Le FMI reporte l’examen du dossier tunisien : Que signifie une telle décision ?

19-12-2022

Alors qu’il devait prendre place le 19 décembre prochain, l’examen du dossier de la Tunisie par le conseil d’administration du Fonds monétaire international a finalement été reporté.

Une décision soulevant de nombreuses questions sur le programme de réformes proposé par le gouvernement tunisien à l’institution financière pour un financement, rappelons-le, à hauteur, de 1,9 milliards de dollars, essentiel à la survie économique du pays.

Pour comprendre les raisons de ce report, nous nous sommes adressés à Hamza Meddeb, chercheur au Carnegie Middle East Center, spécialiste des relations entre la Tunisie et les Institution financières internationales (IFIs).

« Cette situation n’est pas exceptionnelle »

Depuis le 14 décembre dernier, on ne parle plus que de cela dans la presse et de cette question: « Quelles sont les raisons de ce report ? ».

Dans un premier temps, Hamza Meddeb, précise qu’il s’agit d’une déprogrammation et que jusqu’à présent aucune date de report n’a été annoncée de la part du FMI. Une chose est sure, cela ne se fera pas avant le mois de janvier, puisque les travaux du conseil d’administration du Fonds monétaire international ne reprendront que le 8 janvier prochain.

« La Tunisie, comme d’autres pays, a un accord technique avec le FMI mais sa validation définitive doit passer par le « board » du FMI. Il faut savoir qu’entre l’accord technique et la validation définitive, le FMI met en place ce qu’on appelle les accords préalables afin de s’assurer que le programme de réformes sera bien mis en place », indique le chercheur.

En effet, il n’est pas rare que le FMI mette en place une certaine séquentialisation des mesures dans l’objectif de s’assurer de l’engagement des gouvernements à mettre en place les réformes. En ce moment cette situation est, par exemple, de mise pour le Liban, dont l’accord technique a été signé il y a maintenant huit mois et que conseil d’administration n’a toujours pas validé, considérant qu’il n’y pas assez de garanties pour la réussite du programme. « Le FMI ne veut pas s’engager sur des programmes qui échoueront au bout de 6 mois », ajoute Meddeb.

La Tunisie est-elle dans l’urgence ?

Il n’est un secret pour personne que la Tunisie se trouve dans une situation financière très dégradée. Les différentes pénuries dont souffre le pays montrent, entre autres, que la Tunisie essaye de limiter ses importations afin d’alléger la pression sur les réserves de devises, qui fondent comme neige au soleil. A noter que selon les derniers chiffres de la Banque centrale de Tunisie, elles ne couvrent aujourd’hui que 94 jours d’importations, soit leur plus bas niveau depuis juillet 2019.

De plus, la récente visite de la cheffe du gouvernement, Najla Bouden en Algérie pour la conclusion d’un accord de prêt, montre également que les finances publiques sont très fragilisées.

Si la Tunisie semble dans l’urgence, notamment en cette fin d’année pour bouler son budget, pour Hamza Meddeb ce n’est pas vraiment une question de temps, au sens propre du terme. « Il y a tout un cadrage technique macroéconomique, d’estimation du coût du programme, de calcul des  besoins de financements… Et ce travail là a été fait dans le cadre de l’accord technique validé le 15 octobre. Si aujourd’hui la validation traine encore, il va falloir revoir ce travail technique afin de  l’actualiser et cela va prendre du temps car toutes les données de base vont changer entretemps. A savoir les prévisions de croissance, la fluctuation des prix du pétrole, les besoins de financements, etc… Donc plus la date de validation du board s’éloigne de celle de l’accord technique, plus il y aura besoin d’actualiser et les retards s’accumuleront inexorablement », affirme-t-il.

En effet, plus l’échéance est repoussée, plus les besoins de financements s’accumulent car, pour rappel, le programme du FMI ne couvrira pas entièrement les besoins de la Tunisie. Dans ce sens il est également important de noter que l’institution de Bretton Woods est elle-même une garantie pour les autres bailleurs bilatéraux et multilatéraux que la Tunisie sollicite pour des prêts qui serviront au remboursement de la dette. De ce fait, ce report constitue une menace pour la  soutenabilité de la dette sachant que 2023 est une grosse année de remboursement d’échéances.

Un accord technique oui… Mais certaines conditions restent en suspens

Le 15 octobre dernier, la signature de l’accord technique entre le gouvernement tunisien et le FMI sonnait comme un soulagement. En effet, les principaux axes du programme de réformes présenté par la partie tunisienne ont su convaincre le staff technique du Fonds.

D’abord, la maîtrise de la masse salariale. La garantie a été donnée à travers l’accord qui a été signé entre le gouvernement et l’UGTT. « Sans cela l’accord technique n’aurait pas eu lieu », relève le chercheur.

Le deuxième porte sur la réforme des compensations. Elle exige un passage d’une subvention sur les prix à une subvention sur les consommateurs directement. Or c’est une réforme qui est techniquement lourde car il faut faire du ciblage et donc constituer des bases de données fiables et efficaces, mais tout de même réalisables.

Enfin le troisième axe concerne les entreprises publiques qui demandent à être restructurées. Cela implique que l’Etat définisse dans un premier temps quelles sont les entreprises stratégiques. Ces dernières resteront dans le giron de l’Etat. Celles qui sont considérées comme non stratégiques devront être restructurées, pour ne pas dire privatisées totalement ou partiellement. D’après Hamza Meddeb, c’est ici le point le plus sensible de ce dossier. « Aujourd’hui l’Etat n’a pas assez de vision afin de définir quelles sont les entreprises stratégiques et elle doit avoir le courage de privatiser certaines structures et donc se heurter à l’UGTT qui veut avoir son mot à dire dans l’avenir des entreprises publiques », souligne-t-il.

Par ailleurs, Meddeb explique qu’après la signature de l’accord technique, parmi les actions préalables il y en avait trois qui étaient essentielles pour l’examen du dossier tunisien par le board.

Le premier est la publication officielle au JORT de la loi relative à la restructuration des entreprises publiques (loi 89-9). Et jusqu’à présent elle n’a pas été publiée.

La deuxième chose est que le FMI voulait voir la publication de la Loi de finances 2023 car elle reflète les engagements du gouvernement. Et celle-ci aussi n’a pas encore été publiée… Selon les dernières déclarations de la ministre des Finances, elle sera publiée avant le 1er janvier, date limite oblige.

Hamza Meddeb évoque également une troisième condition. L’engagement de la Tunisie le 15 octobre dernier à montrer qu’elle est capable de couvrir ses besoins de financements à travers l’appui de ses partenaires bilatéraux car, encore une fois, le programme du FMI ne couvrira pas entièrement les besoins de la Tunisie. « Aujourd’hui il n’y pas eu de diplomatie économique qui a montré un engagement financier des partenaires bilatéraux à l’égard de la Tunisie », relève l’expert.

Ainsi, ces trois derniers éléments préalables pourraient constituer un handicap pour l’examen du dossier tunisien auprès du conseil d’administration du FMI.

La position politique de Kaïs Saïed manque de clarté

Au delà des garanties financières et techniques, le Fonds monétaire international prend également en considération la position politique des Etats qui s’adressent à lui. Dans ce sens, Hamza Meddeb déplore le manque de cohérence dans les propos de Kaïs Saïed affirmant que son discours contredit la démarche du gouvernement dans ses négociations avec le FMI.

En effet, au moment où le programme de réformes est essentiellement basé sur la levée des subventions et la restructuration des entreprises publiques, le 1er décembre dernier le président Saïed avait annoncé lors d’un entretien avec la Cheffe du gouvernement Najla Bouden qu’il n’y aurait ni l’une ni l’autre, mettant clairement en doute son appui pour faire réussir ce programme.

La position politique est d’autant plus importante pour l’institution de Bretton Woods que ces réformes pourraient engendrer des troubles sociaux auxquels l’Etat devra faire face, notamment à travers une communication claire et transparente.

« Enfin, il ne faut pas oublier que la Tunisie sort de deux échecs avec le FMI en une décennie. Les accords de 2013 et 2016 ont été avortés en plein milieu à cause de la non mise en place des réformes promises par les gouvernements de l’époque », conclut Meddeb.

Wissal Ayadi