La nouvelle loi sur les chèques en Tunisie: Un pansement sur une jambe de bois
Le 2 février 2025 marquera un tournant dans l’histoire économique et sociale de la Tunisie avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les chèques. Ce texte, qui impose des conditions strictes comme un plafond de 30 000 dinars, une durée de validité de six mois et l’intégration d’un QR code pour vérifier la situation du chèque, semble vouloir mettre fin à des décennies de détournement de cet instrument de paiement. Mais derrière cette réforme se cache une réalité bien plus complexe, celle d’un pays où le chèque est devenu le symbole d’une économie en crise, d’une classe moyenne asphyxiée et d’un système bancaire défaillant.
Une classe moyenne prise à la gorge
En Tunisie, le chèque n’est plus simplement un moyen de paiement. Il est devenu un outil de survie pour une classe moyenne en voie de disparition. Face à une croissance économique quasi nulle et une activité commerciale au point mort, les Tunisiens ont trouvé dans le chèque antidaté une bouée de sauvetage. Que ce soit pour payer la scolarité des enfants, acheter un réfrigérateur ou financer des vacances, le fameux slogan « facilité de paiement en 3, 6, voire 10 chèques » est devenu le credo de nombreux commerçants et consommateurs.
Pourtant, cette pratique, bien qu’illégale, est tolérée depuis des années, voire encouragée par un système qui n’a pas su offrir d’alternatives. Résultat : des milliers de Tunisiens se retrouvent piégés dans un cercle vicieux de dettes. Aujourd’hui, près de 7000 personnes croupissent en prison pour des affaires de chèques sans provision, et 450 000 autres sont recherchées. Ces chiffres ne reflètent pas seulement une défaillance du système judiciaire, mais aussi l’ampleur d’une crise sociale qui frappe de plein fouet les plus vulnérables.
La faible bancarisation et l’inaccessibilité au crédit
Si les chèques sont si populaires, c’est aussi parce que les Tunisiens n’ont pas accès aux crédits bancaires. Avec seulement 37 % de la population bancarisée, les banques tunisiennes préfèrent prêter à l’État plutôt qu’aux particuliers ou aux PME. Ces dernières, qui représentent pourtant 99 % de l’activité économique du pays, voient 67 % de leurs demandes de crédit rejetées.
Dans un tel contexte, le chèque antidaté est devenu un mécanisme de financement informel, permettant aux petites entreprises de survivre tant bien que mal. Mais lorsque les clients ne peuvent plus honorer leurs engagements, c’est tout l’édifice qui s’effondre. Les PME et TPME ferment boutique les unes après les autres, plongeant des milliers de familles dans la précarité.
Une crise de confiance généralisée
La crise des chèques sans provision n’est que le symptôme d’une crise de confiance bien plus profonde. À commencer par l’État lui-même, qui parfois ne paie même pas ses fournisseurs en temps et en heure, laissant de nombreuses entreprises en difficulté. Cette défiance s’étend à tous les niveaux : entre les banques et les citoyens, entre les commerçants et leurs clients, et même entre les citoyens et les institutions.
Dans un pays où personne n’est vraiment solvable, pas même l’État, le chèque est devenu le miroir d’une économie paralysée. Les nouvelles dispositions de la loi, bien que nécessaires, risquent de ne pas suffire à résoudre les problèmes structurels. Sans une réforme profonde du système bancaire, sans une relance de l’activité économique et sans une véritable politique de soutien aux PME, cette loi ne sera qu’un pansement sur une jambe de bois.
Une réforme nécessaire, mais insuffisante
La nouvelle loi sur les chèques est un pas dans la bonne direction, mais elle ne doit pas occulter les véritables enjeux. Pour sortir de cette crise, la Tunisie doit repenser son modèle économique, renforcer la bancarisation, faciliter l’accès au crédit et restaurer la confiance entre les différents acteurs. En attendant, la possibilité d’un report de l’entrée en vigueur de la loi, comme l’ont proposé certains députés, pourrait offrir un répit nécessaire pour permettre aux citoyens et aux entreprises de s’adapter.
Car au-delà des chiffres et des lois, c’est bien la vie de milliers de Tunisiens qui est en jeu. Une vie souvent brisée par un système qui a laissé faire, trop longtemps, une machine infernale qui à force s’est enrayée. Il est temps de mettre fin à cette spirale, mais pas au détriment des plus vulnérables.
Wissal Ayadi