impression de mort à chaque moment. « Leur maladie s’est tellement développée pendant le confinement que nous-même en tant que psychothérapeutes  nous n’étions plus en mesure de les traiter et de les soigner », indique Anas Laouini.

« Après le coronavirus, cette peur a persisté et il est très difficile de s’en sortir. Pour les personnes les plus atteintes par cette pathologie, il est apparu un phénomène de « généralisation » après le confinement. En d’autres termes, elles ont transféré leur phobie à leur quotidien entier (peur de l’avion, peur de la voiture etc) », ajoute-t-il.

Pourtant ces personnes sont celles qui respectent le plus les gestes barrières pour se protéger du virus, mais de manière extrême. Par exemple, si un masque jetable a une durée de vie de  4h, ces personnes les changent au bout de 30mn.

Stress post-traumatique

La dépression est la maladie de la perte de l’espoir. « Déjà qu’avant l’apparition de cette crise, les dépressifs ne mettaient pas beaucoup d’espoir dans leur vie, avec le coronavirus cette pathologie s’est aggravée. Les services psychiatriques des hôpitaux ont été surchargés, les cabinets de psychiatrie et de psychothérapie aussi », affirme le médecin.

Le manque d’activité a détérioré l’équilibre émotionnel. Si la plupart des cabinets de psychothérapie sont restés ouverts pendant le confinement, certains ont fait le choix de ne pas travailler. Ceux-la ont parfois été victimes de harcèlement de la part de leur patients du fait d’un désespoir infini.

Autres personnes également touchés durement par la crises, celles atteintes de psychose, de schyzofrénie ou de paranoïa…

L’équilibre émotionnel est régi par les activités sociales comme le travail, les études, le sport, etc. Mais il est également régit par l’espoir. « Je vais m’engager dans un projet, je vais poursuivre mes études à l’étranger, je vais rencontrer des gens, je vais voyager ». Des espoirs et des projets réduits à néant par le confinement. Sans visibilité sur le moment où un traitement ou un vaccin seront trouvés, ces personnes, à la base saines, sont entrées dans un cycle dépressif.

« Les réseaux sociaux et les informations relayées par les médias, ont accentué leur chemin vers la maladie psychologique », nous dit le psychothérapeute. « Certaines personnes sont même allées se demander si ce n’était pas la fin du monde. Cette crise du coronavirus a été vécue comme un trauma, ce qui a développé chez eux, un stress post-traumatique au moment du déconfinement », ajoute-t-il.

Ce traumatisme a fait apparaître ce que l’on appelle des comportements pathologiques comme l’agressivité. L’expert nous indique que l’agressivité est un comportement humain car il se manifeste lorsque l’être humain ressent un danger. Mais cette agressivité doit être adaptée.

« Pendant le confinement, l’état émotionnel de ces personnes étant gravement atteints, le malade perd tout discernement vis à vis de cette agressivité. La violence est une manière pour eux de faire baisser leur charge émotionnelle».

Autre phénomène psychologique découlant de la pandémie, l’augmentation des addictions. Tabac, drogue, alcool, ou encore jeux -vidéo.

Il a également été observé l’explosion des ventes anxiolytiques, anti-dépresseurs et autres  somnifères. Les pharmacies se sont retrouvées en rupture de stock, créant un marché parallèle.

Une fois le confinement terminé, ces addictions persistent chamboulant leur rythme de vie habituel et ayant des incidences graves dans leur vie de tous les jours (travail, foyer, relations humaines).

Wissal Ayadi