Tunisie : La désindustrialisation, principale cause du déficit abyssal avec plusieurs pays

22-09-2023

La ministère du Commerce a pris la décision récemment de réviser l’accord de libre-échange établi avec la Turquie depuis 2004. Cette initiative vise à atténuer la montée du déficit commercial qui sévit en Tunisie. 

En effet, la Tunisie affiche les sept premiers mois de 2023, un déficit commercial s’élevant à 10 228,3 millions de dinars (MD), essentiellement attribuable aux échanges commerciaux déficitaires avec plusieurs nations. Parmi les contributeurs majeurs à cet état de déséquilibre figurent la Chine, la Russie, l’Algérie, la Turquie, l’Ukraine, le Brésil, l’Égypte et les Etats-Unis d’Amériques, l’Arabie saoudite, la Grèce et le Japon.

Un chiffre abyssal duquel la Tunisie n’arrive pas à se sortir malgré quelques améliorations. Le point avec l’économiste Moez Hadidane.

Quelques chiffres*

Le pays avec lequel la Tunisie est le plus déficitaire est la Chine avec un déficit commercial de 4,77 milliards de dinars. Elle représente 10,4% des importations totales, contre 0,1% des exportations. La Tunisie n’est pas la seule dans ce cas, puisque la Chine est considérée comme l’usine du monde.

Ensuite vient la Russie. « Le déficit commercial a littéralement explosé », constate Hadidane. En effet, ll s’établit à 3,66 milliards de dinars, en augmentation de 164% comparé à la même période en 2022. Elle représente 8,0% des importations de la Tunisie depuis l’étranger et seulement 0,1% des exportations. « Ceci s’explique notamment par la hausse des importations de blé, dont les cours ont explosé, mais aussi par la hausse des importations de pétrole », indique Moez Hadidane.

En troisième position dans le classement des pays avec lesquels la Tunisie est le plus déficitaire, nous retrouvons l’Algérie avec un déficit de 2,48 milliards de dinars (+59,4%). « La Tunisie importe essentiellement du gaz provenant de l’Algérie. Cette hausse n’est pas la première, puisque en 2022, ce déficit avait déjà augmenté de 136% par rapport à 2021 », rappelle l’économiste. L’Algérie contribue à hauteur de 6,7% des importations de la Tunisie et 1,7% des exportations. 

La Turquie arrive quant à elle en 4ème place des pays avec lesquels la Tunisie est le plus déficitaire, perdant ainsi deux places par rapport à la même période en 2022. Son déficit est de 1,7 milliards de dinars, en baisse de 39%. « Le déficit commercial avec la Turquie a subi une hausse lors au sept premiers mois de 2022 de 88,5%, pour finalement diminuer cette année ». 

La part des importations depuis la Turquie représente 4,7%, contre 1,2% des exportations. Durant le même période de l’année précédente, La part des importations depuis la Turquie représente 6,7%, contre 0,8% des exportations.

On retrouve ensuite l’Ukraine avec qui le déficit a doublé (813 millions de dinars). Par ailleurs, la balance commerciale des biens présente un excédent avec certains pays tels que la France, l’Allemagne, l’Italie, la Libye et les Pays bas. Le déficit avec l’Italie enregistré aux sept premiers mois 2022 de 1232,5 Md s’est transformé en un excédent cette année de 517,8 MD. « Il y a eu ce qu’on appelle un effet ciseaux avec la France et l’Italie puisque les importations avec ces pays ont diminué, tandis que les exportations ont augmenté », souligne l’économiste. 

*sept premiers mois de 2023

Révision de l’accord de libre-échange avec la Turquie 

Le ministère du Commerce et du Développement des exportations s’est engagé activement dans une révision des clauses de l’accord de libre-échange conclu avec la Turquie en 2005. L’objectif étant de réduire le déficit commercial de la Tunisie avec ce pays.

Dans cette optique, le ministère envisage d’élargir la liste des produits exclus du régime préférentiel, notamment les produits locaux similaires et les secteurs industriels confrontés à des difficultés dues à l’augmentation des importations en provenance de Turquie. 

Les principaux produits importés depuis la Turquie sont le textile (vêtements et tissus), l’acier, les substances et produits chimiques, les céréales, légumineuses et oléagineuses et enfin les meubles, papiers et produits forestiers. 

« La baisse des importations depuis la Turquie (-30,5%) est due notamment à la hausse douanière décidée en 2018 par le gouvernement de Youssef Chahed et la mise en place du contrôle préalable décidé récemment », nous dit Hadidane. En parallèle, les exportations tunisiennes vers la Turquie ont augmenté, passant de 276 millions de dinars à 432 millions de dinars.

« Pour autant, la baisse de nos importations depuis la Turquie n’explique pas, à elle seule, la diminution des importations totales. Cette diminution traduit un ralentissement de la croissance économique, de l’investissement et de la hausse des prix des matières premières, décourageant ainsi les importations », ajoute Moez Hadidane. 

La désindustrialisation de la Tunisie  

Si quand bien même le déficit commercial s’est allégé, à la fin juillet 2023, il n’en reste pas moins important. Cela s’explique notamment par une transformation structurelle qui sévit en Tunisie depuis une dizaine d’années : la désindustrialisation. 

Ce phénomène se réfère à la diminution de la part de l’industrie manufacturière dans l’économie. En effet, le pays a vu la fuite de nombreuses entreprises qu’elles soient locales ou offshore et notamment dans le domaine du textile. Une situation particulièrement préoccupante car l’industrie a longtemps été un pilier de l’économie, laissant place aujourd’hui à une économie de service, à un secteur agricole vulnérable et qui peine à se développer et enfin à une économie touristique à bout de souffle. 

Les causes de la désindustrialisation sont multiples. D’abord, la Tunisie fait face à une concurrence croissante de la part d’autres pays à faibles coûts de main-d’œuvre, ce qui rend difficile pour les entreprises tunisiennes de rivaliser sur les marchés mondiaux.

Par ailleurs, l’industrie tunisienne a longtemps souffert d’un sous-investissement, ce qui limite sa capacité à innover, à moderniser les infrastructures, à améliorer la productivité, mais surtout à acquérir un savoir-faire durable.

Enfin, les entreprises en Tunisie sont confrontées à une bureaucratie excessive et à des contraintes réglementaires qui entravent leur croissance et leur compétitivité.

La désindustrialisation entraîne également une diminution des exportations, affectant inexorablement le balance commerciale et entraîne la perte de compétences industrielles précieuses, rendant difficile la reprise de l’industrie à l’avenir.

Ainsi, les conséquences de la désindustrialisation sont fatales pour l’économie nationale et rendent difficiles la baisse du déficit commercial. Dans ce sens, la réduction de la part de l’industrie a rendu l’économie plus dépendante des secteurs tels que les services, ce qui peut être risqué en termes de stabilité économique.

« La Tunisie devra faire des efforts sur la promotion de l’innovation, l’amélioration de l’environnement des affaires, la diversification des industries et la recherche de marchés d’exportation nouveaux et plus stables. L’ouverture sur l’Afrique via des partenariats privés étrangers peut être une solution », conclut Moez Hadidane. 

Wissal Ayadi