Transition énergétique : La Tunisie en déphasage avec l’accélération imposée par le Coronavirus

25-01-2021

Rien ne sera probablement plus jamais comme avant. La pandémie du COVID-19 a sensiblement boulversé les vies de tout un chacun. Les habitudes de consommation ont changé, laissant entrevoir un éveil des consciences quant à la préservation de la planète.

En effet, selon de nombreux scientifiques, l’apparition du Coronavirus et d’autres virus sont la conséquence d’une surexploitation des ressources naturelles. La déforestation, notamment, qui a rapproché certaines espèces animales porteuses de virus dévastateurs pour l’espèce humaine.

Ainsi, la pandémie nous a-t-elle aidés à apporter les changements nécessaires pour faire face à la crise environnementale ?

Si plusieurs pays développés ont pris conscience de l’urgence d’une transition écologique et énergétique, qu’en est-il de la Tunisie ? Pour le savoir, nous nous sommes adressés à deux experts dans le domaine du développement durable.

Manque de volonté politique

La Tunisie est signataire de l’Accord de Paris sur le climat de 2015. L’Etat s’est ainsi engagé à travers la Contribution Déterminée au niveau National (CDN) à réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs, dont celui de l’énergie, visant une réduction de 41% en 2030 par rapport à l’année de base 2010.

Mohamed Zmerli, point focal national de la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, rattaché au ministère de l’Environnement et des Affaires locales, nous explique que la Tunisie doit encore fournir beaucoup d’efforts afin d’attendre ses objectifs.« Tous les cinq ans, la CDN doit être mise à jour et doit en même temps être plus ambitieuse et donner une vision et des objectifs à long terme. Ici on parle de 2050 ». En effet, en 2050, le but sera d’atteindre la neutralité carbone.

Mais cela doit engendrer un « bouleversement dans tous les secteurs », nous dit-il.

Pourtant, l’expert doit se heurter à de nombreux problèmes dans la réalisation de cet objectif. Au ministère de l’Environnement, une stratégie de développement bas carbone a déjà été engagée. D’ici le mois de décembre prochain, une vision pour 2050 pourra être déclinée. M. Zmerli déplore  la lenteur de la mise en place de projets dans le secteur environnemental. Selon lui, le manque de savoir-faire, la lourdeur de l’administration et l’instabilité politique ont leur part de responsabilité dans ce retard. « Il y a un manque de volonté politique pour s’engager dans le secteur de l’environnement ».

Aujourd’hui, nous avons une administration qui navigue à vue et qui gère au jour le jour ». D’après lui, la crise qui nous attend après celle du COVID, sera écologique.

Le secteur privé doit jouer un rôle dans la transition écologique et énergétique. « Aujourd’hui, il y a des entreprises étrangères qui voudraient investir dans le secteur des énergies renouvelables en Tunisie. Mais a chaque fois, elles se retrouvent confrontées à des freins car les granites de l’Etat quant à l’achat de ces énergies sont inexistantes ».

Transition énergétique : où en est la Tunisie ?

La réduction de nos déplacements pendant le confinement a conduit à la plus grande diminution d’émissions de carbone jamais enregistrée et ce à travers le monde entier. Une des plus grandes preuves a été la fermeture du plus grand trou de la couche d’ozone dans l’Antarctique

Nous avons échangé sur le sujet avec Ayoub Arbi, consultant et expert en énergies renouvelables. Il explique que « la crise du Covid-19 vient simplement rappeler que les perspectives de développement et de croissance que nous vend l’industrie pétrolière sont fausses et illusoires ». 

Pour cela il s’appuie notamment sur les chiffres de l’Agence Internationale de l’Energie qui indiquent  que les prix du pétrole ont chuté de 40 % depuis le début de la pandémie et la consommation mondiale d’énergie primaire notamment le pétrole et le gaz en 2020 ont diminué de 9% par rapport à 2019, soit le niveau de 2012. Cette chute de la demande énergétique en 2020 a été plus marquée dans les économies développées (- 9% aux États-Unis et – 11% en UE).

Ainsi, la réduction de l’intensité carbone passe notamment par le recours aux projets d’énergies dites renouvelables. En Tunisie ils sont encadrés par une stratégie de transition énergétique. Cette dernière repose sur trois dimensions fondamentales:

  • La sécurisation de l’approvisionnement et la diversification du mix énergétique (énergies conventionnelles et énergies renouvelables), le développement de l’efficacité énergétique ainsi que le développement des infrastructures de production, de transport, de stockage et de distribution.
  • L’équité énergétique et la gouvernance avec l’assurance d’un approvisionnement équitable de toutes les régions et dans les meilleures conditions.
  • Le développement durable pour assurer une meilleure compétitivité économique et le développement du partenariat public-privé.

Dans le cadre de sa politique de transition énergétique, la Tunisie a élaboré son plan solaire (PST) en 2010 qui a été actualisé en 2015 avec l’introduction de plusieurs améliorations touchant le renforcement du cadre réglementaire, institutionnel et tarifaire ainsi que le développement de l’infrastructure énergétique.

L’objectif d’ici à l’horizon 2030 serait de réduire la consommation de l’énergie primaire de 30%(aujourd’hui le pays a atteint les 2%).

D’après Ayoub Arbi, le Plan Solaire Tunisien a prévu d’installer à  l’ horizon 2030 , une capacité additionnelle de 3815 MW en énergies renouvelables réparties entre l’éolien, l’énergie solaire photovoltaïque, le solaire CSP et la biomasse.

Malgré tous ces objectifs, la Tunisie est à la traîne. L’expert en énergies renouvelables explique le retard dans l’exécution des objectifs nationaux en matière de développement des ENR, par des aspects d’ordre réglementaire, institutionnel et incitatif, au manque de formation des ressources humaines ainsi qu’à la capacité du réseau électrique à recevoir les énergies renouvelables.

« La Tunisie devrait tirer partie des enseignements d’ordre technique, économique et de gouvernance des pays en avance  dans ce domaine , à l’instar de l’Allemagne, du Portugal, du Maroc et de l’Afrique du Sud », ajoute Ayoub Arbi. A noter que le Maroc a inauguré en janvier 2016 la station Noor. Cette gigantesque centrale solaire se situe à Ouarzazate en plein désert et constitue la plus grande au monde jamais construite.

La pandémie du Covid-19, n’aura donc pas eu l’effet escompté sur le comportement de l’Etat  tunisien vis à vis des politiques environnementales. Le manque de compétences et l’instabilité politique que subit le pays, constituent un réel frein à une nouvelle forme d’économie, plus propre et plus saine.

En attendant, la catastrophe environnementale ne cesse de menacer le pays devant des pouvoirs publics impuissants où plutôt passifs, face à une autre crise qui pourrait être encore plus dévastatrice que la crise sanitaire que nous vivons déjà.

Wissal Ayadi