Tunisie : Les freins à la transition vers l’économie circulaire, et le rôle clef des Start ups (Entretien avec Mounir Majdoub)

28-03-2024

L’économie circulaire, modèle de développement durable axé sur la réutilisation et le recyclage des produits en fin de vie, peine à prendre racine en Tunisie. Malgré des initiatives sporadiques, le pays fait face à des défis économiques, technologiques et réglementaires entravant sa transition vers ce modèle. Mounir Majdoub, ancien secrétaire d’Etat à l’Environnement et expert en politiques environnementales, souligne l’urgence d’actions concertées pour promouvoir l’économie circulaire, notamment en renforçant les infrastructures de recyclage et en impliquant les entreprises publiques.

Qu’est-ce que l’économie circulaire ?

L’économie circulaire, une notion de plus en plus présente dans les débats sur le développement durable, se définit par opposition à l’économie linéaire. Elle repose sur une gestion intelligente des ressources et des déchets, favorisant la réutilisation, le recyclage, ou le partage des produits en fin de vie.

Mounir Majdoub, explique ce concept en soulignant que « l’économie circulaire implique que les produits en fin de vie ne soient pas simplement jetés, mais qu’ils soient réutilisés ou recyclés pour leur donner une seconde vie Â».

Ainsi, ces produits sont soit réutilisés une deuxième fois, comme les vêtements que l’on retrouve dans les friperies, soit recyclés en un autre produit.

Autre pan de l’économie circulaire, ce qu’on appelle le partage. « Il n’est pas très courant en Tunisie mais il peut exister. Il s’agit par exemple utiliser une machine à laver entre deux foyers », nous explique Majdoub.

Ou en est-on en Tunisie ?

En Tunisie, cependant, la réalité est loin de cette idéal. « Nous constatons que nous ne sommes pas encore engagés dans une économie circulaire Â», regrette Majdoub. En effet, la plupart des produits arrivant en fin de vie sont tout simplement jetés, avec peu de pratiques de réutilisation ou de recyclage. Même si des initiatives comme les « barbechas Â», qui collectent les bouteilles en plastique, existent, elles demeurent marginales.

Il précise à cet égard qu’une grande partie des déchets de bouteilles en plastiques ramassés par les « barbechas » est exportée vers d’autres pays pour être recyclée, faute d’infrastructures adéquates sur le territoire national. Cependant, Majdoub souligne que cette transformation des déchets localement pourrait créer des emplois et générer de la richesse pour le pays. En se référant à des données de la Banque mondiale au titre de l’année 2019, la mise en Å“uvre d’une économie circulaire en Tunisie pourrait créer près de 100.000 nouveaux emplois et générer 0,8% de croissance du PIB.

Si une stratégie en matière d’économie circulaire existe en Tunisie, sa mise en Å“uvre nécessite des programmes et une réglementation appropriée, ainsi qu’une sensibilisation des citoyens et des municipalités au tri des déchets. « Le tri ne suffit pas s’il n’y a pas d’industrie de recyclage derrière Â», insiste Majdoub.

Cependant, le développement de telles industries se heurte à des défis économiques et technologiques. « Tant que nous n’aurons pas une industrie de recyclage bien établie, l’économie circulaire restera une aspiration lointaine Â», déplore-t-il. Malgré quelques initiatives de recyclage, comme dans le secteur textile, leur viabilité économique reste limitée.

Majdoub pointe également du doigt le manque de cadre juridique pour organiser les filières de récupération et de recyclage des déchets, ainsi que des lacunes dans la gouvernance des entreprises publiques, qui pourraient pourtant jouer un rôle clé dans la promotion de l’économie circulaire.

L’économie circulaire au sein des entreprises publiques

Sur le plan politique, bien que la question de l’économie circulaire ait été soulevée par le président de la République Kaïs Saïed, lors de sa récente visite à El Fouledh, des actions concrètes restent à prendre. Le président s’était alors interrogé sur la manière de pouvoir recycler les tonnes de bus hors d’usage de la SNTRI,pour pallier au manque de matière première, à savoir la ferraille. « Le constat et la question sont légitimes. Nous sommes dans cette situation car les entreprises de l’Etat ne se sont jamais intéressés à la question du recyclage et pourtant la solution est sous leurs yeux depuis toujours », déplore l’expert.

Mounir Majdoub évoque également un manque d’information par rapport au marché des matières usagées. Les entreprises publiques fonctionnent avec des appels d’offre ou des adjudications. Si les enchères sont une forme d’information elles restent insuffisantes pour créer un réel marché. « El Fouledh se contente de ces classiques enchères dont l’appel se fait à travers les journaux. Mais les autres entreprises publiques qui pourraient avoir des matières qui pourraient intéresser El Fouledh ne rendent pas compte de leur stock. Il suffit d’un rien pour que l’information existe. Nous avons de jeunes start-upper qui sont capables d’offrir à l’Etat et aux entreprises publiques des systèmes d’information modernes afin de rassembler ce que les unes détiennent comme matières recyclables et utilisables et qui pourraient intéresser les autres », affirme Majdoub.

En conclusion, la transition vers une économie circulaire en Tunisie nécessite un engagement à plusieurs niveaux, de la sensibilisation des citoyens à la mise en place d’infrastructures et de réglementations adéquates, en passant par une meilleure gouvernance des entreprises publiques. Cependant, avec une volonté politique et des actions concertées, ce défi peut être relevé, ouvrant la voie à un développement plus durable et résilient pour le pays.

Wissal Ayadi