Tunisie : Un cri d’alarme contre le gaspillage alimentaire, plus d’un million de baguettes jetées chaque jour!

10-05-2024

L’ampleur alarmante du gaspillage alimentaire en Tunisie pose question. Alors que le pays lutte pour satisfaire ses besoins alimentaires fondamentaux, des millions de repas sont gaspillés chaque jour, exacerbant les crises économiques, écologiques et sociales.

Dans une interview exclusive, Samir Meddeb, président de l’association Racines et Développement Durable appel à des actions urgentes soulignant la nécessité d’une mobilisation collective et de mesures concrètes pour surmonter ce défi pressant.

Qu’est-ce que le gaspillage alimentaire ?

Le gaspillage alimentaire c’est la différence entre ce qui est produit au niveau de la ferme et ce qui est consommé au niveau de l’assiette. Selon Samir Meddeb, il s’opère à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement. Les pertes surviennent d’abord au niveau de la production agricole, où des quantités significatives de fruits, légumes et produits laitiers sont gaspillées. Le transport, la transformation industrielle, la commercialisation et même la cuisine domestique contribuent tous à ce gaspillage préoccupant.

« Le produit agricole ou alimentaire passe donc par un certain nombre de maillons et au niveau de chaque maillon il y a soit une perte, soit un gaspillage. Au niveau des premiers maillons on parle de perte et à la fin c’est du gaspillage », nous dit-il.

Un milliard de repas gaspillés tous les jours dans le monde

Les chiffres sont alarmants : selon le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), publié en mars 2024, un milliard de repas sont gaspillés quotidiennement à l’échelle mondiale. Une situation critique alors que 850 millions de personnes souffrent de la faim.

Meddeb souligne à cet égard que la solution réside dans la réduction du gaspillage, ce qui pourrait contribuer à résoudre le problème de la famine dans le monde.

Le consultant met en lumière le rôle des entreprises dans la perpétuation du gaspillage. « Notre système économique encourage souvent la surconsommation. On note également un changement de comportement récent, où le gaspillage alimentaire est devenu plus courant, contrairement à une époque où les déchets étaient réduits au minimum. Il y a encore 40 ou 50 ans, le gaspillage et même les déchets n’existaient pas. Dans les foyers Tunisiens, le peu qui sortaient sous forme de déchets était soit récupéré dans la cuisine dans d’autres plats où soit ils servaient à nourrir les animaux ou encore utilisés comme composte pour la terre », affirme Samit Meddeb.

En Tunisie, le gaspillage alimentaire atteint des niveaux préoccupants, avec environ un million de baguettes jetées chaque jour, même si le pays peine à satisfaire ses besoins en céréales et doit souvent importer à prix élevé. D’après les données de l’Institut National de la Consommation (INC), le gaspillage alimentaire en Tunisie touche principalement le pain, avec un taux de gaspillage atteignant 15,7% de sa production totale. Ensuite viennent les produits céréaliers avec 10,2%, les légumes avec 6,5%, les fruits avec 4,2%, les produits laitiers avec 2,3% et les viandes avec 1,9%.

« Aujourd’hui 4 poubelles sur 5 comportent une voire deux baguettes entières. Le pain est un exemple vraiment caricatural quand on sait que la Tunisie a du mal à satisfaire sa production en céréales. La Tunisie est amenée à importer la quasi-totalité de ses besoins à prix fort tout en subventionnant. En plus d’avoir des difficultés à payer ces produits en devises et à les subventionner, on se permet de le gaspiller », déplore le président de l’association Racines et Développement Durable.

Le gaspillage alimentaire multiplié par 4 pendant le Ramadan

Samir Meddeb met également en lumière le manque crucial de données sur le gaspillage alimentaire en Tunisie. Malgré quelques études ponctuelles, la compréhension de la nature et de l’ampleur du gaspillage demeure limitée. Il appelle ainsi à la mise en place de dispositifs continus de collecte et d’analyse des données pour obtenir une image précise du phénomène. Il déplore l’absence d’une institution dédiée à la production régulière de chiffres et d’études sur ce sujet vital.

Par ailleurs, Meddeb met en évidence le paradoxe du gaspillage accru pendant le Ramadan, période censée être de sobriété. « Durant cette période, censée être synonyme de sobriété alimentaire, le gaspillage est multiplié par 4 », relève-t-il. Ce constat met en lumière les contradictions dans la relation entre l’individu et son environnement. En effet, la lutte contre le gaspillage s’inscrit dans un contexte de crise multiple, alliant des enjeux économiques, écologiques et sociaux.

Enfin, Samir Meddeb souligne l’aspect culturel, comportemental et civilisationnel du gaspillage alimentaire. Il appelle à une sensibilisation accrue, mais insiste également sur la nécessité d’une réglementation efficace, pénalisant les gaspilleurs et encourageant les pratiques responsables. Il souligne l’importance de déployer une gamme d’outils et de stratégies pour réduire le gaspillage et promouvoir une utilisation responsable des ressources alimentaires précieuses de la Tunisie.

Pourtant, malgré l’urgence de la situation, les efforts pour combattre le gaspillage alimentaire en Tunisie restent modestes. Meddeb appelle à une mobilisation collective, à une réglementation plus stricte et à des partenariats renforcés pour s’attaquer efficacement à ce problème.

En conclusion, le gaspillage alimentaire en Tunisie ne peut être résolu que par une approche holistique impliquant une multitude d’acteurs, une gouvernance transversale et une sensibilisation à grande échelle. Il est temps que la Tunisie prenne des mesures concrètes pour réduire ce gaspillage et préserver ses ressources précieuses pour les générations futures.

Wissal Ayadi