Tunisie : A quelques jours de son démarrage effectif, des experts se prononcent sur la consultation de Kaïs Saïed

06-01-2022
kais saied

Elle devait être lancée le 1er janvier, ce sera finalement pour le 15 du mois… La consultation nationale, événement phare de la (petite) feuille de route dévoilée par Kaïs Saïed en décembre dernier suscite de nombreux remous dans l’opinion publique tunisienne.

Elle aura pour objectif de recueillir les suggestions des Tunisiens concernant les réformes proposées par le Président de la république, avant le référendum constitutionnel prévu pour le mois de juillet prochain.

Cette consultation, entièrement numérique, est une première en Tunisie et probablement dans le monde arabe… Le pays est-il prêt pour cela ? Constitue-t-elle une réelle opportunité pour réformer et tracer un avenir plus paisible pour la Tunisie ? Nous avons pu nous entretenir avec plusieurs militants de la société civile à ce sujet.

45% de la population n’a pas accès à Internet

Ce sera inédit… et ce pour deux raisons. D’abord c’est la première fois que les Tunisiens seront consultés sur leur opinion concernant l’avenir du pays, et d’autre part, cette consultation aura lieu exclusivement via l’outil Internet. La plateforme s’appelle e-istichara.tn dont le slogan est « Votre opinion, notre décision » et se poursuivra jusqu’au 20 mars prochain.

Pour autant, cet événement suscite un grand nombre de questions à travers l’opinion publique, notamment sur l’accès de tous les citoyens à cette plateforme. Mounir Hassine, membre directeur du Forum tunisien économique et social(FTDES)  indique à cet égard que l’idée d’une consultation est bonne mais que c’est la manière dont elle est organisée qui comportes des difficultés. « Le fait qu’elle se fasse seulement sur Internet va provoquer une sorte de sélections entre les citoyens, notamment ceux qui habitent dans des zones reculées et qui n’ont pas accès à l’internet », nous dit-il. A noter qu’en Tunisie, encore 45% de la population n’a pas d’accès direct à la toile.

Mounir Hassine / FTDES

De son côté, la présidence a souligné qu’elle fera appel à la société civile afin d’aider les populations les plus fragiles a participer à la consultation. Pour autant aucun détail na été donné quant à la mise en place de cet appui.

Selon Mounir Hamdi, il s’agit là d’une théâtralisation de la politique sur le dos de la démocratie participative. « Aujourd’hui c’est une bataille pour le pouvoir à laquelle nous sommes en train d’assister alors que nous devons nous battre pour la richesse, pour développer l’économie du pays, en somme pour rendre la Tunisie plus riche…Sauf que personne ne se préoccupe de ce pan là ».

« Celui qui veut construire un régime politique, il ne peut pas le construire sans avoir de vision économique et sociale », ajoute-t-il.

Un manque de transparence

Quand ce projet de consultation a été annoncé par Kaïs Saïed, ce dernier a mis l’accent sur sa volonté de faire participer la jeunesse tunisienne. Yassine Fathalli est l’un d’entre eux. Militant de la société civile et actif dans le domaine de la démocratie en Tunisie, il estime que cette consultation ne reflète en rien la jeunesse et qu’elle manque cruellement de transparence. « L’idée est bonne car la digitalisation c’est l’avenir. Mais la question qu’il faut se poser c’est si la nature des questions reflète réellement les problèmes de la Tunisie ou sont-elles orientées afin d’appuyer le projet de Kaïs Saïed ? Donc ce n’est pas une question d’être pour ou contre Â», nous dit-il.

Yassine Fathalli / Jeune activiste de la société civile

Il fustige, par ailleurs, le peu de communication autour de cet événement et surtout les nombreuses zones d’ombre concernant le rendu et la synthèse des résultats. « Il n’y a aucune garantie qu’après cette consultation il y a aura un débat autour des résultats. Et pour ma part, je voudrais pouvoir avoir accès à ces résultats. Et qu’est ce qui nous prouve que les informations à son issue et qui vont nous être donnés seront fiables. Pour ma part, je voudrais avoir plus de transparence sur le processus de récolte et de synthèse de la consultation. Je voudrais savoir qui va traiter ces éléments par exemple ». Avant d’ajouter que « cette consultation a le mérite d’exister mais elle ne remplace pas un dialogue national ».

Quid de la sécurité ?

Une convention de partenariat a été signée, ce mardi 4 janvier 2022, entre le ministère des Technologies de la communication, le Centre national de l’Informatique et les téléopérateurs.

Le ministère a annoncé que cet accord vise à contrôler les tâches et les responsabilités de toutes les personnes impliquées dans l’attribution du code secret de participation, garantissant la confidentialité de l’accès au portail de la consultation nationale.

En effet, si la présidence a affirmé que la consultation allait être anonyme -, il faudrait tout de même préciser que l’inscription son numéro de carte d’identité est nécessaire ainsi que le numéro de téléphone sur lequel sera envoyé un SMS comportant un code secret valable quelques minutes.

Moez Attia, figure de la société civile et enseignant universitaire émet certains doutes sur la question. « Il y a beaucoup d’interrogations sur le système de la consultation, notamment sur les données personnelles. Nous ne savons pas si le système informatique de la consultation a été audité ou non car il constituera l’une des plus grandes base de donnée du pays.

Moez Attia / Activiste de la société civile et enseignant universitaire

Autre question, celle de l’aspect politique de cette consultation. Selon lui,  les questions sont très orientées et guident les citoyens vers le projet politique voulu par le président. « Quand on demande aux citoyens leur avis sur la situation politique depuis une dizaine d’années, il est certain qu’ils seront mécontents. De même pour la question êtes-vous pour ou contre le retrait de confiance à un député.

Quand on ne pose pas la question quelle est votre avis à propos de l’appareil judiciaire mais qu’on pose, qu’est ce que vous suggérez pour l’améliorer…cela sous entend dès de le départ que le système judiciaire à un problème. Ce n’est donc pas une vraie consultation pour mener une vraie réforme. C’est une consultation pour conforter le projet de Kaïs Saïed », nous dit-il.

Toujours d’après Attia, il n’y a aucune profondeur dans les questions parce qu’il n’y a que des experts qui peuvent aller en profondeur afin de trouver des solutions. « Il y a autre chose que la nature du régime qui peut être discutée. Il n’y a aucune question sur le pouvoir local, sur les instances constitutionnelles ou sur blocage de la Cour constitutionnelle qui perdure depuis des années », conclut-il avant d’ajouter à son tour qu’un dialogue national est nécessaire. « En pleine discussion avec le FMI et en pleine crise économique et sociale, ce n’est pas une consultation qui va résoudre les problèmes. Pour cela, il y a des instances nationales, des organisations syndicales et surtout des experts qui peuvent trouver des solutions en collaboration avec les pouvoirs publics.

Wissal Ayadi