Tunisie/ 13 Août : Des avancées oui, les risques de régression persistent, parole aux femmes

13-08-2021

Chaque année la Tunisie met à l’honneur la femme à l’occasion de sa Fête, célébrée le 13 août. Cette date marque également la commémoration du 65ème anniversaire de la promulgation du code du statut personnel instauré par Habib Bourguiba en 1956. Une spécificité presque unique parmi les pays à tradition arabo-musulmane. C’est dire à quel point les femmes ont une place importante dans la société.

Afin de s’attarder sur la condition de la femme tunisienne, Gnetnews a donné la parole à cinq profils féminins issus d’univers différents. Cheffe d’entreprise, professeur universitaire, médecin, militante féministe et femme de média… Entretiens.

En médecine…

Tahiwda Ben Cheickh est sûrement l’exemple le plus illustratif de l’émancipation de la femme tunisienne. Cette dernière est la première femme musulmane du monde arabe ou au moins du Maghreb à avoir exercé comme médecin, pédiatre puis gynécologue.

Aujourd’hui elles sont nombreuses a avoir suivi ses pas. Lamia Kallel, Présidente du Conseil régional de l’ordre des médecins de Tunis et parallèlement professeur en gastro-entérologie et chef de service à l’hôpital Mahmoud-El Matri, nous explique qu’aujourd’hui les étudiants en médecines sont composés à 60% de femmes. « Dans le milieu médical, nous n’avons plus rien à prouver. 50% des médecins en activité sont des femmes et occupent la majorité  des postes à responsabilité », cela a permis d’avoir plus de transparence et de faire baisser la corruption, nous dit Dr Kallel.

Cette dernière ajoute que les femmes ont joué un rôle très important pendant la pandémie de Covid-19. « Nous nous sommes rendus compte, surtout pendant la première vague, que les femmes avaient moins peur du Covid que les hommes. A chaque fois qu’il fallait faire un prélèvement ou un examen, elles  se portaient systématiquement plus volontaires que les hommes ».

A noter que dans le établissements de santé, les infirmiers sont principalement des femmes. « Elles ont fait beaucoup de sacrifices pendant la pandémie. Certaines ont fait le choix de s’éloigner de leur famille pour éviter les contaminations et continuer à soigner les patients », affirme Lamia Kallel.

Dans le travail…

La femme tunisienne s’est toujours imposée comme étant courageuse et surtout travailleuse…

Un constat confirmé par Mme Sihem Rezig-Kefi. Avocate de profession, elle est vice-présidente du Conseil International des Femmes Entrepreneurs (CIFE) ; une organisation permettant aux femmes qui veulent monter leur propre entreprise de bénéficier d’un soutien à tous les niveaux de conception.

« Je suis très optimiste pour la femme tunisienne. Ses acquis ne seront jamais touchés tant qu’elles seront là », nous dit Mme Rezig-Kefi. D’après la vice-présidente du CIFE, environ 55% des entrepreneurs sont des femmes.

« Les femmes tunisiennes ont l’entreprenariat dans le sang car elles ont toujours fait preuve de beaucoup de courage, mais elles doivent fournir un double effort pour y parvenir ;  les banques, pour ne citer que cet exemple, leur font moins confiance », nous dit-elle.

Malheureusement, les inégalités subsistent notamment dans le monde rural, pour celles qui travaillent dans les champs ». En effet, pendant qu’une femme paysanne est payée 8DT la journée, l’homme, lui, est rémunéré 15DT, précise la vice-présidente du CIFE.

Dans les usines également les inégalités salariales sont importantes. Mme Sihem Rezig-Kefi affirme que les industriels n’hésitent pas à embaucher des femmes car elles sont plus assidues et efficaces et surtout payées moins cher.

En politique…

La Constitution tunisienne est, dans le monde arabe et musulman, la loi fondamentale qui offre le plus de garanties pour les droits des femmes. Par exemple, dans l’article 34, la Constitution oblige l’Etat à garantir la représentativité des femmes dans les assemblées élues. L’article 40 prévoit lui l’égalité salariale. L’article 46, consacré plus particulièrement aux droits des femmes, prévoit le principe de parité et la lutte contre les violences faites aux femmes.

De nombreuses avancées qui ont été possibles grâce à l’acharnement de la société civile. Parmi elle, l’Association tunisienne des femmes démocrates. Nous nous sommes entretenus avec Hayet Hamdi, membre du comité directeur de l’ATFD. « Malgré les avancées de la constitution de 2014, nous ne sommes pas à l’abri d’un retour en arrière. Il faut rester vigilants », nous dit-elle.

En effet, en politique le principe de parité n’est pas encore totalement établi. La majorité des députés sont des hommes (24 % de femmes) car les partis politiques sont encore frileux à placer des femmes en tête des listes. « Il faut que la parité soit respectée de manière horizontale et verticale, or aujourd’hui c’est loin d’être le cas », indique Mme Hamdi.

Avec les mesures exceptionnelles prises par le président de la république Kaïs Saïed, le 25 juillet dernier, il semble qu’une nouvelle ère politique soit en marche qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives aux femmes politiques tunisiennes. En tous les cas, c’est ce qu’espère l’ATFD. A cet égard, Hayet Hamdi explique que les femmes doivent être partie prenante de la feuille de route promise par le chef de l’Etat. « Nous exigeons en priorité que les acquis de la constitution de 2014 soient préservés, une mise à jour du Code électoral afin de garantir la parité totale pour les échéances électorales et nous voulons également que la parité parfaite soit appliquée dans le prochain gouvernement », indique Hamdi. A noter que la Tunisie ne s’est jamais dotée d’un chef de gouvernement de sexe féminin…

Progression vs régression

Quand on pose la question de la vision de la femme tunisienne à des étrangers.. la réponse est souvent la même : à l’avant-garde, indépendante, libre et libérée…

Une réalité qui nous a été confirmée par Ozge Caizergues, d’origine turque, mariée à un Français et installée en Tunisie depuis juillet 2010. Elle a crée une plateforme média sur le web qui met en avant la jeunesse tunisienne. « Ayant beaucoup voyagé, je trouve que la femme tunisienne est beaucoup plus forte et libre que dans les autres pays du Maghreb », nous dit la jeune femme. Cependant, elle estime que certaines lois sont en décalage avec cette vision. « Par exemple la loi sur l’adultère qui est encore beaucoup trop utilisée contre les femmes en Tunisie et qui semble être, en 2021, archaïque ».

Elle ajoute qu’en observant les couples tunisiens qu’elle fréquente, souvent c’est la femme qui a le dernier mot dans les décisions qui concernent le foyer ».

De nombreuses femmes considèrent que le statut de la femme tunisienne a subi une certaine régression depuis la révolution. Si Mme Caizergues n’a pas ressenti ce changement, Emna Aouididi, elle, déplore une évolution négative de la femme tunisienne. Professeur d’Espagnol, elle a pu découvrir une autre mentalité quand elle est partie enseigner dans la région de Kasserine. « Il y a une rupture significative entre les femmes des grandes villes et celles de l’intérieur du pays », lance Emna.

Une anecdote montre qu’un long chemin reste à faire. « Dans une de mes classes, je me suis rendue compte qu’un de mes élèves s’était absenté des cours du jour au lendemain. Au bout de la troisième absence, j’ai demandé à ses camarades, âgés d’une quinzaine d’année, où était-elle. On m’a répondu qu’elle s’était mariée », nous raconte la professeur. Après cela Emna Aouidid a tenté de faire un cours sur l’égalité entre les hommes et les femmes, mais en vain à cause du conservatisme des parents.

Une situation qui peut paraître sidérante en 2021, mais qui existe bel et bien dans certaines familles ultra-conservatrices.

« Je trouve que depuis la révolution, nous avons régressé. A mon sens la seule avancée à été l’autorisation pour les mamans de voyager avec leur enfant sans l’autorisation du père. Mais sinon depuis il n’y a pas eu grand chose », affirme-t-elle.

« Encore beaucoup trop de femmes pensent que leur place est à la maison pour s’occuper des enfants et faire à manger », ajoute-t-elle.

Une pensée partagée également par certains hommes politiques.  A l’image de Saïd Jaziri qui avait affirmé en pleine séance plénière à l’Assemblée des représentants du peuple, que les filles devraient avoir la possibilité de se marier dès l’âge de 14 ans.

« L’égalité entre les hommes et les femmes doit être inculquée à l’école. C’est au ministère de l’Education de s’en charger », conclut-elle.

Wissal Ayadi