L’alcoolisme très répandu parmi les Tunisiens : Causes, effets et traitements (Addictologue)

04-01-2022

D’après une étude récente de l’Organisation mondiale de la santé, la Tunisie occupe la 1ère place en tant que pays arabe et la 9ème mondiale en termes de consommation d’alcool. Ainsi, la consommation d’alcool moyenne par personne en Tunisie est de 12.92 litres par an.

Un fléau qui fait de plus en plus de victimes chaque année : accidents de voiture, violences domestiques, bagarres, suicide… La dépendance à l’alcool n’est pas à prendre à la légère.

Afin de comprendre a quel point ce phénomène est dangereux, nous nous sommes adressés au Dr Faten Driss, addictologue à l’hôpital Razi à Tunis. Enquête.

A quel moment tombe-t-on dans l’alcoolisme ?

D’après le Dr Faten Driss, il y a des degrés de consommation. « Les grands buveurs sont en majorité des hommes et la Tunisie en compte 30%. Le plus terrifiant c’est qu’environ 28% d’entre eux sont des jeunes âgés entre 15 et 19 ans »., explique-t-elle dans un premier temps.

Selon la définition scientifique, l’addiction c’est la perte de contrôle. La consommation problématique d’alcool se compte en nombre de verres par jour. Pour les hommes, le seuil à risque est de 3 verres par jour et 2 verres pour les femmes.

« L’erreur est de considérer qu’il ne s’agit d’un trouble d’usage de l’alcool que lorsqu’on boit tous les jours. C’est une fausse idée. Même la consommation ponctuelle ne doit pas dépasser 4 verres par occasion ».

L’addiction est confirmée quand la personne ne peut plus se passer de l’alcool. Elle se traduit par une déviance du comportement. L’alcoolique ne se sent bien que quand il a pris sa dose, même en petite quantité. C’est la définition même de l’addiction.

La spécificité de l’alcool c’est qu’il est très trompeur. On peut boire une quantité qui est déjà très dangereuse sans ressentir aucun symptôme. « Beaucoup de patients ne se rendent pas compte de la dangerosité. Ils peuvent boire une quinzaine de bières et ne pas être souls. Mais avec cette quantité les effets sur la santé sont dévastateurs. Le patient pense que le danger est atteint que quand il est ivre. Ce qu’il faut aussi savoir c’est que toutes les boissons alcoolisées se valent. Un verre est constitué de 10 grammes d’alcool quelque soit la nature de la boisson », indique le Dr Driss.

Les causes de l’alcoolisme

L’addiction est une maladie liée à un comportement nocif. On classe l’usage de l’alcool en plusieurs catégories. D’abord, l’usage simple qui ne dépasse pas les quantités limites. Il y a aussi l’usage à risque, c’est à dire que même s’il on ne dépasse pas ces quantités on consomme dans des situations dites à risque (la conduite, manipulation de machines dangereuse, métiers dangereux, etc). Et enfin il y a l’usage nocif: l’alcool a commencé à causer des dommages d’ordre médical, psychique et social.

D’après notre experte, la consommation est due à différents facteurs. Voici les plus fréquents:

En premier lieu, l’effet désinhibiteur de l’alcool. Cela touche les personnes qui sont socialement timides. « Cette caractéristique est très présente dans l’addiction à l’alcool chez les jeunes. Un garçon timide ne pourra s’adresser à une fille qui lui plait qu’en buvant de l’alcool. C’est un scénario classique dans les boites de nuit ou les fêtes. Il est à la recherche d’un effet positif. Il se sent socialement intégré », explique Faten Driss.

Dans un deuxième temps, il y a l’effet d’évitement. Ainsi la personne boit pour échapper à ses problèmes afin de ne pas les affronter.

Enfin vient l’effet d’échappement. Une personne souffrant de dépression aura recours à l’alcool au lieu d’aller consulter un psychologue pour la soulager.

Or, l’alcool a un effet de soulagement éphémère. « Au départ on pense que l’on se sent mieux…mais une fois les effets disparus, les pathologies psychologiques se décuplent et les problèmes deviennent de plus en plus importants ». C’est alors que s’installe un cercle vicieux. « Il faut comprendre que l’alcool est loin d’être un antidépresseur, il va au contraire entretenir la dépression et la décupler. On boit parce qu’on est déprimé, puis on déprime encore plus et donc on boit encore plus ».

Répercussions sur la santé

D’abord, les effets sur le cerveau sont multiples : altération du raisonnement, de la mémoire et augmentation du temps de réaction. C’est cette dernière qui est la plus dangereuse car elle survient même avec des consommations très faible. On parle de taux d’alcool dans le sang. A cet égard, la Tunisie dispose d’un arsenal législatif important. En effet, depuis 2019, le taux d’alcoolémie autorisé au volant doit être inférieur à 0.3gr/l. Ce taux a été ainsi revu à la baisse, après avoir été de 0,5gr/l. Une exception est prévue concernant les conducteurs débutants (qui ont obtenu leurs permis de conduire depuis moins de 2 ans), les conducteurs de poids lourds de transport de marchandises, les conducteurs de véhicules de transport collectif, les conducteurs des véhicules de transport public, les conducteurs de véhicules de transport touristique, les moniteurs des auto-écoles dans l’exercice de leur fonction, auxquels est appliquée la tolérance zéro.

Selon l’observatoire national de la sécurité routière, l’excès de vitesse et la consommation d’alcool au volant, restent les premières causes de mortalité routière en Tunisie, plaçant le pays à la tête des États enregistrant le plus important taux de victimes de la route.

« Mais même en dessous de ce seuil, le temps de réaction est altéré. Pour preuve, la majorité des accidents de la route liés à l’alcool surviennent sur des trajets de moins de 15km », précise Faten Driss.

Il peut aussi y avoir des troubles de l’humeur, du comportement, du sommeil, la perte de l’équilibre, pouvant aller jusqu’au coma éthylique et l’épilepsie.

L’alcool peut engendrer des complications cardio-vasculaires avec des troubles du rythme cardiaque pouvant mener à l’arrêt du cœur. Autres symptômes graves, les complications digestives. L’alcoolisme dit chronique, c’est à dire s’étalant sur plusieurs années, peut provoquer une hépatite alcoolique et plus grave encore à une pancréatite ou une cirrhose hépatique, qui correspond à la destruction des tissus du foie. Ces maladies conduisent inévitablement vers la mort.

Par ailleurs, l’alcool constitue un terrain favorable à l’apparition de différents cancers comme celui du foie et du pancréas.

L’alcool a aussi des effets nocifs sur le métabolisme car il réduit considérablement la glycémie chez les personnes diabétiques et mène à des comas hypo-glicémiques qui peuvent êtres mortels.

Les substances psychoactives, notamment l’alcool et le cannabis, sont encore plus dangereuses quand elles sont commencées à un jeune âge. « Plus on commence jeunes, plus le risque de complications est décuplé. Les effets sur le cerveau sont plus graves et surtout irréversibles. Certains peuvent développer des syndromes psychotiques comme la schizophrénie ou la bipolarité », nous confie le Dr Driss.

L’addiction à la boisson touche les nerfs du cerveau provoquant des neuropathies. Cela se traduit essentiellement par des tremblements au niveau des mains. « Ce symptôme apparait surtout le matin et ne disparaît qu’après avoir consommé de l’alcool ».

Enfin, elle a également des répercussions sur la sexualité: baisse de la libido (envie et désir), troubles de l’érection (impuissance).

Le premier pas vers la guérison

L’expérience du Dr Faten Driss à l’hôpital Razi, montre que pour l’alcool, c’est souvent la famille qui pousse le patient à venir consulter. En effet, les conséquences sociales de l’alcool sur l’entourage sont importantes: violence, absence de responsabilités envers sa famille, problèmes  financiers, figurent parmi les symptômes dominants.

L’initiative personnelle est très rare chez les personnes alcooliques car c’est un tueur silencieux. Ainsi, même des quantités importantes peuvent ne provoquer aucun symptômes d’ordre physiques ou mentaux. « L’alcoolique ne se rend pas compte qu’il est dépendant tant qu’il ne ressent aucune souffrance physique. Les patients qui consultent de leur propre chef viennent pour la plupart à un stade avancé de la maladie: cirrhose, cancer, jaunissement des yeux, fatigue chronique, problèmes digestifs, ou même cancer ».

Traitements

L’alcoolisme peut toucher toutes les catégories sociales. Pour Faten Driss, dans le parcours de soins, il est très important de comprendre les raisons qui ont poussé le patient à l’addiction. Le chemin vers la guérison consiste à lui trouver une alternative, autre que l’alcool, afin de résoudre son problème ou son mal-être.

Pour pouvoir guérir l’addiction l’alliance thérapeutique est essentielle. « Cette alliance est atteinte quand je lui montre qu’il y a d’autres alternatives que l’alcool pour résoudre les problèmes auxquels il fait face. C’est ce qui fait la différence entre oublier ses problèmes et les résoudre », indique-t-elle.

La première étape pour la guérison d’un patient dépendant à l’alcool consiste d’abord à  comprendre pourquoi il boit, quel est son parcours de vie et lui montrer comment ne pas boire.

Il lui est prescrit, dans un premier temps, des médicaments qui vont contrer les syndromes de manque physiques qui sont liés à l’alcool et d’autres médicaments qui vont traiter les problèmes psychologiques qui ont conduit le patient à boire ou qui sont apparus suite à la consommation d’alcool.

« Le médicaments ne sont pas suffisants à guérir l’addiction », ajoute Faten Driss. C’est ici que la deuxième phase de traitement, dit psychologique, est essentielle. « Il faut faire en sorte de remplacer ses comportements addictif par d’autres activités. Nous encourageons nos patients par exemple à faire du sport, à s’engager dans des associations, à faire des sorties en famille… en somme à l’orienter vers des sources de plaisir sans effets néfastes ». Ainsi, l’important c’est de ne pas laisser un vide qui favorisera la rechute.

Selon l’experte, la période la plus difficile est celle du sevrage qui s’installe les premières semaines, car c’est la modification de tout un style de vie. C’est pourquoi le courage et la volonté de s’en sortir sont prépondérants. Une fois cette période dépassée, il est possible de s’en débarrasser définitivement.

Le dernier volet consiste à travailler sur la gestion du stress: relaxation, psychothérapie, yoga, exercices de respiration et comment lui apporter des solution pour mieux dormir.

Toutefois, Faten Driss insiste sur le fait qu’il ne faut pas trop idéaliser car selon elle, un monde sans drogue ou sans alcool n’existe pas. Le tout est d’éviter au maximum  de basculer dans l’addiction. Ainsi, la sensibilisation de la population aux dangers de l’alcool, dès le plus jeune âge, devra être renforcée et les solutions de prévention accentuées. « Il faut absolument mettre à disposition, notamment des jeunes, des ethylotests dans les lieux de consommation d’alcool et les rendre obligatoire dans la voiture, comme c’est le cas dans de nombreux pays étrangers », conclut l’experte.

Wissal Ayadi