La Tunisie baisse le prix de la banane, lorsque ses cours mondiaux sont en train d’augmenter !

09-03-2023

Ce jeudi matin le sujet de la baisse du prix des bananes et des pommes est sur toutes les lèvres. En effet, le ministère du Commerce et du développement des exportations vient de fixer le prix des pommes à 4 dt/kg au gros, et à 4.5 dt/ Kg au détail. Le prix des bananes est quant à lui  fixé à 4.5 dt/ Kg, et 5 dt/ kg, respectivement, au gros et au détail.

A quelques jours du mois saint de Ramadan, cette nouvelle est réjouissante, quand on sait que ces deux fruits ont subi une flambée de leurs tarifs, notamment en ce qui concerne les bananes qui ont frôlé les 10DT/kg.

Sur le terrain, les prix n’ont pas bougé

D’après le communiqué publié par le ministère du Commerce, la nouvelle tarification des prix des bananes et des pommes devrait entrer en vigueur ce jeudi 9 mars. L’occasion pour nous d’aller vérifier sur le terrain. Nous avons choisi trois types de commerces: marché, supermarché, primeur.

Au marché de l’Ariana, c’est l’effervescence. Les fruits et les légumes sont en abondance. Nous nous approchons d’un étal de fruits. Les bananes sont suspendues ou exposées dans à l’avant de l’étalage. Le kilo est vendu à 8,5DT. Nous interrogeons le vendeur sur les 5DT promis par l’Etat. « J’espère vraiment qu’on pourra vendre bientôt à 5DT le kilo. Aujourd’hui j’ai acheté le carton à 8,2DT/kg. Au marché de gros ce matin, les grossistes ont dit qu’ils voulaient d’abord écouler les stocks achetés à prix élevé. Donc dans une dizaine de jour on va commencer à voir les bananes à 5DT », nous dit-il.

ll nous explique que cela ne l’arrange pas vraiment de vendre des bananes chers car personne n’achète. En effet, nous sommes restés 15 minutes à discuter avec le vendeur, et les clients ne se contentaient que de demander le prix et passaient leur chemin. « Je ne prend plus de bananes en grandes quantités. Les gens en achètent surtout pour leurs enfants et c’est malheureux de voir qu’ils ne peuvent plus le faire. Parfois j’ai même des clients qui viennent avec leurs enfants qui demandent une banane, j’ai honte de leur vendre à 2,5DT l’unité », nous a-t-il confié.

Direction le primeur d’un petit quartier de l’Ariana. Le prix affiché des bananes est de 9,5DT ! En ce qui concerne  les pommes, le prix n’a pas changé, 6,2DT le kilo. « Ce matin au marché de gros, il n’y avait aucune pomme. Les commerçants ont préféré les stocker dans les frigos plutôt que de les vendre à 4DT. Et je suis sur que pour les bananes ce sera pareil. Dans 10 jours, au moment où elles seront censées être vendues à 5DT, je met ma main à couper qu’il n’y aura plus de bananes sur les marchés car ils ne voudront plus les importer », nous dit-il.

Par ailleurs, le primeur indique que l’augmentation du prix des bananes provient également de la hausse des taxes douanières. « Les importateurs payent 80DT de droits de douane sur un carton de bananes », a-t-il affirmé.

Dans les supermarchés, le prix du kilo de banane ce jeudi 9 mars reste toujours d’environ 9DT.

D’après Ali Matmati, de la Chambre régionale intermédiaire de vente de fruits et légumes au marché de gros de Bir El Kasâa, les nouveaux tarifs (des bananes) ne seront pas appliqués ce jeudi.

En effet, dans une déclaration à Mosaïque, ce dernier a indiqué qu’une étude est en cours avec les fournisseurs et dans une semaine les nouveaux tarifs seront annoncés.

« Les fournisseurs doivent liquider les stocks avant d’appliquer les nouveaux tarifs mis en place par les autorités pour les nouveaux stocks, qui seront mis en vente durant Ramadan », a-t-il dit en substance. Patience donc…

Le prix moyen à l’achat est de 1,68 dollars, soit 5,32DT

En Tunisie, la banane est un fruit totalement importé. Elle provient soit d’Amérique Latine, soit du continent Africain. Dans le monde, la banane restait jusque là un produit bon marché. En effet, les cours mondiaux de la banane montre une hausse vertigineuse de son coût, notamment depuis janvier 2022 et cela risque de continuer. Voici un graphique qui montre cette augmentation fulgurante:

Source: https://fred.stlouisfed.org/series/PBANSOPUSDM

Ainsi, la question est de savoir comment la Tunisie peut faire baisser le prix des bananes alors que le prix augmente sur les marchés mondiaux. Le prix moyen à l’achat sur les cours est de 1,68 dollars, soit 5,32DT.

En France, on prévoit une hausse de 20% du prix de ce fruit en 2023. Repris par RFI, Pierre Monteux, directeur général de l’UGPBan (Union des groupements de producteurs de bananes), explique que « l’environnement inflationniste que le monde a connu » n’a pas épargné l’industrie de la banane, avec des « hausses considérables au niveau de la production, des emballages, des cartons, des palettes ou encore des engrais qui ont quasiment doublé ».

Inflation

Après l’annonce des bananes à 5DT et des pommes à 4,5DT, les réactions des Tunisiens ne se sont pas faites attendre. En effet, de nombreux internautes ont critiqué cette décision en indiquant qu’il fallait d’abord baisser le prix des produits de première nécessité avant de penser aux bananes ou aux pommes… d’autant que la Tunisie est un pays qui dispose, ne l’oublions pas, de nombreux fruits de saisons qui ne sont pas forcément disponibles dans d’autres pays du monde.

Une question légitime qui se pose encore plus lorsque l’on sait qu’aujourd’hui un litre d’huile végétale se vend aux alentours de 8DT alors que les prix sur les cours mondiaux sont en baisse et les tendances inflationnistes semble décélérer.

Source: https://tradingeconomics.com/commodities

Dans le numéro de janvier de la prestigieuse revue EcoWeek, l’économiste Hachemi Alaya explique que « c’est le laxisme budgétaire de l’État et l’inaction réformatrice du gouvernement qui  engendrent spéculation, inflation et pénuries ».

« En dépensant sans compter de l’argent qu’il n’a pas, de l’argent qu’il puise en acculant la banque centrale (…), l’État tunisien est de facto, le premier et principal fauteur d’inflation. En s’obstinant à maintenir les prix des produits de grande consommation à leur niveau d’il y a plus de deux décennies, l’État ne fait en réalité qu’entretenir le gaspillage du consommateur qu’il se plaît à stigmatiser tout en fermant les yeux sur la cause principale de ce phénomène (…) et sur la « shrinkflation» (réduction de la quantité de produit pour éviter la hausse du prix) qui sévit. En s’entêtant à garder jalousement ses monopoles, il ne fait en fait qu’organiser la rareté, cultiver les rentes, favoriser les comportements de spéculation, préserver cette autre source d’inflation qu’est la mauvaise gestion de ses entreprises publiques, etc », peut-on lire dans le numéro d’EcoWeek de janvier 2023.

Wissal Ayadi