Tunisie : La Consultation nationale aux yeux des experts, les raisons d’une faible mobilisation !

21-03-2022

La consultation nationale mise en place par le président Kaïs Saïed a pris fin ce dimanche 20 mars. Ce n’est que tard dans la nuit, à minuit précisément, que le chef de l’Etat a prononcé un discours à l’occasion de la commémoration du 66ème anniversaire de l’indépendance, mais également pour se féliciter de la réussite de la consultation.

Si pour Saïed, les 534.000 personnes qui ont répondu à la consultation constituent une réussite, pour un large pan de la classe politique tunisiennes mais aussi d’internautes, il s’agit là d’un fiasco.

Des chiffres bien loin des espérances

Pour Hamza Meddeb, politologue, ce résultat est bien un échec du point du nombre de participants. « Les chiffres ne sont pas à la hauteur des espérances de Kaïs Saïed et du gouvernement dans son ensemble. Certains avaient annoncé 1 million de participants, 25% du corps électoral mais nous sommes bien loin du compte. Cela montre que cette consultation n’a pas mobilisé », indique Meddeb.

En effet, les 500.000 répondants représentent seulement environ 7% du corps électoral qui est de 7 millions de personnes.

Pourtant, cette consultation devait être le première étape de la feuille de route dévoilée par Kaïs Saïed en décembre dernier et qui doit mener à un référendum le 25 juillet à des élections législatives en fin d’année.

« Au départ, cette consultation était vouée à être un plébiscite. Quand, ils ont vu que la mobilisation était faible, le discours des autorités a changé. Ils ont alors commencé à parler de questionnaire, de sondage d’opinion, d’un outil pour avoir une meilleure compréhension de l’opinion publique. Ils ont essayé de minimiser l’importance de l’objectif initial de cette consultation qui est l’écriture d’une  nouvelle constitution », affirme le politologue.

Hamza Meddeb

Dans son discours, Kaïs Saïed a qualifié cette consultation de « réussite » et ce malgré la réalité des chiffres. « Pour des raisons politiques, le président ne va pas se désavouer car sinon il va délégitimer tout le processus qu’il a lancé. Il s’agit de la première étape et d’autres étapes plus importantes arrivent comme la désignation de la commission qui sera chargée de la rédaction des réformes politiques et ensuite le référendum. Il y aura un nouveau débat politique sur la composition de cette commission et le contenu des réformes politiques », ajoute Hamza Meddeb.

Les raisons de l’échec

Dans un premier temps, Hamza Meddeb analyse cet échec en indiquant qu’il y a eu un essoufflement dans l’opinion publique et un retour des Tunisiens aux considérations quotidiennes et très terre à terre comme la cherté de la vie et le pouvoir d’achat.

L’expert impute aussi cet échec à l’approche faite par Kaïs Saïed. « Cette consultation pâtit de l’approche mise en place par le président car elle est unilatérale. Il a mis en place une feuille de route tout seul sans consulter ni inclure les forces politiques syndicales, politiques et la société civile. Donc forcément, la mobilisation en pâtit. C’est la décision d’un homme. L’échec ou le succès de cette consultation seront l’échec ou le succès du président. Personne ne s’est mobilisé… et il y a même ceux qui l’ont soutenu au soir du 25 juillet et qui n’ont pas soutenu Saïed dans sa démarche », nous dit-il. « Je pense que les réformes politiques sont déjà prêtes et qu’elles ne sont juste pas encore annoncé et que cette consultation n’est finalement qu’un vernis et une formalité », ajoute-t-il.

Un constat que confirme également Moez Attia, figure de la société civile tunisienne et chroniqueur politique. « Cette consultation est en total décalage avec le slogan « Chaab Yourid ». Cette consultation ne peut pas remplacer un dialogue national. On ne peut pas réécrire une constitution ou faire de nouveaux amendements et des réformes avec 500.000 personnes », souligne-t-il.

Moez Attia

HAmza Meddeb et Moez Attia ont pointé également un manque de communication autour de cette consultation. « Pour mobiliser, il faut communiquer, expliquer, faire comprendre aux gens la démarche et la séquencialisation de la feuille de route. Or rien n’a été fait. Ils s’en sont rendus compte très tard. Ce n’est qu’au mois de mars qu’ils ont commencé à installer des tentes ou a rendre l’internet gratuit afin de mobiliser », déclare Meddeb.

De son côté, Moez Attia précise que cette consultation a eu un coût important pour l’Etat. « Les ministères mais surtout ceux de la jeunesse et des technologies de communication ont dépensé beaucoup d’argent pour mobiliser, mais en vain », déplore-t-il.

De nombreux Tunisiens ont également imputé cet échec à la manière dont a été instruite la consultation, via Internet. « Aujourd’hui il y a près de 7 millions de personnes qui ont accès à Internet et la consultation aurait pu donc générer plus de participants. Ce n’est pas l’obstacle technologique qui a freiné la participation, mais plutôt le désintérêt profond des tunisiens », ajoute-t-il.

Faible participation de la jeunesse

Selon les chiffres publiés, seuls 20% des participants à la consultation sont âgés entre 16 et 30 ans.  Un chiffre bien en deçà des espérances de Kaïs Saïed qui a, maintes fois, sollicité la participation des jeunes. « Le discours de KS s’était construit sur un dialogue avec les jeunes. Il avait insisté sur le fait qu’il ne voulait pas d’un dialogue avec les soi-disant élites et qu’il voulait un dialogue avec la jeunesse. Et que le fait que cette consultation via Internet était un moyen pour atteindre la jeunesse », constate Hamza Meddeb.

D’après Moez Attia, la suite de la feuille de route de Kaïs Saïed demeure toujours floue.

« Nous n’avons aucune idée claire sur la suite processus. Nous ne savons toujours pas qui siègera dans la commission qui sera chargée des réformes politiques et comment seront ils désignés. Alors qu’ils ont un rôle majeur dans le futur de la Tunisie », s’interroge-t-il.

Pour le militant de la société civile, la mise en place d’un dialogue national avant le référendum est une nécessité. « La prochaine étape ce sera le référendum qui aura lieu le 25 juillet. Nous avons donc encore du temps pour rattraper l’échec de la consultation, en organisant un dialogue sociétal autour du régime politique et de certains amendements constitutionnels », conclut-il.

Un dialogue national en vue ?

Dans son discours, le président Saïed a affirmé que cette consultation constitue « le premier maillon du dialogue national Â». A cet égard, nous avons contacté Nabil Hajji, député gelé du parti Attayar, qui milite pour la mise en place d’un dialogue national. « Nous savons tous que Kaïs Saïed a toujours refusé toute forme de dialogue. Nous n’avons aucune idée de quel dialogue il parle. Je crains qu’après la mascarade de la consultation nous ayons une autre mascarade d’un dialogue national », nous a-t-il confié.

Nabil Hajji

Dans son discours, Kaïs Saïed a également fait allusion à des tentatives de sabotage. En effet, évoquant des complots et des personnes conspirant contre l’intérêt de l’Etat, le président a affirmé, que l’indicatif téléphonique de la Tunisie +216 avait été modifié et transformé par l’indicatif +212 par des saboteurs afin d’empêcher les participants de répondre aux questions de la consultation ».  A cela, le député suspendu a indiqué que le président vivait en dehors de la réalité et que c’était une manière pour lui de justifier l’échec de la consultation.

« Le slogan phare du président est « Chaab Yourid » et là on peut dire que c’est tout le contraire. Le contenu de cette consultation est à la limite du ridicule. Ce sont des questions très vagues qui ne construisent rien pour élaborer une nouvelle constitution ou des réformes », a-t-il conclu.

Wissal Ayadi