Tunisie/ Approvisionnement : A un mois du Ramadan, les autorités se veulent rassurantes, malgré des tensions persistantes, selon les professionnels

23-02-2023

Le mois de Ramadan arrive à grand pas et devrait débuter vers le 22 mars. Bien que ce mois sacré soit associé au jeûne, à la piété et à la spiritualité, pour la plupart des Tunisiens, il est synonyme de surconsommation et de frénésie.

Dans un  contexte de crise économique marqué par des pénuries de produits alimentaires de grande consommation (lait, sucre, café, riz…) avec une augmentation constante des prix et une détérioration flagrante du pouvoir d’achat, le Ramadan 2023 risque de poser des problèmes tant pour les responsables politiques que pour les citoyens et d’aggraver une situation sociale déjà complexe.

Avoir recours aux importations  pour pallier les pénuries

Cela fait des mois que la Tunisie vit de nombreuses pénuries de produits alimentaires, notamment le lait, le sucre, le riz et le café… Des produits qui sont consommés, voire surconsommés pendant le mois saint. Une situation qui pourrait créer de nombreuses tensions sociales, au vu de leur  manque encore flagrant dans les rayons des supermarchés à seulement un mois du Ramadan.

Du côté des autorités, on se veut rassurant. Le 14 février dernier, lors d’une réunion entre la ministre du Commerce et du Développement des exportations Kalthoum Ben Rejeb et les deux associations de défense des consommateurs, le département a assuré que toutes les mesures ont été prises pour assurer, durant la prochaine période et au cours du mois de Ramadan, la régularité de l’approvisionnement du marché, en produits agricoles, et en matière de stocks stratégiques, en plus de la poursuite de son programme de contrôle économique.

A cet égard, le ministère du Commerce a souligné qu’il allait avoir notamment recours aux importations afin de pallier aux pénuries, précisant par ailleurs que l’approvisionnement en légumes sera normal.

Une explication qui sème tout de même un certain doute, quand on connaît l’Etat des finances du pays.

« L’Etat ne fait que jouer au pompier »

En ce qui concerne le lait, en manque depuis plusieurs mois dans nos rayons, là aussi, les nouvelles sont plutôt rassurantes. En effet, le chargé de la production animalière à l’Union tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP), Limam Bargougui, a déclaré, ce lundi 20 février,  que la production du lait en est actuellement à la période de haute lactation. Ainsi, il a annoncé qu’il n’y aurait pas de pénuries pendant le mois de ramadan.

Alors que la crise du secteur laitier bat son plein depuis plusieurs mois, que les stocks stratégiques fondent comme neige au soleil, et que les citoyens continuent à faire la queue pour se procurer deux paquets de lait maximum…la situation semble, comme par magies, avoir été réglée.

Pour en savoir plus, nous nous sommes adressés à Karim Daoud, éleveur laitier et membre du bureau exécutif du syndicat des agriculteurs de Tunisie (SYNAGRI). Il explique dans un premier temps que le secteur de l’élevage et les agriculteurs an général vivent une crise profonde en raison de la crise du Covid-19, de la sécheresse, et de l’inflation sur les cours mondiaux.

« Le secteur agricole est résilient, il tient…mais il est épuisé. Il est victime de défaillances structurelles qui découlent de ces différentes crises », nous dit-il.

A cet égard, il évoque notamment le secteur dans lequel il évolue avec le refus des autorités de  revoir à la hausse la subvention auprès des éleveurs laitiers. D’après lui, certes, la production de lait sera en hausse dans les prochains mois, mais cela ne règle pas pour autant le problème.

« Pendant la période haute lactation, la production de lait s’améliore physiologiquement, de manière naturelle. Nous avons 200.000 litres de lait de plus/jour reçus au niveau des centrales laitières. Les années précédentes, ce chiffre était situé en 350.000 et 400.000 litres. Donc, oui il y a plus de lait, mais il y aura toujours des tensions sur ce produit », affirme Karim Daoud.

Une baisse qui est due notamment à la chute importante du nombre de vaches laitières en Tunisie en raison de l’abandon de nombreux agriculteurs de leur cheptel en faveur des boucheries ou revendus à des pays étrangers illégalement via des réseaux de contrebande situés aux frontières algériennes notamment. 

« Il faut reconstruire les filières agricoles une par une et arrêter de jouer au pompier afin d’éviter les éventuelles tensions qui pourraient survenir lors des échéances importantes comme le mois de ramadan ou l’Aïd », déplore Daoud.

L’éleveur laitier indique également que ces problèmes structurels sont les conséquences d’une absence de politiques agricole établies sur le long terme. « Nous gérons des crises au jour le jour alors qu’elles sont cycliques. Tous les ans nous vivons ces pénuries et à chaque fois on nous ressort les mêmes discours creux, sans vision et sans stratégie », nous dit amèrement Karim Daoud.

Par ailleurs, l’éleveur laitier exhorte les autorités à intensifier les contrôles par les services anti-fraudes de l’Office du Commerce pour éviter ce qu’on appelle le « mouillage » qui consiste à ajouter de l’eau dans le lait afin d’augmenter les volumes. « Cela peut se passer à différents stades de la filières. Il faut être extrêmement vigilant. Il est arrivé que ce mouillage atteigne le taux de 14% », conclut-il. 

Wissal Ayadi