Édito : Tunisie et IA – Le grand écart entre le rêve technologique et la réalité archaïque

03-02-2025

Cette semaine, un séisme technologique a secoué la planète IA. Son épicentre ? Une startup chinoise baptisée DeepSeek, qui, avec des moyens financiers modestes, a réussi à rivaliser avec les géants américains comme OpenAI ou Microsoft. Une preuve éclatante que l’intelligence artificielle n’est pas une chasse gardée des superpuissances économiques. Elle est à portée de tous les pays, à condition d’y croire, d’investir, et surtout, de bâtir un écosystème où innovation et audace politique se rencontrent. 

Pourtant, en Tunisie, ce séisme semble à peine ressenti. Loin de surfer sur la vague de l’IA, le pays recule, année après année, dans les classements internationaux. Selon le FMI, la Tunisie se classe 84ᵉ sur 174 en matière de préparation à l’IA. Autre exemple, le rapport d’Oxford Insights la relègue à la 92ᵉ place mondiale, en chute libre de 11 rangs depuis 2023. Cinquième année consécutive de déclin : un signal d’alarme qui devrait faire trembler les décideurs. 

La Tunisie face à l’IA : Entre discours et réalité 

Alors que DeepSeek symbolise la capacité des petits acteurs à ébranler, voire semer le doute sur l’ordre établi, la Tunisie semble s’enliser dans un paradoxe tragique. D’un côté, des gouvernements qui brandissent l’étendard de la « digitalisation Â» ; de l’autre, une réalité où les citoyens font toujours la queue pour un extrait de naissance, où l’on importe des bus rutilants d’occasion pour sauver les transports publics à l’heure de l’électrique, où le passeport biométrique reste un serpent de mer administratif. 

Pire encore, le pays tourne le dos à ses atouts. Les start-up, ces fers de lance de l’économie moderne, sont étouffés au profit des sociétés communautaires. Certes, ces dernières jouent un rôle social, mais leur modèle économique, souvent ancré dans des secteurs traditionnels, ne prépare pas la Tunisie aux défis du XXIᵉ siècle. Résultat : les talents fuient. Les « start-uppers Â», ces artisans de l’innovation, plantent leurs graines ailleurs, là où l’écosystème leur offre soleil et engrais : financement, réglementation souple, reconnaissance. 

Le paradoxe tunisien : un capital humain brillant… mais en exil

La tragédie ne réside pas dans un manque de compétences. La Tunisie regorge de diplômés en ingénierie, en informatique, en data science. Son « capital humain Â» est salué par les rapports internationaux et les grandes multinationales à travers le monde. Mais que vaut ce capital si le pays ne lui offre ni terreau fertile ni perspectives ? L’innovation étouffe sous le poids d’une bureaucratie kafkaïenne, d’un climat des affaires hostile et d’un manque criant de vision stratégique. 

Alors que le monde mise sur l’IA pour booster productivité, santé, éducation ou énergie, la Tunisie semble hypnotisée par une nostalgie économique. On privilégie l’économie sociale et solidaire – nécessaire, mais non suffisante – au détriment d’une économie de la connaissance. Un choix périlleux, car l’IA n’est pas un gadget : c’est un tsunami qui redéfinira l’emploi, la compétitivité, le niveau de vie mais aussi le quotidien du monde entier. Ignorer cette réalité, c’est condamner les futures générations à un rôle de figurants sur la scène mondiale. 

Guerre ChatGPT vs DeepSeek : Une leçon à méditer

La rivalité entre ChatGPT et DeepSeek n’est pas qu’une bataille d’ego technologiques. Elle incarne une nouvelle ère où la puissance se mesure en algorithmes, en data et en agilité. Ces technologies sont les mines d’or des économies de demain. Or, la Tunisie, au lieu de creuser son propre filon, regarde passer le train. 

Le pays a pourtant les cartes en main : une jeunesse connectée, des compétences reconnues, et un positionnement géostratégique. Mais il lui manque l’essentiel : une volonté politique courageuse, prête à simplifier les réglementations, à attirer les investisseurs, et à parier sur les start-up plutôt que sur les modèles du passé. 

La révolution de l’IA ne demande pas la permission. Elle avance, avec ou contre nous. La Tunisie ne pourra pas éternellement se cacher derrière des discours ou des classements en berne. Soit elle se réveille, en faisant de l’innovation une priorité nationale, soit elle accepte de devenir un musée économique, où l’on commente, impuissant, les succès des autres et des siens à l’étranger.

DeepSeek a montré qu’avec peu de moyens mais beaucoup d’ambition, on peut ébranler des géants. À la Tunisie maintenant d’écrire sa propre histoire avant que ses cerveaux, ses espoirs et son avenir ne soient définitivement captés par d’autres. 

Wissal Ayadi