L’endettement domestique croissant de la Tunisie face à la crise du financement extérieur : Analyse et conséquences (Expert)
Alors que la Tunisie fait face à des défis persistants en matière de financement externe, notamment en raison de l’impasse avec le FMI, l’augmentation de l’endettement auprès des banques locales prend une importance cruciale.
Cette tendance soulève des questions sur la viabilité à long terme de cette stratégie d’endettement et ses implications sur la croissance économique et la stabilité financière.
Hamza Meddeb, chercheur au Carnegie Middle East Center spécialisé en économie politique analyse l’impact croissant de l’endettement domestique sur l’économie tunisienne.
La Tunisie a récemment adopté un accord de financement crucial par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), approuvant un prêt syndiqué d’environ 570 millions de dinars auprès de 16 banques locales. Cette initiative vise à assurer le financement du budget de l’État, face à une diminution des ressources provenant des partenaires internationaux. Hamza Meddeb souligne que cette stratégie reflète une dépendance croissante aux financements domestiques, exacerbée par l’incertitude entourant l’accès au financement extérieur. « Cette situation pose des défis économiques majeurs, notamment en termes d’effet d’éviction sur le secteur privé, de tendance inflationniste et de stabilité financière à long terme », nous dit-il.
Depuis 2016, l’indépendance de la banque centrale a exclu tout financement direct de l’État par cette dernière. À partir de 2021, une augmentation significative de l’endettement de l’État s’est observée sur le marché domestique. Cette tendance s’est accentuée depuis janvier 2024, avec l’adoption d’une loi autorisant la Banque Centrale à financer directement le déficit de l’État jusqu’à hauteur de 7,7 milliards de dinars, mettant un terme de facto à l’indépendance de la BCT.
« Le blocage des négociations avec le FMI a tari les sources de financement extérieur, fermant l’accès aux marchés internationaux et réduisant d’une manière substantielle le financement bilatéral et multilatéral », souligne Hamza Meddeb. Cette situation a conduit à l’absence d’identification de sources de financement de l’ordre de 3,8 milliards de dollars dans le budget 2024, plaçant l’État dans une position d’incertitude quant à ses sources d’endettement.
« Déjà entre 2022 et 2023, cette incertitude a forcé les autorités à réduire drastiquement les importations pour contenir les besoins de financement. En réponse à cette diminution du financement extérieur, l’endettement sur le marché domestique a connu une augmentation significative, doublant entre 2019 et 2024 », rappelle le chercheur.
En outre il est important d’observer que l’endettement en devises auprès du secteur bancaire domestique a triplé entre 2022 et 2023, mettant en lumière les difficultés croissantes de l’État à accéder aux devises étrangères comme précédemment.
Cette montée en flèche de l’endettement domestique a engendré trois conséquences majeures, selon Hamza Meddeb. Tout d’abord, elle a eu un effet d’éviction sur le financement du secteur privé, réduisant ainsi les ressources disponibles pour soutenir les entreprises, la croissance et la création d’emplois. « Cette situation a gravement affecté les entreprises et notamment les PME, privées du financement nécessaire à leur développement, dans un contexte de crise du pouvoir d’achat et de demande », souligne-t-il. Il convient de noter qu’en 2023, le taux de croissance était de 0.4% et les estimations pout 2024 serait probablement de 0.7%. En outre, le taux de chômage a augmenté puisqu’il se situe désormais à 16.6%.
Deuxièmement, l’augmentation de l’endettement domestique a alimenté une dynamique inflationniste, augmentant la masse monétaire sans contrepartie de production accrue. Hamza Meddeb indique à cet égard que cette inflation a entraîné une érosion du pouvoir d’achat et une limitation des investissements.
Enfin, ce dernier rappelle que l’augmentation des engagements du secteur bancaire envers l’État comporte des risques significatifs. « En cas de défaut de paiement de l’État, certaines banques pourraient être exposées à des risques importants, menaçant ainsi la stabilité financière globale ».
En conclusion, la Tunisie est confrontée à un défi important pour rééquilibrer son économie et stabiliser ses finances publiques. La gestion prudente de l’endettement, tant domestique qu’externe, sera essentielle pour préserver la stabilité économique et financière du pays à moyen et long terme.
Wissal Ayadi