Logement social en Tunisie : Entre rêves d’accession et réalités amères (EDITO)

25-11-2024

En Tunisie, le rêve de posséder un toit devient une illusion pour beaucoup. Si 80 % des Tunisiens sont propriétaires, la proportion de nouveaux accédants ne cesse de diminuer face à une crise qui mêle inflation, raréfaction foncière et absence criante de stratégie étatique. Ce contexte alimente les constructions anarchiques, un phénomène qui, loin d’être maîtrisé, semble toléré pour atténuer une crise du logement devenue structurelle.

Aujourd’hui, les constructions illégales prolifèrent sur des zones agricoles, des sites naturels protégés ou encore des zones patrimoniales comme à Carthage. L’absence de contrôle encourage une urbanisation désorganisée qui compromet l’équilibre territorial et écologique. Ce laisser-faire s’explique peut-être par un État désarmé face à une demande croissante et un secteur immobilier en pleine dérive.

Le foncier, moteur de toute politique de logement, est devenu une denrée rare. Les stocks de terrains appartenant à l’État, comme ceux de l’Agence Foncière d’Habitation (AFH), s’amenuisent. Quant aux terrains privés, leur prix s’envole, amplifié par une inflation galopante.

Mais le problème ne s’arrête pas là. Les matériaux de construction, majoritairement importés, subissent de plein fouet la flambée des prix internationaux. Ciment, fer, briques : autant d’éléments qui, combinés à une main-d’œuvre plus coûteuse, font grimper les coûts finaux des logements à des niveaux inaccessibles pour la majorité des Tunisiens.

Lorsqu’ils voient le jour, les rares projets de logements sociaux sont souvent implantés dans des zones dépourvues de toute infrastructure éducative, commerciale ou de transport. Ces « cités dortoirs », éloignées de toute dynamique urbaine, peinent à répondre aux besoins réels des ménages les plus modestes, qui sont rejoins désormais par une classe moyenne de plus en plus pauvre.

En effet, cette dernière, autrefois moteur de l’accession à la propriété, est aujourd’hui étouffée. Entre un taux directeur à 8 %, des taux bancaires avoisinant les 12 % et un autofinancement initial prohibitif de minimum 20%, le rêve de devenir propriétaire s’éloigne. Pire encore pour les franges les plus pauvres, pour qui même un logement social est devenu hors de portée.

La SPROLS (Société de promotion des logements sociaux), créée en 1977 pour répondre à la demande en logements sociaux, n’a construit que 35 000 unités en 47 ans, un chiffre dérisoire face aux besoins actuels. Le programme « Premier logement », lancé en 2012 pour faciliter l’accession des jeunes ménages, s’est soldé par un échec, en raison de la rareté des candidats et surtout de son autofinancement étant jugé trop lourd à porter.

Face à cette impasse, des alternatives existent. Des modèles internationaux comme la « location-achat » ou l’accession sociale à la propriété pourraient être explorés. Ces dispositifs, qui associent flexibilité et inclusion, ont fait leurs preuves dans plusieurs pays et méritent une attention particulière.

Le président Kaïs Saïed a fait du logement social un pilier de son deuxième mandat. Mais dans un pays où les finances publiques sont exsangues, où l’inflation écrase les ménages et où les politiques passées peinent à prouver leur efficacité, cette ambition semble hors de portée.

La crise du logement en Tunisie n’est pas qu’une question de briques et de ciment. Elle reflète une défaillance systémique dans la planification urbaine et la gestion des ressources. Si des solutions innovantes ne sont pas rapidement mises en œuvre, le rêve tunisien d’un foyer pour tous risque de rester un mirage pour des millions de citoyens.

Wissal Ayadi