La Tunisie a-t-elle raté son déconfinement, parole aux professionnels

10-10-2020

Le 24 juin dernier, la Tunisie décidait d’ouvrir ses frontières après deux mois de confinement en totale isolation du reste du monde. Si à cette époque, la situation épidémiologique dans le pays semblait maîtrisée, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le dernier bilan du ministère de la Santé fait état de  2312 nouveaux cas de contamination, portant le total des malades à 24 542 personnes infectées. Au vu de cette accentuation de la crise sanitaire, tout le monde cherche un bouc-émissaire et ils sont nombreux à remettre en cause l’ouverture des frontières. Certains fustigent la mauvaise gestion de celle-ci. D’autres affirment qu’elle était nécessaire…

« Tunisia is ready and safe », la Tunisie est prête et saine. Voici le slogan choisi par le ministère du Tourisme au moment de la réouverture des frontières. A coup de publicités vendant du rêve et d’offres promotionnelles exceptionnelles, les professionnels du tourisme n’ont pas lésiné sur les moyens afin de sauver une saison touristique en péril. Si l’Europe a été dévastée par la crise du Coronavirus, la Tunisie semblait être l’endroit idéal pour les touristes européens de passer des vacances dignes de ce nom après deux mois de confinement, voire de cauchemar.

Une réouverture mal gérée

C’est donc le 24 juin que les autorités tunisiennes ont décidé la réouvertures des frontières et la reprise du trafic aérien. Une bonne nouvelle d’abord pour la diaspora tunisienne, les TRE (Tunisiens Résidents à l’Etranger), comme on les appelle souvent. Nous avons rencontré Khaled Fakhfakh, le président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie. Il explique que cette décision a été la bonne. « Nous étions dans l’obligation d’accueillir les enfants du pays », dit-il.  Ces personnes permettait d’apporter des devises au pays, justifie-t-il.

Pourtant les chiffres n’ont pas vraiment été à la hauteur des espérances. En effet, seuls 450.000 TRE se sont rendus en Tunisie entre le 1er janvier et le 31 août 2020 contre 1,6 millions l’année précédente.

Les touristes européens ont été, par ailleurs, au nombre de 870.000 en 2020 contre 3 millions en 2019 et qu’aucun cas de contamination n’a été enregistré chez ces personnes.

Pour Fakhfakh, l’aggravation de la crise sanitaire vient des TRE qui n’ont pas suivi le protocole sanitaire. « Ils ne se sont pas confinés, ils ont rendu visite à leurs familles et sont allés dans des mariages…mais nous n’avions pas le choix, nous devions ouvrir », affirme-t-il.

Khaled Fakhfakh/Président de la FTH

C’est donc cette phase qui a été peut-être été mal gérée. En effet, la réouverture des frontières est passée par différentes phases. Au départ, les personnes arrivées de l’étranger étaient confinées dans des structures hôtelières aux frais de l’Etat. Puis il a été question de faire payer aux arrivants leur confinement dans ces mêmes hôtels. Une opération qui a duré deux semaines seulement et qui a remué beaucoup de scandale quant à la qualité du service.

Est venue, par la suite, la fameuse phase des listes par pays et par couleurs. Vert, Orange, Rouge. Un jeu de chaise musicale qui perdure encore aujourd’hui… Pour exemple, la France est passée du rouge, au vert, puis à l’orange puis, en ce moment, dans aucune liste mais soumise à un protocole sanitaire spécifique… pour des raisons sans doute politiques.

Durant la période estivale, de nombreux touristes et TRE ont profité de l’assouplissement des mesures sanitaires pour se rendre librement en Tunisie. Les ressortissants tunisiens et les étrangers n’ont en effet pas été contraints dans un premier temps au confinement obligatoire, ni d’effectuer un test de dépistage avant leur arrivée au pays. C’est, à ce moment là, que les contaminations horizontales ont commencé à dépasser les verticales.

Aujourd’hui, ils sont de nombreux détracteurs à critiquer cette gestion pour le moins chaotique. En effet, le premier visé a été Abdellatif Mekki qui était alors ministre de la Santé. Il a notamment été interpellé sur la réouverture des frontières. Certains disent que les autorités tunisiennes auraient été sous pression, et c’est ce qui les aurait poussé à décider de cette réouverture.

Mais pour l’ancien ministre, il n’en est rien. « Il n’y a eu aucune pression politique. Des protocoles sanitaires ont été préparés en vue de bien entamer la réouverture et ce en accord avec le comité scientifique Â», a-t-il déclaré. Au sujet du classement des pays selon leur niveau épidémiologique, Abdelatif Mekki assure qu’aucun pays n’a demandé un changement de statut.

Toutefois, poursuit-il, quelques ambassadeurs en Tunisie ont contacté le ministère tunisien de la Santé pour connaître les raisons de la classification de leurs pays respectifs.

Malgré cette situation, le président de la FTH persiste et signe « il fallait rouvrir les frontières », et ne cache pas le fait que la FTH a fait pression sur les autorités pour la reprise du trafic aérien sur certaines destinations comme la République Tchèque et la Pologne.

« Nous demandons à ce qu’on nous redonne l’opportunité de travailler avec le marché algérien, russe, français, allemand et italien car ce sont eux qui sont déterminants pour le secteur du tourisme », lance Fakhfakh. Avant d’ajouter que « le gouvernement doit prendre des décisions politiques courageuses et prendre un risque sanitaire ». Le professionnel entend par là qu’il compte sur la responsabilité des touristes étrangers pour respecter les gestes barrières. « Je ne pense pas qu’un touriste ira se balader au souk sans masque », dit-il.

Au sein du corps médical également les critiques fusent… Non pas sur l’ouverture des frontière en elle-même, mais en raison d’une mauvais gestion de celle-ci. C’est le cas notamment du célèbre cardiologue, Dr. Dhaker Lahidheb  qui a déclaré que la propagation du virus en Tunisie n’a pas été causée par la décision d’ouvrir les frontières. L’erreur était,  selon lui, de classer les pays comme l’Italie et la France dans la liste verte.

De son côté, Nissaf Ben Alaya, la directrice de l’Observatoire des maladies nouvelles et émergentes, a considéré que la Tunisie a atteint « la phase de danger Â» à cause du non-respect des mesures préventives, soulignant que moins de 10% des Tunisiens appliquent ces mesures.

Une réouverture nécessaire

Le Tunisie a été à l’arrêt pendant deux mois… deux mois pendant lesquels les activités commerciales ont été stoppées, mettant à mal de nombreux secteurs et petites entreprises.

Nous avons contacté Nader Hadded, il est banquier d’investissement. Il explique qu’aucun pays n’a le luxe de fermer ses frontières. « La Tunisie est qui plus est un pays émergent, endetté avec un déficit commercial important. La Tunisie ne peut pas et ne peut plus fermer ses frontières sinon c’est l’effondrement de l’économie », dit-il.

Il rappelle par ailleurs que la Tunisie c’est -21% de croissance au deuxième trimestre de cette année.

Il ajoute également l’importance pour le pays d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses partenaires commerciaux.

Nader Hadded / Banquier d’investissement

« La décision politique de rouvrir est donc une décision salutaire », affirme le spécialiste en finances. En effet, il faut rappeler que l’économie tunisienne reste fragile puisque 50% de celle-ci provient de l’économie dite parallèle. « Les outils qui permettent de sauver l’économie ne sont pas nombreux. Par exemple, nous ne pouvons pas imprimer des billets comme on veut, comme c’est le cas aux Etats-Unis par exemple », indique Hadded.

Il explique également que l’instabilité politique est le premier vecteur de faillite d’un pays. Il fait allusion aux nombreux changements de gouvernements survenus en Tunisie ces dernières années et notamment ces derniers mois.

Pour Yassine Annabi, professeur d’économie à l’Université de Tunis, il y a une urgence à réformer l’économie du pays. En effet, selon lui la crise du Covid-19 n’a fait qu’aggraver une situation économique déjà fragile. « La situation économique était déjà compliquée avant le Covid. En 2018, 1,8 millions de familles ne pouvaient pas se passer des crédits. Ainsi, 6 Tunisiens sur 10 sont endettés. S’ils étaient endettés principalement à cause de l’habitat, après 2018, ils se sont endettés pour subvenir aux dépense quotidiennes », souligne-t-il.

Wissal Ayadi

2 Auteurs du commentaire
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Beranger Fabrice

Il faut arrêter de tout mettre sur le dos des TRE : C’est quoi ce pays ? Les Américains, européens, … disent nous avons le virus à cause de nos ressortissants qui voyagent ? Ce pays va rester fermer sur lui-même combien de temps ? Il faut savoir assumer et avancer : En rembobinant le passé tout en pleurant on avance pas. Tous ces comportements ont été révélateur d’un futur conflit culturel en plus entre résidents et TRE, et ce n’est pas dans l’intérêt de la Tunisie qui devrait apaiser ce climat et mette en place de vraies politiques inclusives.… Lire la suite »

Anonyme

Quels TRE n’ont pas suivi le protocole sanitaire ? Les trois personnes arrivés par avion ou dans le bateau au point que TUNISAIR et surtout la CTN ont regroupés plusieurs retours de façon a optimiser les retours.