La Tunisie sur la liste négative du FMI, un expert pointe « un manque de transparence en matière de gestion des finances publiques »
Récemment, le Fonds monétaire international (FMI) a divulgué une liste actualisée des pays membres où les consultations de l’Article IV ont subi des retards dépassant 18 mois, couvrant la période jusqu’au 15 décembre 2023.
Ainsi, six nouveaux pays ont fait leur entrée sur cette liste : le Burkina Faso, le Tchad, Haïti, le Myanmar, la Russie et enfin… la Tunisie.
Les autorités tunisiennes indiquent néanmoins que les concertations se poursuivent avec l’institution financière, rajoutant un manque de clarté dans un contexte déjà compliqué.
Hamza Meddeb, chercheur au Carnegie Middle East Center et directeur du programme d’économie politique nous livre son analyse.
Qu’est-ce que l’article IV du FMI ?
L’article 4 du Fonds monétaire international (FMI) fait référence à des consultations régulières entre le FMI et ses pays membres. Ces consultations font office « d’évaluations périodiques » et sont prévues dans les statuts du FMI. L’objectif principal de ces consultations est de permettre au FMI d’évaluer la situation économique et financière d’un pays membre, ainsi que ses politiques économiques et monétaires.
Voici quelques points clés concernant les consultations au titre de l’article 4 du FMI :
Fréquence : Les consultations au titre de l’article 4 ont lieu généralement tous les 12 à 24 mois, bien que la fréquence puisse varier en fonction des circonstances économiques et des besoins du pays.
Évaluation : Lors de ces consultations, le FMI examine divers aspects de l’économie du pays, tels que la croissance économique, l’inflation, le chômage, la balance des paiements, les politiques budgétaires et monétaires, ainsi que d’autres facteurs économiques et financiers.
Recommandations : Le FMI formule des recommandations sur les politiques économiques que le pays pourrait mettre en Å“uvre pour améliorer sa stabilité macroéconomique, stimuler la croissance économique et résoudre d’éventuels problèmes économiques ou financiers.
Collaboration : Les consultations au titre de l’article 4 sont basées sur une collaboration entre le FMI et le pays membre concerné. Les autorités nationales du pays fournissent des informations et des données, et les discussions entre les deux parties sont généralement constructives.
Transparence : Les résultats des consultations et les recommandations du FMI sont généralement rendus publics, ce qui favorise la transparence et permet aux marchés financiers, aux investisseurs et au public en général de prendre connaissance des évaluations du FMI.
Ces consultations jouent un rôle important dans le renforcement de la coopération entre le FMI et ses pays membres, contribuant ainsi à la stabilité financière mondiale. Il est à noter que bien que le FMI puisse formuler des recommandations, la mise en œuvre des politiques reste de la responsabilité des autorités nationales du pays concerné.
Rupture évidente avec le FMI
La « liste négative », sur laquelle la Tunisie a été placée, se réfère à une liste spécifique des pays pour lesquels les consultations de l’Article IV ont connu des retards significatifs. Ces retards peuvent être interprétés comme des signaux de tensions ou de difficultés dans les relations entre le FMI et ces pays.
Il est important de noter que les retards dans les consultations de l’Article IV ne signifient pas nécessairement un jugement négatif sur la politique économique d’un pays, mais plutôt une interruption ou un retard dans le processus d’évaluation et de dialogue entre le FMI et le pays membre concerné.
« Le FMI n’est pas simplement une organisation qui finance des programmes de réformes c’est aussi une institution qui est chargée d’évaluer la situation macroéconomique des pays membres car cela fait partie de son rôle de garant de la stabilité du système financier international. Donc tous les pays membres doivent s’engager positivement pour réaliser les consultations relatives à l’article 4.
L’absence de participation de la Tunisie à ces consultations a entraîné son placement sur cette liste, reflétant une rupture évidente avec le FMI, nous dit Hamza Meddeb.
Si la ministre des Finances Sihmen Boughdiri Nemsia assure que les relations n’ont pas été rompues avec le FMI, force est de constater que c’est tout le contraire. A cet égard l’expert rappelle que la Tunisie a fini par rejeter l’accord technique conclu en octobre 2022, malgré une main tendue par le FMI à la Tunisie pour l’élaboration d’un nouveau plan, la Tunisie n’a pas réagi en proposant une contreproposition.
« Les déclarations controversées du président Kaïs Saïed envers le FMI ont contribué à cette situation de rupture. De plus, l’élaboration du budget 2024 sans le financement du FMI souligne la crise de confiance », ajoute Meddeb.
Les doutes sur la transparence financière de la Tunisie
Selon Hamza Meddeb, le refus de se soumettre à l’Article IV suggère un manque de transparence sur la gestion des finances publiques. En effet, la revue de l’article 4 suppose d’ouvrir les comptes et expliquer les déficits dans un rapport qui sera rendu publique.
« C’est un exercice embêtant pour les autorités tunisiennes car elles devront donner des explications sur leur gestion des finances publiques et leurs prévisions. Le retard, ou le refus de la Tunisie de se soumettre à l’article 4 du FMI montre que les autorités tunisiennes ne veulent pas s’expliquer sur la réalité des finances publiques.  Il y a un manque de transparence total de la part de la Tunisie sur la manière dont l’économie est gérée. On le voit notamment sur les pénuries organisée mises sur le dos des spéculateurs alors qu’il s’agit d’un manque clair de budget pour importer les produits de base. Ce n’est pas quelque chose dont les gouvernements sont fiers », relève le chercheur.
Ce dernier souligne à cet égard le problème majeur de la dette garantie par l’État. « le montant de la dette garantie par l’Etat reste encore une énigme et je pense que la Tunisie ne veut pas apporter de réponses sur cette question, surtout en pleine année électorale ».
Par ailleurs, la Tunisie risque de compromettre ses relations bilatérales et l’accès à des prêts internationaux, car de nombreux pays conditionnent leur aide à un accord avec le FMI. « Le placement sur la liste négative peut également influencer les relations avec des institutions multilatérales comme la Banque Mondiale, la Banque Africaine de développement et autres banques de développement.
« Du côté européen par exemple, il ne reste plus rien à part ce fameux accord migratoire. Si 150 millions d’euros ont déjà été débloqués, quid des 900 millions d’appui budgétaire promis en l’absence d’un accord avec le FMI ? », s’interroge-t-il.
Wissal Ayadi