Tunisie : Les étudiants de plus en plus nombreux à abandonner leur parcours universitaire, à cause des difficultés financières

20-02-2023

La crise économique et sociale n’épargne personne. Les étudiants sont aussi touchés à travers les difficultés que rencontrent leurs familles.

La baisse du pouvoir d’achat et l’inflation galopante, ne permet plus, même à la classe moyenne, de subvenir aux besoins de leurs enfants afin de leur assurer de bonnes conditions pour leur parcours scolaire.

Foyer, location d’appartement ou d’une chambre, transport, argent de poche… autant de dépenses qui pèsent lourd sur le portefeuille des familles et menant à un décrochage scolaire de plus en plus important.

« J’ai abandonné car mes parents ne pouvaient plus suivre »

Ce que nous appellerons Y. est un jeune homme originaire de Sousse, et désormais à la tête de sa propre entreprise, et ce malgré l’absence d’un diplôme universitaire. Pourtant, des études il a voulu en poursuivre, mais les aléas de la vie en ont décidé autrement.

En effet, avec son bac en poche en 2016, Y. décide d’intégrer une licence en informatique. « Pour moi, c’était un secteur porteur. De plus, j’étais déjà très avancé en la matière puisque j’ai pu obtenir un certain nombre de certifications à travers des tests sur internet », nous raconte-t-il.

Issu d’une famille modeste, ses parents étant ouvriers, l’entrée de leur fils à l’université a été vécu comme un chamboulement du point de vue financier, malgré le fait que l’établissement soit situé à Hammam-Sousse. Mais il est connu que la vie d’étudiant coûte cher. Transport, nourriture, livres…

« J’ai redoublé ma première année car je me suis rendu compte que ça n’était pas les études que j’avais envie de suivre. Après cela mes parents m’ont annoncé qu’ils ne pouvaient pas financé une année de plus et m’ont convaincu d’abandonner », relate-t-il.

Ainsi, Y. a décidé de travailler pour aider ses parents en difficulté. « J’ai travaillé dans le bâtiment, dans un centre d’appel, j’ai cumulé d’autres petits boulots pour avoir mon argent de poche et aider mes parents ».

Après trois ans de labeur, et un peu d’argent de côté, Y. a voulu suivre de nouveau des cours à l’université… mais malheureusement l’administration lui a signifié que ça n’était plus possible. Il a donc ouvert sa propre entreprise, mais regrette encore aujourd’hui de ne pas avoir pu poursuivre son cursus.

Les parents ne peuvent plus financer et ne croient plus aux diplômes

Y. n’est pas un cas isolé. Malgré l’absence d’études sur le sujet du décrochage universitaire, c’est une réalité que nous confirme Houssem Boujarra, Secrétaire général de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET).

Selon lui, les moyens financiers sont la première raison de l’abandon scolaire des étudiants. Il donne quelques statistiques aux vues de son expérience. « Pendant mon premier cycle je peux témoigner d’une vingtaine d’étudiants qui ont abandonné la faculté pour aller travailler afin de subvenir aux besoins de leur familles », nous dit-il.

Houssem Boujarra explique dans un premier temps qu’il y a ceux qui redoublent leur première année d’université et dont les parents leur disent d’arrêter, comme le cas de Y.  « A partir du moment où ce dernier n’a pas réussi sa première année, ils ne veulent pas prendre le risque de financer pour un autre éventuel échec, considérant qu’il n’est pas fait pour les études ».

Par ailleurs, Boujarra souligne aussi qu’il y a des étudiants qui abandonnent car ils ne veulent pas que leurs parents se privent. « Je connais des familles qui se privaient de manger pour pouvoir offrir des études à leur enfant. Ces étudiants préfèrent aller travailler dans un centre d’appel ou dans le bâtiment pour gagner entre 400 et 800DT pour se garantir un peu d’argent de poche et aider leur famille, tirant un trait sur leur avenir. Certains vont même abandonner la faculté, pour aider leurs frères et sœurs pour qu’ils aillent à la fac », déplore-t-il.

Beaucoup d’étudiants qui ont des facilités avec les langues vont de leur côté aller travailler dans un centre d’appel ou les salaires peuvent atteindre 1200DT voire 1500DT selon les centres… Mais tout le monde le sait, les centres d’appel restent des métiers très précaires puisqu’un centre peut fermer ses portes du jour au lendemain et un salarié peut être viré sans aucune indemnité.

Il existe également les étudiants en master de recherche. Ils sont très nombreux chaque année à abandonner leur parcours scolaire par manque de moyens financiers. « C’est l’étape qui demande le plus d’argent et de détermination. Mais quand on se réveille le matin et que l’on se dit que l’on pas de quoi faire des photocopies ou se rendre à la bibliothèque, cela pousse à décrocher ».

A noter que la bourse pour les M2 n’est que de 1 an et demi. « Sur ma promotion de 20 étudiants, seul deux continuent aujourd’hui leur recherches, les autres sont allés travailler », note Boujarra.

Si dans le temps, les parents croyaient encore à l’accès aux études supérieures comme étant un ascenseur social, aujourd’hui ça n’est plus le cas. « Ils voient des doctorants qui font des sit-in devant le ministère car il n’ont pas de travail. Ils voient aussi qu’aujourd’hui les profils des migrants illégaux a changé. Ce sont des familles, des gens qui travaillent, des jeunes diplômés », explique Houssem Boujarra.

« Si leur enfant n’a pas eu la bourse ou une place dans un foyer, les parents leur disent de ne pas aller à la fac. Ils trouvent n’importe quelle excuse pour éviter que leur enfant ne fasse des étude à cause des faibles moyens financiers », ajoute-t-il.

Combien coûtent des études universitaires? 

En moyenne un étudiant devra débourser au minimum 8DT par jour. Voici le détail selon les cas:

– Prix annuel d’un foyer public: 100 dinars

– Cigarettes (facultatif): 3DT,

– Café à la buvette de la fac: 1,2DT,

Déjeuner au restaurant universitaire: 200 millimes

Diner au restaurant universitaire: 200 millimes

– Transport pour aller à la Fac (si la fac est à côté): 2DT

– Baguette, biscuits, bouteille d’eau: 2DT

Sans compter une recharge de téléphone, une connexion internet…

« En considérant qu’il ne rentre chez lui uniquement une fois par mois: cela fait déjà presque 300DT par mois) », précise le SG de l’UGET.

Pour ceux qui louent un foyer privé: 450DT par mois, en considérant qu’il loue pour 150DT par mois.

Pour ceux qui louent un appartement: 500DT en considérant qu’il loue une chambre ou un appartement modeste à 200DT.

A noter qu’en Tunisie le SMIG est est de 500DT et le salaire moyen est de 800DT…

Wissal Ayadi