Tunisie : Les parents préfèrent l’enseignement privé à l’école publique, les raisons en sont multiples

14-09-2022

Dernière ligne droite avant la rentrée scolaire. Depuis plusieurs années, l’engouement pour l’enseignement privé à pris une dimension importante en Tunisie. En effet, de plus en plus de parents optent pour des établissements privés, considérant que la garantie de réussite de leurs enfants est bien plus assurée que dans le public.

Un business juteux que de nombreux entrepreneurs ont embrassé. Ainsi, les écoles privées font florès sur tout le territoire afin de répondre à la demande toujours croissante des inscriptions.

Mais en cette période d’inflation, de baisse du pouvoir d’achat et d’une crise sociale et économique sans précédent, les Tunisiens sont-ils encore prêts à se sacrifier pour payer les études de leurs enfants ? Serait-ce la fin de l’école publique ? N’est-ce pas ici une manière de creuser encore un peu plus les inégalités ?

Une demande en hausse pour l’enseignement privé

Le nombre d’école privées en Tunisie a augmenté de 500% en l’espace de 10 ans. Ces chiffres proviennent du dernier rapport élaboré en 2020 par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux, passant de 102 en 2010 à plus de 600, une décennie plus tard.

Inès, maman d’un petit garçon de 6 ans, a mis plusieurs mois à se décider pour l’inscription de son fils en première année du cycle primaire. Ayant grandi à l’étranger, le système scolaire tunisien lui est complètement étranger et faute de moyens financiers elle ne peut inscrire son enfant dans une école internationale. Ainsi, deux choix se sont offerts à elle l’école publique ou l’enseignement privé.

« J’ai commencé à me renseigner dès le mois de janvier dernier, pour la rentrée de septembre. La plupart des gens avec qui j’ai parlé de ce sujet m’ont fortement déconseillé l’école publique à cause de la dégradation de celle-çi, tant au niveau de l’enseignement qu’au niveau de l’infrastructure », nous dit-elle. Ainsi, Ines s’est finalement tourné vers le privé en ayant conscience qu’il s’agira là d’un sacrifice financier énorme. « Les frais de scolarité s’élèvent à 6000DT mais je suis prête à faire des concessions pour que mon fils puisse bénéficier de la meilleure éducation possible », a-t-elle souligné.

Pour Inès, les principales conditions sont la sécurité, l’épanouissement personnel de son enfant, la modernité de l’établissement, les langues et surtout les conditions d’accueil. « Je travaille toute la journée donc je n’ai pas le temps d’aller chercher mon enfant à 12h pour le déjeuner puis de le ramener. Je termine mon travail après 16h, donc il fallait aussi un système de garde. La formule complète proposée par l’école privée est plus adéquate que cette celle du public », poursuit-elle.

En effet, dans le public, pas de cantine, pas de garde et donc une charge mentale en plus pour les parents.

Abandon de l’école publique par les parents et par…l’Etat !

Contacté par téléphone, Ridha Zahrouni, président  de l’Association tunisienne des parents confirme l’engouement croissant pour l’enseignement privé.

« L’école privée joue un rôle important dans la société puisqu’elle répond aux exigences de la société d’aujourd’hui. Pour autant il ne faut pas mettre en concurrence l’école privée et l’école publique. Elles doivent être complémentaires. Si on veut redonner à l’école publique sa place dans le système éducatif, il faut la réformer et investir davantage », explique-t-il.

En effet, l’autre raison qui pousse les parents à inscrire leurs enfants dans le privé réside dans la détérioration de l’enseignement public. Olfa, est la maman d’un adolescent de 13 ans. Après un cursus primaire dans l’école publique de son quartier, elle a finalement opté pour un collège privé. « J’ai été témoin au fur et à mesure des années de la baisse de la qualité dans le public. Les grèves à répétition, le absences de nombreux professeurs ainsi que leur nonchalance vis à vis des enfants et des classes surchargées. Depuis que mon fils a intégré le cursus privé, je vois qu’il est nettement plus épanoui et ses résultats sont meilleurs », nous confie-t-elle.

Un constat amère pour l’école de la république qui était un véritable modèle dans la région du Maghreb et le monde arabe en général. Depuis 2011, les grèves à répétition et la mainmise des syndicats sur le système éducatif, ont largement fragilisé l’éducation, pilier du développement d’un pays.

Pour rappel, le budget de ministère de l’éducation a été établit à pas moins de 7 milliards de dinars, soit plus de 6% du PIB et 12% du budget de l’Etat. La quasi-totalité (95%) servira à assurer les salaires des 238.000 fonctionnaires qui le compose, au détriment des équipements, des infrastructures et de la modernisation de l’école publique.

De leur côté les syndicats de l’enseignement accusent le ministère d’abandonner le public en faveur du privé. A cet égard, le secrétaire général adjoint de la Fédération générale de l’enseignement secondaire, Ahmed Mhaouek, a annoncé récemment que la commission administrative sectorielle a pris la décision de tenir une manifestation d’une heure le jour de la rentrée scolaire. Il a expliqué dans ce sens qu’il s’agissait d’une mesure symbolique visant à mettre fin aux pratiques dites « fascistes » du ministre de l’Education, Fethi Sellaouti, accusant ce dernier de tentative de désintégration du modèle de l’école publique et de pousser les parents à inscrire leurs enfants dans des établissements scolaires privés. Il a, également, annoncé que les enseignants étaient prêts à bloquer les notes du 1er trimestre…

Dans ces conditions, difficile de faire encore confiance à l’école publique. Celle de l’égalité des chances et de la mixité sociale. Celle où réussir n’est pas une question d’argent mais de détermination et d’envie… Face à un véritable risque de « privatisation » de l’enseignement, il est urgent d’agir à travers des réformes et une stratégie claire afin de redonner à l’école de la République son blason d’antan…

Wissal Ayadi