Tunisie : Quelles leçons à tirer de l’investiture de Joe Biden ?

21-01-2021

L’investiture de Joe Biden, et son entrée en action immédiate, dès qu’il a franchi le seuil de la Maison blanche, incitent à la réflexion et à la méditation. Comparaison n’est certes pas raison, mais on ne peut ne pas avoir un pincement au cœur, face à un tel décalage dans l’exercice politique chez eux et chez nous, dans cette Tunisie, qui n’a pas réussi dix ans après une révolution inédite dans le monde arabe, à sortir du statut d’une démocratie naissante.

Comme il est de tradition au pays de l’oncle Sam, le 46ème président américain a pris ses fonctions un 20 janvier, en l’occurrence, hier mercredi. Avant l’investiture et la prestation de serment, il s’est rendu à l’église et a assisté à la messe, avec trois de ses prédécesseurs (deux démocrates et un républicain) et leurs épouses : Obama, Clinton et Bush fils. Après avoir prêté serment sur la Bible, Biden a prononcé un discours où il a appelé à l’unité, tentant de cicatriser les blessures d’une Amérique divisée.

Sa vice-présidente, la charismatique Kamala Harris, la première femme à accéder à ce poste dans l’histoire américaine, et qui plus est d’origine indienne, a prêté serment juste avant lui.

D’emblée dans le vif du sujet, 17 décrets signés

Finis les discours, les accolades, le protocole, et les émotions, Joe Biden se met, illico presto, au travail. Prenant place au Bureau ovale, le nouveau président de la première puissance mondiale, n’a pas perdu une seconde et est entré immédiatement dans le vif du sujet, en signant 17 décrets.

Joe Biden a apporté, d’emblée, ses marques, rompant concrètement avec l’ère Trump, en détricotant toutes les décisions controversées et impopulaires, ayant marqué son tumultueux mandat.

Entre le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat, et sa réintégration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les textes qu’il a signés ont produit tout de suite leurs effets, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Amérique.

Biden a aussi entériné un décret mettant fin à l’interdiction de ressortissants de certains pays musulmans d’entrer au territoire américain, ainsi que plusieurs autres textes de politique interne, comme l’obligation du port du masque dans les bâtiments fédéraux, suite à l’engagement fort qu’il a pris pour maîtriser la pandémie du Coronavirus qui fait des ravages aux Etats-Unis.

Ce n’est pas tout, le président démocrate a adopté une proclamation, pour la suspension des travaux de construction d’un mur à la frontière avec le Mexique, un projet phare du règne de son prédécesseur.

Il a, en même temps, transmis un projet de loi au congrès sur l’immigration, et la possibilité de naturalisation de 700 000 jeunes arrivés clandestinement aux Etats-Unis, lorsqu’ils étaient enfants, etc.

Avant le jour d’investiture, Biden a choisi les 15 membres formant son cabinet, dont le Sénat validera la nomination dans les prochains jours.

Aucune minute n’était perdue dans de quelconques palabres, le nouvel homme fort des Etats-unis n’a rien laissé au hasard pour passer à l’action séance tenante.

Les démocraties occidentales ne sont, certes, pas irréprochables, elles ont leurs travers, et donnent l’impression parfois d’être menacées de déclin, l’épisode de la marche sur le Capitole et toute la violence qui s’en est accompagnée en sont la preuve. Leur mode de gouvernance, leur perception du pouvoir, et de la gestion des affaires, nous plongent dans la désolation de ce qu’il en est advenu de la situation en Tunisie, un pays qui a amorcé sa marche vers la démocratie il y a une décennie, et qui en est resté, aux premiers balbutiements.

La Tunisie est à des années lumières

Ce que l’occident a, et nous dans le monde arabe et en Tunisie, particulièrement, nous en sommes dépourvus, c’est le patriotisme, l’attachement à l’intérêt national, une fierté et une appartenance à une culture, une identité et une religion, un certain projet commun, et un consensus sur les fondamentaux, garant de l’invulnérabilité de la nation.

Pour eux, le temps politique et du pouvoir est précieux,  et le mandat donné par le peuple est sacré. Ils le perçoivent, comme une lourde responsabilité, un dépôt à préserver, une parole à honorer, et une action et des réformes à mettre en route.

Face à cela, la Tunisie est à des années lumières. Même s’il est réel, son processus de démocratisation a été beaucoup plus générateur d’anarchie, d’irresponsabilité et de dissensions politico-sociales, que de projet salvateur pour la nation et son peuple. Ces dix ans d’effervescence, qui ont fait succéder quatre présidents, une dizaine de chefs du gouvernement et des centaines de ministres aux différents postes, n’ont pas donné lieu hélas, à des hommes et femmes politiques, dignes de cette qualification, ceux qui ont une vision, un projet, qui sont portés sur l’action et le changement. Résultat : une action discontinue, et improvisée qui n’a fait qu’enliser le pays dans une crise multiforme et inextricable.

Dès l’indépendance, sous l’ère Bourguiba et de Ben Ali, le sens du militantisme politique en Tunisie, tous courants et idéologies confondus, était l’absence de démocratie et de liberté. Mais voilà, qu’elles se sont concrétisées et devenues une réalité, qu’est-ce que nous en avons fait.

Juste un brouhaha, des partis disloqués, des querelles politiciennes et une instabilité politique visiblement irrémédiable.

En Tunisie, l’élection donne lieu tout naturellement à des gagnants à la présidentielle et aux législatives, lesquels sont d’emblée enchaînés, pour de multiples raisons. Aussitôt les résultats des urnes dévoilés, que la même rengaine est entonnée : les concertations (les fameuses mouchaouarats).

Le débat s’éternise, tout d’abord, autour de la nature du gouvernement, politique ou apolitique, de majorité ou de minorité, de coalition ou non, etc. Entretemps, celui qui aura été désigné, au forceps, chef du gouvernement, essaie de réconcilier l’irréconciliable et de former un cabinet.

Dès que celui-ci est annoncé, qu’il s’agisse d’un nouveau gouvernement ou d’un remaniement, que des voix désapprobatrices s’élèvent, rejetant toute l’équipe, ou lançant des accusations contre certaines personnalités le constituant, pour soupçons de corruption, connivence ou proximité avec telle ou telle formation politique…une confusion qui survit au vote de confiance au gouvernement et à son entrée en fonction, en freine, dès les premiers jours l’action, et tue dans l’œuf toute volonté de réforme et de changement.

L’immobilisme, voire la dégradation générale dont souffre la Tunisie, depuis dix ans ne sont pas fortuits, Ils ont bien des raisons. Le problème, c’est qu’avec une telle classe politique, hormis quelques exceptions, mais une hirondelle ne fait pas le printemps, les choses ne sont pas prêtes à changer.

Moralité de l’histoire : N’est pas acteur ou actrice politique qui voudra. En Tunisie, ce milieu compte plein d’amateurs, et de parvenus, venus pour se servir et non pour servir ; les causes du malheur tunisien se trouvent juste-là.

H.J.