Tunisie : Les experts comptables analysent les dispositions positives et négatives de la loi de finances 2023

04-01-2023

Comme chaque année, l’Ordre des experts-comptables de Tunisie a organisé, ce mercredi 4 janvier, une conférence afin d’expliquer les nouvelles dispositions de la loi de finances 2023.

Un texte qui a été largement critiqué par l’Ordre, mais aussi d’autres professions libérales, et dont certaines dispositions, vont selon eux, à l’encontre de l’investissement et du sauvetage du tissu économique du pays.

Des pénalités de retard qui dépassent l’entendement

Mohamed Triki, expert-comptable, a présenté les nouvelles dispositions de la loi de finances 2022. Il explique dans un premier temps que le texte est bien plus long que les précédent et qu’il ne comporte pas des mesures intéressantes pour les entreprises en général.

« Elle est composée essentiellement de « mesurettes » qui ont plus un aspect social que fiscal, en faveur des petits projets, et des petits contribuables. Mais pour les PME ou les grandes entreprises, il n’y a pas beaucoup de choses », déplore-t-il.

Par ailleurs il affirme que le principal point de discorde concerne, l’augmentation du taux des pénalités de retard. « Nous avons découvert que ce taux est passé d’un seul coup à 27% d’intérêt par an, sur 4 ans, cela revient à 808%. Ajouter à cela une pénalité fixe de 20%. Donc les pénalités  de retard peuvent attendre 128% du montant de l’impôt du et c’est beaucoup trop. Cela va pousser les gens à minorer leurs déclarations, non pas parce qu’elles ne veulent pas payer mais parce qu’elle ne le peuvent pas », indique Mohamed Triki.

Tous les contribuables ne sont pas des voleurs !

Présent lors de cette conférence, Anis Mabrouk, ex Directeur des études en matière des impôts directs à la Direction Générale des Impôts. Il explique de son côté que malgré les nombreuses polémiques autour de cette Loi de finances, plusieurs mesures positives doivent être relevées.

Il évoque dans ce sens, par exemple, l’annulation des taxes sur l’importation du lait en poudre et du beurre qui est une solution pour la crise laitière que subit depuis plusieurs mois la Tunisie. « Il y aussi la mesure relative à la rationalisation de l’exportation des produits miniers et de carrières, en appliquant un impôt sur le sable nature et le marbre. Cela encouragera l’industrie nationale à travailleur ces matières premières en Tunisie et exporter un produit fini et transformer ainsi nos ressources naturelles en valeur ajoutée », souligne-t-il.

En outre, Anis Mabrouk affirme qu’il subsiste un problème dans le rapport entre les contribuables et l’administration. « De nombreuses entreprises sont considérées comme des fraudeuses alors qu’elles sont en réalité en difficulté et ne peuvent pas s’acquitter des différentes taxes et impôts. Or les nouveau taux appliqués sur les pénalités de retard sont des taux pour des entreprises voleuses et non pas pour des sociétés en difficulté, surtout à un moment où la Tunisie est dans une crise économique sans précédent ».

Selon Mabrouk, l’autre mesure qui a fait polémique concerne celle sur l’alcool avec la hausse des taxes. « L’Etat semble avoir oublié que les entreprises qui agissent dans ce domaine sont très importantes pour le pays, dont certaines sont même cotées en bourse. Les matraquer fiscalement n’est pas forcément la bonne solution », affirme l’ex Directeur des études en matière des impôts directs à la Direction Générale des Impôts.

Autre point de discorde, le crédit d’impôt provenant de l’avance sur les importations de produits de consommation de 15% qui sera reportable et non restituable.

« Pour autant cette loi de finances montre quelques part une tendance à la conformité. C’est à dire que l’Etat a décidé de vraiment faire appliquer la loi afin d’encourager les contribuables à déposer leur déclarations en temps et en heure à défaut d’une lourde sanction. Au moins les entreprises seront prévenues », relève Mabrouk.

Le taux d’inflation en 2023 sera supérieur à 11 %

Commentant la loi de finances 2023, Walid Ben Salah, le président de l’Ordre des experts-comptables déplore l’augmentation considérable de la pression fiscale. « La moyenne des prélèvements obligatoire en 2020 était de 32,5% qui est le taux le plus élevé d’Afrique, se rapprochant de la moyenne des pays de l’OCDE. En 2023 avec ces augmentation et une croissance faible qui ne permettra pas d’avoir un PIB en évolution suffisante, on peut s’attendre à ce que les prélèvements obligatoires dépassent les 34%, et nous serons ainsi au même niveau des taux pratiqués dans les pays de l’OCDE », nous dit-il.

Il explique également que l’augmentation de la contribution fiscale, du taux de TVA, des droits de timbres, des pénalités de retard, etc…engendreront l’augmentation de la pressions fiscale à la fois pour les bons contribuables, comme pour les mauvais. « Or, il aurait fallu élargir la base des contribuables pour mieux répartir la charge fiscale. Cette situation constitue un véritable frein pour l’investissement », a-t-il ajouté.

Par ailleurs,Walid Ben Salah souligne l’absence de mesures qui incitent à l’investissement et à la création d’emploi. « Il n’existe pas non plus de mesures qui s’inscrivent dans le cadre d’une vraie réforme fiscale. La réforme fiscale doit passer en premier leu par la réforme de l’administration fiscale en elle-même, via la digitalisation, la mise en place de base données et de moyens humains et logistiques. Or nous n’avons rien vu à cet égard dans cette loi de finances ». 

Sur la question du  budget, le président de l’Ordre des experts-comptables souligne que les chiffres qui ont été estimés sur la base d’augmentation de prix. « Il va falloir s’attendre à une augmentation des prix du carburant, de l’électricité et du gaz, du tabac, de l’alcool avec la diminution du budget de compensation. Cela montre que le taux d’inflation en 2023, sera supérieur aux estimations faites dans la loi de finances 2023 ».

A noter que le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abbasi, a déclaré ce mercredi que le taux d’inflation moyen devrait attendre les 11% pour l’année 2023, alors que le ministère de l’économie avait tablé sur un taux à 10,5.

« Je pense que le taux sera plus important que 11%. L’évolution du budget de l’Etat entre 2022 et 2023 est d’environ 15%, dépassant l’inflation estimée. Or, normalement les dépenses doivent évoluer au même niveau et même rythme », précise Walid Ben Salah.

Selon ce dernier, en 2023 l’inflation sera le défi majeur pour l’économie tunisienne, sachant « qu’aucune mesure concrète n’a été faite pour sauver le tissu économique qui a été lourdement frappé par la crise depuis plusieurs années et surtout en 2022 », a-t-il dit en substance.

« C’est dommage car en 2023 on s’attend  à une hausse de la croissance mondiale avec des taux dépassant largement les 1,8% que nous avons prévu. Donc réellement on ne va pas profiter de cette nouvelle relance économique à cause de l’absence d’investissements cumulé au cours des dernières années et également de l’absence de mécanismes pour sauver les entreprises. Et les conséquences vont se faire ressentir en 2023 », conclut Walid Ben Salah.

Wissal Ayadi