Tunisie : Une gastronomie riche aux multiples influences (Des Chefs nous en parlent)

08-10-2021

Andalouse, turque, berbère, juive ou encore française et italienne, la richesse de la cuisine tunisienne, trois fois millénaire, a été construite autour du confluent de ces différentes cultures.

Un mélange qui a lui a permis d’être presque unique dans la région méditerranéenne. Epices, blé et huile d’olive sont les bases de cette gastronomie à la fois raffinée, piquante et surtout  pleine de soleil.

Des cuisines de nos mamans aux fourneaux de grands chefs, enquête sur ce qui fait la spécificité de cet art culinaire, aujourd’hui mondialement connu et reconnu.

L’apport du peuple amazigh

Certes la Tunisie est un petit pays, mais elle a abrité parmi les plus grandes civilisations de l’histoire de l’humanité: capsiens, amazighe, puniques, romains, vandales, byzantins et arabes.

De par sa position géographique stratégique, elle a été le théâtre d’une grande rivalité entre puissances comme l’Espagne, l’empire Ottoman, la France ou encore l’Italie. Ainsi, la cuisine tunisienne n’est que le résultat de ce melting-pot historique.

L’influence la plus importante de la cuisine tunisienne vient du peuple amazigh. Le chef Wafik Belaïd a bien voulu nous en parler. Il nous explique que le peuple amazigh était à l’époque un peuple nomade et que par conséquent la conservation des aliments était la priorité numéro 1 de sa gastronomie. « C’est une cuisine riche en produits secs comme les légumineuses et la viande séchée », nous dit le chef. Il fallait également que les ingrédients soient facilement transportables en cas d’attaque. « Ainsi, presque tout était séché pour pouvoir être entreposé dans des jarres », ajoute-t-il.

Chef Wafik Belaïd

Parmi les plats les plus emblématiques de la cuisine amazigh on trouve le « Karabize ». Il s’agit d’une sorte de soupe épicée et épaisse composée de pois-chiches et de fèves ainsi que de petites pâtes fraîches maison coupées en carré. Ce met est également accompagné de « Kaddid », qui est une viande séchée. Il est plus communément appelé « Mgattâa ».

Karabize

« La cuisine Andalouse fait partie de l’ADN culinaire tunisien », affirme le Chef Belaïd. En effet, fuyant les affrontements, les mauresque sont venus se réfugier en Tunisie amenant avec eux des plats qui leur permettaient notamment de cacher l’or. L’anecdote la plus connue est celle du Kaak Warka, spécialité pâtissière à base d’amande de la région de Zaghouan. « A l’époque, on se servait de ces gâteaux pour y enfermer des pièces d’or », nous dévoile Maïssa Bouassida, jeune chef pâtissière tunisienne, amoureuse de la cuisine traditionnelle.

Chef Maïssa Bouassida

Les andalous ont marqué de leur emprunte surtout les régions de Testour, Slimane, Zaghouan ou encore Nabeul. Ainsi on retrouve les « Kwaïress » qui est une sorte de saucisson séché comparé au « Osban » et servi surtout pendant la fête de l’Aïd. Il y a aussi les « tajines » que l’on connait aujourd’hui, la « Mhalbia », la « Marka Hlowa », un ragoût aux saveurs sucrées salées, la « Mrouzia » (Nabeul), les légumes farcis « Fondok el Ghala » et bien sur la « Aïn Sbaniouria », œil espagnol en français. « Les Andalous sont connus pour la nourriture « zaara » car ils ont amené avec eux des épices comme le Safran », indique Wafik Belaïd.

La communauté juive a, également, enrichi la gastronomie tunisienne avec par exemple la Madfouna, la Maakouda, le Tajine au gombos, les Briks aux pommes de terres ou la Pkaila.

Madfouna

Les Turques, eux, ont amené surtout des mets sucrés comme la Baklawa, mais ils sont également à l’origine du  Kafteji, du riz pilaf aux pistaches et de la soupe de lentille.

Les influences italiennes sur la cuisine tunisienne ne se comptent plus mais notons au passage la « makrouna bel salsa », il s’agit d’un plat de pâtes avec une sauce tomate relevée à l’harissa. Il y a aussi la boutargue (bottarga) qui sont des œufs de mulet séchés. Le pain italien, « Khobz talien », quant à lui accompagne les ragoûts en sauce comme la loubia ou la célèbre mloukhia à base de feuilles de corète séchées.

Plats à base de pâte : un héritage romain

Les ingrédients les plus courants de la cuisine tunisienne sont la viande (d’agneau surtout), le poisson, les fruits de mer, le blé et l’huile d’olive. Sans oublier les épices et le piment qui restent des éléments indispensables de toute spécialité culinaire tunisienne.

Le blé est le principal élément qui a construit l’identité de la gastronomie tunisienne du fait de son influence romaine. Le plat le plus emblématique est bien sûr le couscous. Selon les régions, il a été décliné sous plusieurs formes et saveurs. La Chef Maïssa Bouassida explique qu’à l’origine, le couscous est fait à base de blé dur ou complet. « La couscous tunisien se différencie de celui des autres pays du Maghreb car la sauce, à base de tomate est mélangée directement dans la semoule », indique la chef.

A chacun son couscous ! Si dans les régions côtières on le fait généralement au poisson, comme à Sfax ou à Bizerte, dans les régions intérieures, il est nettement différent. Ainsi, dans la région du Kef et de Béjà on retrouve le couscous « Borzguen ». Sans tomates, sans épices, il est composé de de graines de semoule fine, un peu de sel avec du sucre, du romarin, des dattes et des fruits secs. Il est généralement servi avec de l’agneau, cuit à basse température dans tous ses arômes. « Il y a aussi le couscous à l’agneau, à l’ouzef, aux légumes et au osante et kaddid », précise la chef.

Couscous Borzguen

« Autre que le couscous il y a aussi le « barkoukch » ou la « mhamssa », les « nwacer » ou encore la « hlelem », qui sont fabriqués à base de blé. Tous ces mets font partie de la la fameuse Oula », indique Maïssa. La « Oula «  c’est la période où les femmes préparent les denrées sèches qui permettront de cuisiner toute l’année.

Les cinq plats  tunisiens incontournables

D’après la chef il y a 5 plats incontournables en Tunisie: le couscous, le plat tunisien (shan tounsi), le kaftéji, la ojja aux merguez et enfin le Lablebi. Selon la Chef, le lablebi a été amené par les Andalous. « A l’époque, on mangeait beaucoup de pain. Ainsi pour éviter de gaspiller et de réutiliser le pain rassi, ils ont décidé d’en faire un ragoût avec des pois-chiches qui était en abondance ». Au fur et à mesure, la harissa et le cumin y ont pris part ce qui a donné le labeli d’aujourd’hui auquel on peut rajouter du thon et un œuf.

Lablebi

Un faible rayonnement à l’international

Malgré un patrimoine culinaire riche, la Tunisie a encore du mal à se faire une place sur la scène internationale. Pour le chef Belaïd, il s’agit essentiellement d’un manque de volonté politique. « La Tunisie compte plus de cinquante ans de restauration, une dizaine de formateurs et une centaine d’étudiants diplômés chaque année, pour autant nous n’avons aucun livre dédié à la cuisine tunisienne ». Le chef fait référence à un livre de recette qui serait élaboré par l’Etat tunisien avec le concours des étudiants.

Par ailleurs, Wafik Belaïd fait également le lien avec une histoire migratoire différente de celle du Maroc par exemple. « Les migrants tunisiens partaient pour la main d’œuvre ouvrière, tandis que les marocains allaient travailler chez les particuliers et ont donc introduit leur cuisine dans les maisons », nous dit-il.

Depuis de nombreuses années, M. Belaïd milite pour la mise en place d’une journée de la cuisine traditionnelle qui serait célébrée le même jour que celle de l’habit traditionnel. Un appel qui reste encore aujourd’hui vain.

Wissal Ayadi