Tunisie : L’enseignement privé impacté par la crise économique, l’Etat appelé à la rescousse !
La crise économique persistante en Tunisie a laissé des cicatrices profondes à travers tous les secteurs de la société, y compris l’éducation. Alors que le pouvoir d’achat diminue et que les familles font face à des difficultés financières croissantes, l’enseignement privé, autrefois considéré comme une option de qualité, ressent les contrecoups de cette crise.
Baisse du pouvoir d’achat
Avec plus d’un millier d’établissements à travers le pays et plus de 400.000 élèves, la Tunisie est désormais reconnue pour son enseignement privé, qui offre des programmes éducatifs de haute qualité et un environnement d’apprentissage stimulant, face à un système public défaillant et dénué de moyens. Les élèves du privé constituent 7% de l’ensemble des élèves inscrits dans les écoles, contre 93% dans le secteur public.
Mais les statistiques sont implacables…elles montrent un taux de réussite de l’ordre de 40% dans le secteur public alors qu’il est de l’ordre de 70% dans le secteur privé, poussant chaque année, de plus en plus de parents à se tourner vers le privé. Mais ce type d’enseignement à un coût et pas des moindres.
Ainsi, la situation économique difficile qui sévit depuis plusieurs années a créé des difficultés majeures pour de nombreuses familles tunisiennes. Les témoignages de parents sont révélateurs de la situation actuelle.
Marwa, une mère de deux enfants, partage son expérience : « Pendant des années, nous avons sacrifié une grande partie de notre budget pour inscrire nos enfants dans une école privée. Mais avec la crise et l’inflation, nous n’avons tout simplement plus les moyens. Nous avons dû prendre la décision déchirante de les inscrire dans une école publique. »
Nous avons contacté, le fondateur d’une grande chaine d’écoles privées situées dans plusieurs régions de la Tunisie. Il a bien voulu témoigner de manière anonyme. « La crise nous l’avons ressentis depuis la pandémie de Covid-19. Il faut savoir que près de 150.000 PME ont mis la clé sous la porte à cette époque, et nous travaillons essentiellement avec ces gens qui travaillent dans ces PME et aussi avec les fonctionnaires. Il s’agit donc de la classe moyenne supérieure. Cela fait 27 ans que je suis dans l’enseignement privé et je n’ai jamais eu autant d’impayés que l’année dernière. J’ai de nombreux chèques qui me reviennent impayés, même quand il s’agit de petits montants. Nous avons donc été contraints de mettre en place un système de paiement sur 12 mois, même si cela nous crée parfois des déséquilibre dans le budget de l’école », nous confie-t-il.
L’enseignement privé également touché par l’inflation
Zouheir Mechergui, Président la chambre syndicale nationale de l’enseignement privé affiliée à l’UTICA et fondateur du plus grand complexe d’écoles privées à Bizerte, confirme cette tendance.
« La crise économique a un impact important sur tous les secteurs et l’enseignement privé n’y échappe pas.
L’inflation a touché ce secteur, notamment à travers les hausses salariales demandées par les enseignants du privé et la hausse des charges de fonctionnement. Les professeurs dans le privé n’ont pas un salaire élevé. La crise économique qui a entraîné une baisse du pouvoir d’achat pousse les propriétaires d’écoles à augmenter les salaires et les conséquences de cette hausse seront supportées par les parents », souligne-t-il.
« Les hausses annuelles des écoles privées sont dues essentiellement à l’inflation. Pour les parents qui en ont les moyens, ce n’est pas vraiment un problème, mais la classe la plus touchée est la classe moyenne, dont les impayés se font de plus en plus importants dans les établissements scolaires privés », ajoute-t-il.
Ne pouvant pas faire face à la hausse des frais de scolarité, certains parents n’hésitent pas à transférer leurs enfants vers d’autres établissements, privés toujours, mais de moins bonne qualité. Mohamed, un père de trois enfants, explique : « La crise nous a forcé à repenser nos priorités. J’ai inscrit mes enfants dans une école privée, mais moins chère, même si je sais qu’il y aura une baisse de la qualité de l’enseignement. Je compenserai avec les cours à domicile. Cela me coûtera toujours moins cher », déplore-t-il.
En effet, si une école privée de qualité peut couter jusqu’à 7000 dinars l’année, les petites structures, elles, proposent des enseignement à 1500-2000DT l’année, et cela au détriment des élèves et de la qualité de l’enseignement.
« Les principaux problèmes d’impayés se trouvent dans les écoles de « moyenne gamme ». L’impact de la crise économique, ne peut pas vraiment se calculer sur le nombre d’élèves inscrits, car il est en hausse constante, mais plutôt sur le taux de recouvrement. La standard des impayés est de 5%, au delà, cela devient problématique. Et cela devient de plus le cas dans beaucoup d’écoles», ajoute Mechergui.
Impliquer l’Etat dans l’enseignement privé
Selon Zouheir Mechergui, il est temps que l’Etat s’implique d’avantage dans le secteur de l’enseignement privé, afin que ce dernier soit un soutien au système public défaillant.
« Le problème est comment réguler le marché des écoles privées. Il s’agit en réalité de trouver un équilibre entre une entreprise économique et éducative. L’équilibre doit se faire en collaboration avec toutes les parties concernées : l’élève et les parents ainsi que les autorités de tutelles, à savoir le ministère de l’éducation, de affaires sociales et des finances. Il faut une vision claire et stratégique pour le secteur de l’enseignement privé: l’encourager ou non », affirme-t-il.
Dans ce sens, il indique que la réorganisation de ce secteur permettra de trouver des solutions pour les familles dont les moyens ne permettent pas forcément d’accéder à l’enseignement privé.
En effet, selon notre interlocuteur, l’école privée pourrait être une des solutions à une meilleure efficacité du système éducatif. « On peut mettre en place par exemple, un système de bourses pour les familles nécessiteuses », préconise Mechergui.
Wissal Ayadi