D’anciens détenus libérés suite à l’amnistie générale témoignent

18-12-2019

D’anciens détenus, accusés de terrorisme à l’époque de Ben Ali et relâchés suite à l’amnistie générale décrétée en 2011, souffrent encore de harcèlement et de restrictions policières, selon  l’Observatoire des droits et libertés.

Lors d’une conférence de presse tenue ce mercredi, le président de l’observatoire a affirmé que le décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence, a engendré l’assignation à résidence de plus de 500 citoyens tunisiens.

Il s’agit notamment des accusés de terrorisme et de corruption, qui ont été jugés définitivement, mais, sans pour autant regagner leurs libertés…

Des personnes qui disent avoir été harcelées par la police malgré leur relâchement par la justice, sont venues témoigner à cette occasion. Comme Walid Slimi, originaire de la ville de Bizerte, ancien détenu, libéré à l’occasion de l’amnistie générale de 2011.

Il a révélé que sa « famille souffre quotidiennement, des violences de la police. Même après la révolution, des membres de la brigade anti-terroriste surveillent les déplacements de ses parents et de ses frères et sœurs, et se permettent de faire des descentes dans leur domicile à n’importe quelle heure de la journée, sans aucune raison claire, et sans autorisation judiciaire ».

Walid Slimi a aussi parlé de la « tentative de suicide » qu’ont effectué des membres de sa famille. « Mes frères et sœurs ont tenté de commettre un suicide collectif, car leur vie est devenue insupportable. Les violences qu’ils ont subies durant mon incarcération et après mon relâchement, ne se sont jamais arrêtés », explique-t-il …

« Même mon frère qui souffre d’un handicap physique, a été empêché d’obtenir son bulletin numéro 3. L’administration refuse toujours de lui donner ses papiers, à cause de mon ancienne affaire… »

Un autre ancien détenu a apporté son témoignage lors de la conférence.

Il s’agit de Hichem Ben Slim Taleb, ancien étudiant en médecine, inculpé de terrorisme en 2004. Il a écopé de 8 ans de prison ferme. Après la révolution, il s’est retrouvé condamné par une peine d’assignation à résidence, et classé recherché sans jugement judiciaire. Selon ses dires, des membres de la sécurité nationale le surveillent encore, et l’obligent à prendre leur permission pour circuler.

« Je n’ai pas le droit de dépasser un rayon de 2 kilomètres de chez moi, pourtant j’ai été innocenté », ajoute-t-il, en expliquant que les abus atteignent leur apogée à chaque fois, qu’un attentat terroriste se produit en Tunisie.  

« A l’occasion de toutes les attaques perpétrées depuis 2011, j’ai été questionné, déplacé 40 fois à Gorjani, et parfois j’y passais quelques jours…J’ai été même accusé de fêter des actes terroristes ayant frappé le pays…Et durant l’Aîd je prends la permission au commissariat de la police pour ramener mes enfants au parc d’attraction…D’ailleurs ma dernière demande a été refusée sans hésitation… », relate-t-il.

Une autre victime des harcèlements de la police, Bachir Mosbahi, a révélé que sa femme de 22 ans, s’est suicidée après des descentes répétitives des membres des unités anti-terrorisme dans leur domicile, en laissant un enfant d’un an et demi et un nouveau née.

 Cet inculpé de terrorisme de 2004, dit avoir été incarcéré car il faisait la prière à la mosquée.

« Maintenant je suis soupçonné de connivence avec les terroristes. Et je subi des violences à cause de l’état d’urgence déclaré depuis 2011 ».

Par ailleurs, l’observatoire des droits et des libertés a souligné que le décret n°78-50 relatif à l’état d’urgence n’est pas constitutionnel. « Cela a été confirmé par feu Béji Caid Sebsi et l’actuel président de la république Kais Said dans plusieurs interventions télévisuelles et sur les radios ».

« Malgré la dénonciation des prolongations successives de l’état d’urgence, par la société civile et dans les rapports nationaux, des gouverneurs, des membres de la sécurité et des ministres d’intérieur continuent à profiter des prérogatives qu’offre ce décret, pour des règlements de compte.. »

Selon l’observatoire, plus de 100 000 personnes sont concernées par des restrictions de déplacements à l’intérieur du pays, et sont interdits de voyager également. Ces anciens détenus sont même privés d’obtenir des papiers administratifs, et plusieurs d’entre eux n’ont pas le droit de travailler ou encore de s’exprimer….

Pour mettre fin à ces violences, l’observatoire des droits et libertés appelle Kais Said à ne pas renouveler l’état d’urgence le 31 décembre 2019.

 Il recommande aussi au parlement de mettre en place, en urgence, une Cour constitutionnelle, qui révisera le décret n°78-50 relatif à l’état d’urgence, d’une manière à ce qu’elle impose le respect des libertés et des droits.

Emna Bhira