A tous ceux qui aspirent à présider le prochain gouvernement : Les ingrédients de la prochaine explosion sociale sont prêts

11-11-2019

Par Ines Mrabet

La Tunisie est, aujourd’hui, ouverte sur de sombres perspectives et son peuple ne supporte plus son appauvrissement.

Appauvrissement organisé par une classe politique et une administration qui n’arrivent toujours pas à assimiler qu’elles travaillent au service du bien-être du peuple tunisien et non au service des politiciens et des fonctionnaires, même sous couvert d’un Etat social.

Un Etat social ne veut pas dire un Etat failli, ni un Etat de plus en plus faible, qui entraîne la faillite économique du pays, en appauvrissant son propre peuple et en castrant l’économie réelle, au profit de rentiers systémiques et d’une minorité de fonctionnaires parasites. Au contraire un Etat social, fort et respecté, est celui qui enrichit son peuple, y compris ses fonctionnaires, censés être à la tête du combat pour la croissance économique.

Les raisons de la faillite économique de la Tunisie peuvent s’expliquer, à travers l’analyse du taux d’évolution, d’uniquement quatre indicateurs économiques fondamentaux durant ces huit premières années postrévolutionnaires :

1- Une croissance du PNB de seulement 14% en dinars et de presque -23% en Dollars, qui a fait de nous, le peuple le plus pauvre du Maghreb (*a), une première depuis l’indépendance de la Tunisie.
2- Une croissance du budget de l’Etat de 105% versus 14% de croissance du PIB !
3- Une croissance de la masse salariale publique de 165 % versus 14 % de croissance du PIB ! (Cette masse Salariale représente plus de 15% du PIB),
4- Un effondrement de l’investissement public qui est passé de 13,5% à 5,9% du PIB.

Cette politique irresponsable nous a fait entrer dans une spirale morbide qui s’auto-alimente et que tout le monde ressent à travers ces six conséquences :

1- Une inflation de 47%,
2- Une croissance des impôts de 70% qui fait du pays, avec une pression fiscale de 35,5% du PIB (*b), l’un des champions du monde hors OCDE, dépassant même la moyenne des pays de l’OCDE (34,3%), pourtant dotés d’infrastructures et de services publics forts enviables,
3- Un Dinar qui a perdu plus de 50% de sa valeur,
4- Un taux d’intérêt moyen de près de 10% censé limiter la consommation et l’inflation mais qui est train de tuer l’investissement et donc toute chance de reset.
5- Une dégradation insupportable des infrastructures et des services publics,
6- Un triplement du volume de la dette publique à près de 90% du PIB.

Seule la lueur d’espoir de l’élection de Kaïs Saied, perçu comme Mr. Propre, plaçant le droit au-dessus de tous, a réussi à retarder l’explosion inéluctable… Explosion, dont les braises continuent de couver jusqu’à ce que notre peuple reprenne espoir dans son avenir et dans celui de ses enfants, c’est-à-dire pour faire court et direct, jusqu’à ce que les revenus réels des plus pauvres, deviennent décents et que les services publics soient au niveau minimum d’acceptabilité.

L’élection de Kaïs Saied est révélatrice du rejet définitif des (mêmes) politiques suivies par la classe politique pré et post révolutionnaire, mais c’est, paradoxalement, en même temps (grâce à l’ampleur de sa victoire), un extraordinaire retardateur des conséquences inéluctables, du rejet de la classe politique dans son ensemble.

En conséquence, nous mettons en garde toute la classe politique, encore inconsciente de son irresponsabilité et en sursis grâce au président élu, qu’elle sera jugée (au sens propre et figuré) sur quatre axes majeurs :

1- La guerre contre la corruption et la bureaucratie,
2- Le combat pour la croissance économique et contre la pauvreté, avant tout (avant même le déficit budgétaire),
3- Le lancement des réformes structurelles (fiscalité incitative, entreprises et services publics, compensation et caisses sociales),
4- La confirmation de la lutte contre l’inflation par la BCT, mais sans altération de l’investissement.

Les prétendants à la kasbah, partis et les candidats, devraient tous se prononcer clairement sur leur adhésion à cette vision, seule à même de rompre avec les programmes kilométriques indigestes des différents partis qui ne sont là, que pour prouver leur existence et noyer le poisson mais qui n’ont réussi, à ce jour, qu’à noyer notre pays.

Ni Kais Saied, ni personne d’autre, ne pourra arrêter le cours de l’histoire. Le cas échéant, le peuple reprendra son destin en main, pour le meilleur, mais souvent pour le pire, après une supposée révolution en 2011, douce et tolérante, qui l’a, certes libéré du joug de la dictature, mais qui l’a également plongé dans la paupérisation et l’insécurité, avec un État de plus en plus faible et impotent.

La classe politique doit profiter de ce sursis pour agir, avant de voir le peuple perdre définitivement patience et rallier les contestations légitimes des Libanais et des Irakiens, qui sont, à n’en pas douter, les prémices de grands changements.

Seuls les prophètes ont une patience illimitée.

Ines Mrabet

*a) – Appauvrissement général de plus de 1000 Dollars annuel par citoyen comparé à l’année 2010. De ce fait le Tunisien est devenu le citoyen le plus pauvre du Maghreb en 2019 avec un revenu moyen de 3287 Dollars.

*b) – pression fiscale de 35,5 % du PIB pour presque rien !Principalement pour payer des fonctionnaires, soit directement, c’est à dire les salaires de l’année en cours (40% du budget de l’Etat), soit indirectement, par la dette (30% du budget) contractée, en grande part, pour payer les salaires des années précédentes. Outre le taux très élevé, la structure de cette pression fiscale, décourage l’activité économique, avec des prélèvements indus, sanctionnant la production nationale (DC et TVA excessives sur les produits Tunisiens), même avant que celle-ci n’engrange des bénéfices réels (Retenue à la source, DD et TVA sur les matières premières).