Tunisie : A la veille de leur démarrage, les JCC face à un péril imminent : Le BOYCOTT !

22-10-2021

Comme chaque année, la majorité des salles de cinéma attendent avec impatience le démarrage des Journées cinématographiques de Carthage ; les JCC devront attirer des milliers de spectateurs et cinéphiles, après 2 années consécutives de report de ce rendez-vous annuel.

 Mais, cet illustre évènement culturel a été visiblement marqué par plusieurs embuches.

Alors que quelques jours nous séparent de la 32ème édition des JCC qui démarrent le 30 octobre 2021, un bon nombre d’exploitants des salles ont annoncé leur refus d’y participer, en mettant à la disposition du festival leurs cinémas. D’après nombreux d’entre eux, le ministère des affaires culturelles, leur a mis le bâton dans les roues, en renforçant  les conditions d’éligibilité…

En effet, pour y participer, les salles candidates doivent disposer d’un projecteur DCP (Digital Cinema Package) qui coute une centaine de milliers de dinars. D’habitude cet engin est fourni gratuitement dans le cadre du festival, aux cinémas qui n’en disposent pas.

Exceptionnellement, cette année, le département propose de louer ce projecteur, avec une somme de 4 milles dinars du CNCI, alors que les recettes des cinémas sont mises à plat, à cause des impacts de la pandémie du Covid-19.

 Sans cela, les exploitants de salles de cinéma, risquent d’être exclus du réseau des cinémas qui participeront aux JCC. Ces derniers  rateront aussi un évènement culturel phare de la rentrée culturelle, qui rafraichit d’habitude leurs caisses après une saison estivale creuse, marquée par la baisse de l’affluence des spectateurs.

Ahmed Deguich, directeur de la salle Parnasse, située au centre-ville de Tunis, lieu de concentration des cinémas collaborant avec les JCC, nous a confirmé dans un entretien accordé à Gnetnews que cette année, il a été écarté de l’évènement car il n’avait pas de quoi louer un DCP.

 « J’ai demandé au service de contrôle technique des cinémas, de me fournir cet engin gratuitement, pour que je puisse participer aux JCC, et sauver la saison. Mais en vain, on m’a demandé un montant de 4 mille dinars, pour en bénéficier, alors que la location de ma salle au festival s’élève  à 4000 dt pour 10 jours.  Une somme que je ne pourrais pas payer. Je suis en pleine crise financière depuis 2 ans, et je paye un loyer déjà trop élevé pour la salle ».

Le directeur du cinéma Parnasse, a déploré aussi le manque de soutien du ministère pour le secteur.

D’après lui, il n’a reçu aucune tranche de la subvention des aides allouées au secteur culturel, pourtant son dossier a été déposé depuis plus d’un an.

« A cet effet, le ministère a répondu en disant que ses caisses sont désormais vides et que l’Etat ne pourrait pas soutenir toutes les salles. Pourtant, je me demande bien où sont passés les budgets consacrés aux festivals annulés, de Carthage, Hammamet, et d’autres manifestations annuelles en arrêt depuis 2 ans », reproche-t-il.

Ramzi Laroussi, directeur du cinéma le Mondial (Centre-ville de Tunis), nous a dévoilés qu’il a vécu la même expérience. Les services techniques du MAC se sont rendus à sa salle, pour constater qu’elle n’est pas équipée d’un DCP. « Ils m’ont écarté car les machines du ministère sont également en panne », nous a-t-il confirmé.

D’après lui, les circonstances actuelles, exigent plus de solidarité avec les exploitants de salles. « Nous n’avons ni un  syndicat efficace, ni un porte-parole pour nous défendre », martèle-t-il, en rappelant que le secteur culturel a payé cher pour servir l’intérêt du pays durant la crise sanitaire. « Ce serait injuste d’exclure des salles mythiques du centre-ville, le poumon de la culture, et des JCC en particulier ».

« La moindre des choses, c’est de ne pas nous écarter d’un tel évènement, pour des problèmes techniques, qui pourraient être résolus avec le soutien du département », recommande-t-il.

Nous avons aussi contacté Ali Soula, le propriétaire de la salle Ciné-Jamil (Menzeh 6), qui a refusé de participer aux JCC, pourtant il a fermé ses portes durant une année et six mois, à cause des difficultés financières.

« Outre le dossier de candidature, le ministère m’a réclamé un papier révélant la prime d’assurance et un tas de papiers supplémentaires. On m’a annoncé aussi que le loyer de la salle de 4800 dinars pour 10 jours baissera à 4200 à cause de la retenue à la source. Une somme qui ne couvre ni les salaires de mes employés (placeuse, projeteur, agent de sécurité, contrôleur des billets), ni la facture de l’électricité ».

Ali Soula estime que la location de sa salle de cinéma, lui apportera à peine du bénéfice. « Dans le cadre du festival, les billets sont vendus à 2/3 dinars, alors que hors festival je les vends à 7/8 dt. Le fait que j’ai aussi une petite salle, je ne serais autorisé à diffuser que les films hors compétition, qui n’attirent pas beaucoup de monde. Une décision discriminatoire envers les salles de proximité, ayant une moyenne capacité d’accueil, alors que les grandes salles du centre-ville de Tunis, vendent 100% de leurs billets, puisqu’on leur consacre les Å“uvres en compétition officielle, de grands réalisateurs notables… ».

Par ailleurs, le cinéma ABC (centre-ville de Tunis), a failli aussi ne pas participer à la 32ème édition des JCC.

Sa propriétaire, Sihem Temimi, nous a révélé que le CNCI lui a suggéré de soustraire le cout du projecteur DCP du loyer de la salle. « J’ai tout de suite refusé cette proposition », souligne-t-elle, ajoutant qu’elle a dû négocier pour préserver sa part du marché.

« Mettre à l’écart une salle prestigieuse comme celle de l’ABC durant un tel évènement international, nuira sans doute à l’image de mon cinéma. J’ai dû accepter de ne recevoir qu’une partie du loyer de la salle, pour sacrifier le reste en vue d’obtenir une machine. Il est vrai que les JCC ne combleront pas les trous dans mon budget, mais le plus important, c’est de contribuer au succès du festival, et de retrouver un public cinéphile et intellectuel, qui rate rarement ce rendez-vous cinématographique annuel ».

La ministre des affaires culturelles, Hayet Ketata, a organisé hier, jeudi 21 octobre 2021, une réunion à ce sujet, dans le but de permettre à toutes les salles de cinéma de contribuer au bon déroulement de la projection des films, à l’occasion des JCC.  

Emna Bhira