Tunisie : Entre la volonté d’indépendance et les contraintes sociales et matérielles, le cÅ“ur des jeunes balance !

01-06-2023

En Tunisie, de plus en plus de jeunes se retrouvent à un âge avancé sans pouvoir quitter le domicile de leurs parents. Plusieurs raisons sont en cause comme le retard de l’âge du mariage , les conditions financières ou encore les pressions morales et sociales.

Cette réalité soulève des défis quant à la quête de liberté et d’indépendance d’un côté, et à l’autorité parentale de l’autre, parfois jugée inadaptée à cette étape de vie. Entre désir de s’éloigner et d’avoir son propre pied-à-terre, et la cherté de la vie qui rend cette aspiration difficilement réalisable, de nombreux jeunes cherchent des moyens pour fuir cette situation et trouver leur équilibre psychique.

Afin de comprendre ce phénomène, nous avons recueilli plusieurs témoignages de jeunes Tunisiens qui font face à cette situation, et également l’analyse de Mohamed Jouili, Docteur en sciences sociales, ancien directeur de l’Observatoire de la jeunesse et professeur de sociologie à l’Université de Tunis.

Mohamed Jouili / Sociologue

Entre aspirations individuelles et attentes familiales

En Tunisie, les valeurs traditionnelles, les normes sociales et les attentes familiales jouent un rôle prépondérant dans la vie des jeunes.

D’une part, de nombreux jeunes Tunisiens et Tunisiennes aspirent à acquérir une plus grande autonomie et indépendance. Ils désirent prendre leurs propres décisions, explorer leur identité personnelle, poursuivre des études supérieures et réaliser leurs ambitions professionnelles. Cette volonté d’indépendance est souvent motivée par le désir d’émancipation individuelle, d’exprimer leurs opinions et d’être reconnus en tant qu’individus à part entière.

D’autre part, cette société valorise généralement la solidarité familiale, le respect des aînés et l’importance de la structure familiale. Les parents sont souvent considérés comme les gardiens des valeurs culturelles et religieuses, et peuvent exercer une influence considérable sur les décisions des jeunes, notamment en ce qui concerne le mariage, le choix de carrière et les modes de vie.

Cette tension entre la volonté d’indépendance des jeunes et les attentes familiales peut engendrer des conflits intergénérationnels et des défis psychologiques. Certains jeunes peuvent ressentir une pression pour se conformer aux normes familiales et sociales, ce qui peut limiter leur liberté de choix et leur épanouissement personnel.

Cependant, Mohamed Jouili nous indique que ces dynamiques évoluent avec le temps. De plus en plus de jeunes cherchent à concilier les valeurs traditionnelles avec leurs aspirations personnelles. « Les avancées en matière d’éducation, d’accès à l’information et d’évolution des mentalités contribuent à élargir les possibilités pour les jeunes de réaliser leur volonté d’indépendance tout en maintenant des liens forts avec leur famille et leur culture », explique-t-il.

Leïla a 28 ans, elle est diplômée en marketing et salariée dans une grande entreprise. Malgré des moyens financiers corrects, elle vit pourtant encore chez ses parents. Elle témoigne pour GnetNews. « J’adore ma famille, mais je ressens de plus en plus le besoin d’avoir ma propre indépendance. J’ai souvent des désaccords avec mes parents sur des questions de style de vie et de liberté individuelle Â», nous dit la jeune femme.

Mohamed Jouili, explique dans ce sens qu’il y a une forme d’individualisation de la vie privée. « Les filles notamment se détachent de plus en plus du choix des parents et de ce qu’on appelle en sociologie « l’habitus » pour créer leur propre monde et établir leurs propres choix, sans pour autant aller vers un détachement complet. Il s’agit, d’une sorte de bricolage, qui permet de trouver un équilibre entre l’autorité parentale et l’accomplissement personnel.

C’est le cas de Sarra, 25 ans. « Je suis consciente des attentes de mes parents, mais je cherche à établir des limites et à avoir plus de liberté dans mes choix de vie. Je m’implique activement dans des activités en dehors de la maison pour élargir mon cercle social et développer mon indépendance émotionnelle », nous confie-t-elle.

Mohamed Jouili explique également que prendre son indépendance en dehors du cadre du mariage ou des études demande un courage important, car il s’agit de défier la pression sociale et d’assumer les stigmatisations qui peuvent en découler. « Dans notre société c’est encore considéré comme un scandale et c’est très mal accepté. En somme, on peut être indépendant mais pas autonome ».

« Logé, nourris, blanchi »: une solution à la crise économique

En plus des pressions en termes de valeurs et de traditions, la cherté de la vie favorise également le choix de nombreux tunisiens à rester chez leurs parents. Riadh, 32 ans est ingénieur en informatique. L’idée de de prendre son indépendance lui trotte dans la tête depuis qu’il est devenu salarié. Pour autant, ce défi est selon lui difficile à relever à cause de la crise économique.

« J’ai réussi à trouver un emploi stable et bien rémunéré, mais la situation économique générale en Tunisie rend difficile l’accès à un logement abordable. Je souhaite avoir mon propre pied-à-terre, mais les coûts élevés de l’immobilier et les dépenses quotidiennes me freinent. Je cherche des solutions alternatives, comme la colocation, pour pouvoir réaliser mon désir d’indépendance, mais mes parents sont contre », nous dit-il.

« Si pour les jeunes femmes, il s’agit en réalité d’une pression morale, pour les hommes, rester chez les parents est plus une manière de leur donner l’opportunité d’économiser de l’argent afin de pouvoir construire à l’avenir un foyer familial », conclut Mohamed Jouili.

Les jeunes tunisiens aspirent à acquérir une plus grande autonomie et à prendre leurs propres décisions, mais ils doivent faire face aux attentes familiales et aux normes sociales qui valorisent la solidarité familiale. Malgré ces défis, il est encourageant de constater que les mentalités évoluent et que de plus en plus de jeunes cherchent à concilier leurs aspirations personnelles avec les valeurs familiales.

Wissal Ayadi