L’autisme touche 06 Tunisiens sur 100, enquête sur un trouble méconnu et négligé

19-11-2021

En Tunisie, 6 personnes sur 100 seraient atteintes du trouble du spectre de l’autisme (TSA). Un chiffre qui paraît important pour une petite démographie mais qui pourtant est bien réel. Cependant, aucune étude n’a été faite afin de déterminer le nombre exacte de citoyens porteurs de ce trouble.

En cause notamment, la quasi absence de recherches sur ce sujet qui touche pourtant de plus en plus de personnes et surtout l’absence de considération par les pouvoirs publics.

Afin d’en savoir plus sur la question, nous avons enquêté auprès de professionnels travaillant dans  le domaine et recueilli les témoignages de parents dont les enfants sont autistes.

L’autisme n’est pas une maladie

Contrairement à de nombreux préjugés, l’autisme n’est pas une maladie, mais comme son nom l’indique, il s’agit d’un trouble du développement d’origine neurologique. Il se manifeste principalement par une altération des interactions sociales et de la communication et par des intérêts restreints et répétitifs.

Les troubles peuvent provoquer un comportement inadapté dans certaines situations. Ces signes peuvent généralement être identifiés avant l’âge de 3 ans grâce à un diagnostic.

C’est le cas par exemple de la petite Lina, aujourd’hui âgée de 12 ans. C’est sa maman, Rim qui a accepté de témoigner parce que selon elle, il y a beaucoup trop de fausses idées sur ce trouble. « C’est un membre de la famille qui nous a conseillé d’aller faire un diagnostic. Au départ, je n’ai pas voulu accepter. C’est notre pédopsychiatre, qui à l’âge de 4 ans environ a décelé les troubles autistiques », nous dit-elle.

Pour la jeune maman, cette nouvelle a résonné comme un coup de massue. « Ma vie a été complètement chamboulée. C’est une implication très importante. Ma vie tourne autour d’elle ».

Lina est ce qu’on appelle une autiste non-verbale. C’est-à-dire qu’elle n’est pas en capacité de pouvoir exprimer ses désirs et sentiments à travers la parole.

Hana Marweni est orthophoniste. Elle nous explique les principaux syndromes qui permettent de détecter le TSA. D’abord, il y a le manque d’interactions sociales. « Quand on appelle un enfant autiste par son prénom par exemple, il ne réagit pas. Il n’aura pas un regard et un comportement stable quand on discute avec lui. Il vit dans un monde virtuel dans lequel il s’invente des personnages ».

Le deuxième trouble commun aux personnes autistes est le trouble de la communication et du langage. Il se manifeste à la fois au niveau de l’expression et de la compréhension, qu’elle soit verbale ou gestuelle. « Dans la majorité des cas, les enfants autistes ne peuvent pas dire qu’ils ont soif, ou faim par exemple et n’auront pas le réflexe de prendre de l’eau seuls car ils ne savent pas que c’est de l’eau».

Ainsi, le langage oral peut être absent, ou inadapté, c’est-à-dire peu ou pas fonctionnel, hors contexte, avec des défauts de syntaxe ou de sémantique.

Enfin, Hana Marweni souligne que le trouble le plus fréquent reste celui du comportement et de la gestuelle. Plus communément appelé stéréotypie, les personnes avec autisme ont une forte tendance à la répétition dans les gestes et la parole. « Quand on pose une question à un autiste, il ne va pas y répondre mais plutôt répéter la question ». Ces comportements répétitifs, se révèlent également dans les activités et jeux pratiqués d’une façon peu conventionnelle. Ils vont avoir tendance à aligner leurs jouets, à tout classer par couleur, etc. Pour eux, il s’agit de rituels réconfortants car ils sont plutôt hostiles aux changements. 

Scolarité et formation professionnelle 

La loi tunisienne garantit à tous les citoyens d’avoir accès à l’école publique. Ainsi, théoriquement c’est aussi le cas pour les enfants atteints de handicaps ou de troubles autistiques. Pourtant, dans la pratique ce n’est pas aussi évident.

En ce qui concerne la scolarité des enfants autistes, les spécialistes opposent deux approches. Certains pédopsychiatres conseillent aux parents de scolariser leurs enfants dans des écoles publiques afin que les traits autistiques ne se développent pas plus encore.

« Toutes les écoles n’acceptent pas les autistes même s’ils sont légalement obligés de le faire. Cette réticence vient surtout des professeurs qui ne sont pas formés pour ce genre de situations », nous explique Rim, la maman de Lina. Aujourd’hui, la jeune adolescente suit des cours dans une école publique assistée d’une éducatrice spécialisée, appelée aussi auxiliaire de vie scolaire. « Cela se passe bien. L’AVS a été formée par l’orthophoniste et l’ergothérapeute de ma fille pour un meilleur suivi. Les enseignants sont aussi impliqués et lui proposent des exercices adaptés. Mais il y a un manque d’éducateurs spécialisés dans les écoles. Il faut une formation pour les enseignants. La plupart s’en occupent par sentimentalisme mais ne savent pas vraiment avoir les bons gestes », ajoute la maman de Lina.

Toutefois, Mme Rim est consciente que sa fille ne pourra pas poursuivre des études très poussées. « Mon objectif ce n’est pas qu’elle fasse des études. Lina a un problème de comportement qui se traduit par des crises et des refus qui peuvent être violents ». Ainsi, comme le préconise d’autres pédopsychiatres, la jeune maman songe à intégrer sa fille dans un centre spécialisé, permettant aux personnes autistes de se former à la vie professionnelle.

Mme Yamina Hajji est la directrice du Centre Halim, situé dans la quartier d’El Menzah à Tunis. Il est composé de deux structures. La première accueille les enfants âgés entre 4 et 12 ans et propose des activités pluridisciplinaires. Orthophonie, ergothérapie, massages adaptés, sport, équithérapie et bien sur préparation pour l’entrée à l’école.

L’autre structure, Halim Pro, est réservée aux adolescents et jeunes adultes. « Il est important de ne pas mélanger les générations car les besoins ne sont pas les mêmes », nous dit Mme Hajji. La différence c’est que ces personnes vont être initiées à la vie professionnelle. En effet, contrairement à l’imaginaire collectif, les personnes atteintes de troubles autistiques ont la possibilité de mener une vie professionnelle stable. « Ils sont dotés d’une intelligence exceptionnelle qu’une personne dite « normal » n’a pas forcément », souligne la directrice du centre.

Ainsi, au centre Halim ils peuvent être formés aux métiers de la restauration, à la conception de produits cosmétiques à base de produits naturels, coiffure, esthétique, informatique, électricité, musique assistée par ordinateur, etc.

« Nous avons un jeune qui est aujourd’hui salarié au prestigieux hôtel Mövempick au niveau de la restauration. Nous avons d’autres jeunes qui sont actuellement en stage dans beaucoup d’entreprises. Nous invitons régulièrement les chefs d’entreprises à venir visiter nos locaux pour qu’ils voient les jeunes et leurs capacités ».

Mais où est l’Etat ?

En 2018, sous l’ère du gouvernement de Youssef Chahed, un centre public pour les enfants autistes avait été crée. Si l’établissement existe bel et bien dans le quartier de Sijoumi/Sidi Hassine, il n’a pourtant jamais ouvert ses portes et les raisons demeurent floues. Contacté par téléphone, le ministère des Affaires Sociales n’a jamais donné suite à nos sollicitations.

« Avec plusieurs associations et centres spécialisés nous avons essayé avec l’Etat de faire avancer les choses…mais en vain », déclare Yamina Hajji.

Ainsi, le soutien de l’Etat consiste seulement à allouer  des subventions aux associations: dons de locaux ou terrains gratuits, bus scolaire, etc. Mais ce n’est pas assez! « C’est le devoir de l’Etat de prendre en charge les autistes. Ce sont aussi des citoyens Tunisiens, ils ont le droit à la protection, à la scolarité, etc…Mais aujourd’hui on peut dire qu’ils sont marginalisés », déplore Mme Hajji. A noter que les frais relatifs aux soins des autistes ne sont pas pris en charge par la CNAM, ou alors très peu.

« On devrait au contraire profiter de leurs capacités exceptionnelles », ajoute la professionnelle. En effet, dans certains pays développés, les autistes dits Asperger peuvent atteindre des hautes fonctions de l’Etat comme au sein de l’Armée ou des services de renseignements grâce à leurs capacités d’analyse bien plus fine des situations.

Malheureusement, encore aujourd’hui en Tunisie l’autisme est considéré, dans la majorité de l’opinion publique, comme une maladie, laissant cette catégorie de personnes en marge de la société. Les parents de leur côté doivent supporter le regard pesant de cette société encore bien trop ignorante sur le sujet.

L’urgence pour l’Etat de se rendre compte de l’importance de prendre en charge ces enfants parait évidente. Si les familles aux ressources financières suffisantes peuvent faire appel à des structures privées , les plus fragiles ne peuvent compter, pour le moment, que sur elles-mêmes.

Wissal Ayadi

2 Auteurs du commentaire
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Y. Hajji

Bravooo mme Wissal..mes respects

Karim

Bravooo très instructif