La gestion des malades Covid+, les médecins obligés de jongler au quotidien avec peu de moyens

13-10-2020

 « Dans les hôpitaux publics, les médecins et les infirmiers de première ligne dans cette guerre contre le Coronavirus entrent en contact étroit, quotidiennement, avec une trentaine de malades positifs au Coronavirus. C’est garanti pour eux de recevoir une charge virale importante, notamment avec le manque frappant des équipements de protection (EPI). Ils  s’exposent quotidiennement au danger de la contamination, alors qu’ils se débrouillent avec les moyens du bord pour se protéger. Pour ma part, il m’est arrivé de faire un prélèvement avec un seul gant, faute d’indisponibilité des outils les plus futiles ! »

C’est ce qu’a dévoilé le président de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM), Jed Henchiri sur la situation  déplorable à laquelle les médecins sont confrontés tous les jours.

Il a aussi souligné que plusieurs personnes du corps médical exercent alors qu’elles sont contaminées. Une fois hospitalisées, ces mêmes « guerriers » ne trouvent pas de lits de réanimation.

« La mort du Dr. Haythem Chemchik, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital universitaire, Fattouma Bourguiba, en est le meilleur exemple. Etant dans un état critique à cause du Covid-19, il n’a même pas trouvé un lit de réanimation dans son lieu de travail ».

Encombrement des urgences dans le Grand Tunis

Par ailleurs, sur le Grand Tunis, là où il y a la plus grande concentration des hôpitaux, les circuits Covid sont encombrés et les lits de réanimation sont quasiment tous occupés par les malades. Actuellement, il ne reste que deux lits de réa à l’hôpital d’enfant Bab Saadoun, et  deux autres à l’Institut Mohamed Kassab d’orthopédie », a déploré Dr.Jed Henchiri.

A ce sujet, une vidéo dans les urgences de l’hôpital la Rabta, qui montre des malades Covid+ endormis sur le sol  a circulé dernièrement sur les réseaux sociaux. Cette séquence qui a secoué les internautes,  affiche des malades entassés dans une petite cellule de l’établissement. « Certains ont ramené leurs matelas pour y passer la nuit en présence des médecins réanimateurs », a confirmé le secrétaire générale de la Fédération générale de la santé publique.

En expliquant ces images montrant à quelle point les urgences sont débordées, il a souligné que cette nuit là en particulier, le service réa de la Rabta a reçu en 72 heures, 57 personnes dont 37 ont été diagnostiquées positives. 

« Ce service dispose de 13 lits de réanimation, tous occupés. Les médecins ont dû donner leurs chaises aux patients pour leur assurer une place. Ils étaient 7 infirmiers à soigner cette cinquantaine de personnes », a-t-il précisé. « Malgré l’afflux important des malades,  ils ont réussi à gérer la pression. Mais une chose est sûre, c’est qu’on ne pourra pas maintenir ce rythme, tant que notre capacité d’accueil ne sera pas renforcée. »

Des conditions « catastrophiques » dans les urgences  

Le président de l’Organisation tunisienne des jeunes médecins a également expliqué que non seulement les lits de réanimation ne sont plus disponibles dans les hôpitaux, mais aussi ces établissements gèrent la crise sanitaire avec un sous-effectif.

« Plusieurs résidents ont quitté leurs postes car ils ne sont pas rémunérés depuis 6 mois. A quoi bon risquer sa vie, s’il n’y a ni la moindre protection, ni une reconnaissance de leur travail », s’exclame-t-il.

Le manque d’effectif joue un rôle crucial dans la mauvaise gestion des malades, avec le pic épidémiologique que la Tunisie est en train de vivre, en enregistrant 1000 personnes positives toutes les 24h depuis deux semaines environs. Et, le chiffre le plus alarmant reste celui des personnes hospitalisées, qui s’élève à 1483 malades en ce mois d’octobre, selon le dernier bilan épidémiologique du ministère de la santé.

Dans une autre intervention de la résidente en néphrologie à la Rabta, Dr. Héla Daoud, cette dernière a aussi confirmé qu’il est de plus en plus difficile de gérer les malades.

Dans une publication faite sur sa page Facebook, elle a indiqué que les médecins, mises à part leurs tâches, ils effectuent les soins infirmiers, et les missions des ouvriers ainsi que les tâches administratives, alors que dans ce contexte, les médecins ont besoin d’une entière concentration ».

En racontant l’expérience qu’elle a vécue durant sa dernière garde de nuit, elle a souligné que « pour faire un scanner, un patient de réanimation Covid-19, a été accueilli dans les urgences de la Rabta, par les médecins et les infirmiers. Une tâche, que l’ouvrier est censé faire. Quant aux ambulanciers qui ramènent les malades étant souvent débordées, il leur arrive de laisser les patients en détresse respiratoire, livrés à eux-mêmes sur un brancard, devant la porte de l’hôpital, sans aviser les médecins ».

« On mène des gardes de nuit dans des conditions catastrophiques », lance-t-elle. « C’est difficile de gérer cette pression, avec des stocks limités d’EPI et un sous-effectif frappant dans les services des urgences. »

Appel à un court confinement sanitaire ciblé

Pour alléger la charge sur les médecins, et les circuits Covid-19 encombrés que ce soit dans les hôpitaux ou les cliniques privées, le chef de service des urgences à l’hôpital Abderrahmen Mami (Ariana), Dr.Rafik Boujdaria recommande un confinement sanitaire, temporaire et ciblé.

Pour lui, la seule solution pour baisser le nombre d’infection par le virus, est de décréter un confinement sanitaire général durant le weekend, étalé sur 3 jours jusqu’à la fin du mois. L’objectif étant de tenter de rompre les chaines de contamination.

Il a affirmé que la Tunisie est en train de vivre le 4ème niveau de la pandémie, durant laquelle la contamination atteint son plus haut taux.

« Malgré la décision tardive prise par le gouvernement, celle de renforcer la capacité des hôpitaux en leur fournissant des lits de réanimation et des machines de respiration artificielle, les urgences seront incapables d’accueillir autant de malades dans les semaines qui viennent », alerte-t-il.

Dr. Boujdaria a reproché à l’Etat le fait qu’il n’a pas envisagé de mettre en place une stratégie rigoureuse de lutte contre le virus durant une deuxième vague plus forte que la première. « Dans ces conditions sanitaires  déplorables qui ont touché le monde entier, il faut anticiper et prendre les décisions au bon moment, et ne pas lancer des appels d’offre pour acheter les lits de réa et les respirateurs à la dernière minute », rappelle-t-il.

 « D’ici février 2021, les citoyens sont appelés à appliquer à la lettre le protocole sanitaire, notamment les trois consignes d’hygiène : port du masque obligatoire, lavage régulier des mains et distanciation sociale ».

« Autrement, le nombre des morts par le virus peut augmenter d’une manière exponentielle, la situation va dégénérer si l’Etat n’est pas assez ferme et ne décrète pas des mesures supplémentaires pour diminuer la contagion », a conclu le chef de service des urgences à l’hopital Abderrahmen Mami (Ariana).

Emna Bhira