Tunisie : Les jeunes boudent le mariage, les chiffres du célibat des 34 – 45 ans explosent (Enquête)

11-11-2021

Ce jeudi 11 novembre correspond à la journée internationale des célibataires, une fête d’origine chinoise, qui célèbre  le célibat, mais cherche en même temps à rompre avec la solitude et à trouver l’âme sœur. En Tunisie, le célibat ne cesse de prendre de l’ampleur parmi une jeunesse en âge de mariage, mais qui y tourne le dos pour des raisons multiples.

Plus de 2.400.000 jeunes femmes entre 34 et 45 ans, ne sont pas mariées, soit 60% de la population féminine en Tunisie. Quant aux hommes, ils sont 81%  de la même tranche d’âge à être  célibataires, selon la dernière enquête  de l’Office national de la famille et de la population, publié en 2020.

Ces chiffres traduisent de profondes mutations sociétales, l’institution familiale, noyau dur de la société, voit sa pérénnité menacée.

Etre trentenaire et célibataire, est-il un choix ou une obligation ? La vision sur le mariage a-t-elle évolué pour ne devenir qu’une source secondaire d’accomplissement ? Le contexte socio-économique a-t-il une influence sur les choix des célibataires qui boycottent l’engagement matrimonial ?

Le psychologue clinicien, Imed Ghrairi, et le coach de vie, Ghaith Souissi, ont accepté de répondre aux questions de Gnetnews.

Prolongement des parcours universitaires

Selon, Dr.Imed Ghrairi, demeurer longtemps célibataire peut être une décision choisie ou subie. Dans les deux cas, cette situation revient à plusieurs causes, parmi lesquelles on cite l’hyper scolarité des filles, et le prolongement des parcours universitaires. Le fait d’être plus instruites, garantit aux femmes un meilleur avenir, l’autonomie financière, l’accomplissement personnel et la quête du succès à travers des objectifs professionnels.

« Une fois cette réalisation de soi a été acquise, les célibataires se rendent compte tardivement qu’ils mènent une vie de solitaire. Plusieurs femmes dans cette situation acceptent finalement le premier venu, pour se caser, d’autres optent pour l’éternel célibat pour éviter l’échec ».

Au sujet du célibat des hommes, le psychologue a présenté des profils bien définis.

« Ils incluent ceux qui fuient la responsabilité de gérer une famille. Dans la plupart des cas, ce sont les hommes comblés déjà par l’amour de leur mère et le soutien financier et psychologique de leurs proches.

Ils ne ressentent pas le besoin d’avoir une femme dans leur vie, ils ont en déjà une… », note-t-il.

Par ailleurs, d’autres hommes refusent de se marier dans le cadre de l’irresponsabilité, a ajouté Ghrairi.

«  Habitués à un train de vie plus extraverti, ils refusent de se trouver privés de leurs libertés, et pris au piège du mariage, qui exige une certaine stabilité, une présence continue et un dévouement pour l’autre.

Ces derniers, sont incapables aussi de limiter leurs dépenses pour les soirées arrosées, tabacs et divertissement, pour fonder une famille équilibrée ».

Parmi les autres changements sociaux qui ont engendré le boycott de l’engagement, on trouve aussi la liberté sexuelle, devenue désormais un frein au mariage.

« Les relations sexuelles hors cadre du mariage sont de plus en plus fréquentes. Ce changement des mentalités concerne toutes les catégories sociales, et régions du pays. La frustration physique  n’existe plus chez les célibataires, mais, en contrepartie, les valeurs religieuses et traditionnelles, n’ont plus le même impact sur les jeunes ».

Etre célibataire est vécu comme un échec 

D’après Ghaith Snoussi, Coach de vie, à cause des pressions familiales, les célibataires se sentent souvent écartés voire exclus, socialement à cause des jugements, et des critiques. Quel que soit leur niveau, intellectuel ou social, les célibataires vivent cette situation comme un échec.

« Les femmes se font des reproches car elles n’ont pas trouvé une chaussure à leur pied et, commencent à douter de leurs capacités en matière de séduction. Leur confiance en soi diminue, et sont rongées par la culpabilité…Pourtant, ne pas avoir de conjoint en lui même, n’est pas une fatalité. Il faut apprendre à se réjouir d’autres objectifs atteints, de s’accepter, et de faire la sourde oreille aux critiques… »

Les hommes rejettent, quant à eux, la faute sur les femmes. Pour nombreux d’entre eux, trouver la bonne épouse, relève de l’impossible en Tunisie. Elles sont toutes croqueuses de diamant  et cherchent l’argent, disent-ils. Elles s’attendent à l’homme parfait, sans jamais se remettre en question, se moquent-ils…

Mais en réalité, la crise-socio économique, a causé cette réticence envers le mariage. Les jeunes ont peur de s’endetter en satisfaisant les exigences de la famille de sa conjointe. « Mariage dans une salle de fêtes, parure en or, location d’un appartement, s’y ajoute l’ameublement…Tout cela coute une fortune en ce moment, et les hommes ont peur de décevoir l’autre par le peu de moyens qu’ils ont. Ils préfèrent donc, demeurer célibataires. Et cette incapacité de réaliser ce projet de vie, est vécu comme un échec également ». 

Pour les femmes, Ghaith Soussi a souligné que le retard de l’âge du mariage, concerne en majorité, les personnes ayant réussi leur vie professionnelle. « Elles sont généralement très diplômées, et ayant fait des carrières professionnelles depuis un jeune âge. En raison d’un emploi du temps chargé, et faisant partie de petits cercles sociaux, ces célibataires loupent souvent l’occasion de trouver un mari hors de leur entourage professionnel. Sans oublier que les femmes, intelligentes et autonomes, font fuir généralement les hommes, et sont souvent accusées de matérialisme… Il y a aussi les célibataires endurcis, ayant des critères inaccessibles, voire introuvables, qui choisissent de rester seules, sous prétexte qu’ils n’ont pas trouvé le bon. D’autres, cumulant les échecs amoureux, et les relations non abouties, subissent un choc émotionnel, et vivent un blocage à vie, par rapport au mariage…».

Le mariage n’est plus une priorité pour les jeunes 

Le mariage semble ne plus être la source principale d’accomplissement pour les jeunes d’aujourd’hui. L’engagement nuptial qui était autrefois, un passage obligatoire pour gagner la reconnaissance de la société, est considéré désormais par les célibataires endurcis, un objectif de vie, secondaire.

Ces jeunes qui choisissent ou subissent le célibat se ressourcent des joies d’autres succès scolaires, professionnels et personnels ou individuels, au lieu de se conformer aux règles et aux codes de la société.

Bien que cette mentalité anti conventionnelle, est en train de gagner du terrain en Tunisie, certains célibataires, contrairement aux préjugés, cherchent à tout prix à se caser. Passer sa vie en étant solitaire, sans conjoint ni enfant, ne faisait pas du tout partie de leurs projets.

C’est le cas de Soumaya, 35 ans, haut cadre dans une multinationale, installée à Tunis. Après de longues études en Marketing à Paris, elle a pu accéder à ce poste managériale. Mais depuis toute petite, elle rêvait de fonder une famille, et d’avoir des enfants. « La vie, avait d’autres plans pour moi », se désole-t-elle.

Occupée toute la journée, par ses tâches professionnelles, elle nous a confié qu’au fil des années, elle s’est convaincu que le mariage peut attendre. « Le plus important était pour moi, de trouver l’amour. Mais en vain, j’avais des aspirations trop élevées. Je cherchais l’affinité, la compatibilité intellectuelle et financière. Alors que c’était impossible de trouver tous ces critères, en une seule personne. J’ai réalisé trop tard que je n’étais pas réaliste », nous dit-elle.

« Si la vie m’a bien appris une chose, c’est que les opportunités doivent être saisies au bon moment et qu’une union pour la vie n’est pas basée sur des conditions strictes et des exigences préétablies. Les idéaux n’existent pas, et l’amour n’est pas l’unique pilier du mariage. Le respect, la compréhension et l’acceptation de l’autre, sont plus importants  », conclut-elle avec amertume.

Nous avons aussi contacté, Nesrine, 40 ans, fonctionnaire dans une société pétrolière. Fraichement mariée cet été, elle nous a dévoilés qu’elle était fiancée pendant 5ans. « Mon mari n’avait pas les moyens de m’offrir le mariage auquel ma famille s’attendait, avec une parure en or, et une cérémonie grandiose. Par amour, j’ai attendu toutes années pour concrétiser notre union. Mais maintenant, je suis confrontée à d’autres soucis de fertilité. A cet âge, j’ai des problèmes d’ovulation, et je risque de ne jamais tomber enceinte », nous confie-t-elle.

En effet, il n’y a pas que les conditions financières et l’ambition professionnelle qui peuvent être un obstacle pour franchir le pas et s’engager. Fakher, un jeune homme de 35 ans, a choisi de rester définitivement célibataire, suite à un choc émotionnel dû à une déception amoureuse. « Après une relation qui a duré 3 ans, ma fiancée m’a laissé tomber pour quelqu’un d’autre. Depuis, je n’ai plus confiance en aucune femme. Cette rupture a changé ma perception des relations amoureuses ».

Emna Bhira