Face aux crimes commis à Gaza, la Tunisie, l’Algérie et autres pays africains et arabes devraient se retirer de la CPI (Adnan Limam)

09-11-2023

Les conventions de Genève, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ou encore le Traité de Rome sont des textes juridiques régissants le droit international.

Pourtant, il semble que ces textes soient vidés de leur substance, au vu des horreurs perpétrées par Israël à l’encontre de la population de la Bande de Gaza. Ce dispositif juridique international n’est-il pas totalement décrédibilisé et caduc ? 

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes adressés à Adnan Limam, professeur universitaire en relations internationales.

Quelles conventions ? 

Pour mieux comprendre les enjeux humanitaires de la guerre, il est important d’établir un rappel factuel du droit international applicable au conflit actuel, qui a fait état jusqu’à présent de plus de 10.000 morts côté palestinien. 

Dans un premier temps, Adnan Limam évoque les conventions de Genève datant de 1949, ainsi que les protocoles additionnels qui concernent notamment les mouvements de résistance. Il explique que ceux-ci ont pour principal objectif de protéger les populations civiles des rigueurs de la guerre. 

« Ces conventions constituent l’ossature du droit international humanitaire qu’il ne faut pas confondre avec les Droits de l’Homme. L’autre appellation du droit international humanitaire est ni plus ni moins le droit de la guerre. Il ne faut pas se laisser leurrer par le terme humanitaire », affirme-t-il. 

Le propos essentiel des conventions de Genève est donc d’atténuer les rigueurs des hostilités et de protéger les populations civiles de la guerre, en plus de l’interdiction des armes ayant vocation à provoquer des morts superflus. Ces conventions sont en vigueur et lient les Etats qui les ont ratifiées. « C’est la première source écrite ayant cours en droit international », rappelle le professeur. 

Limam cite par ailleurs, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il s’agit d’un traité de droit international approuvé à l’unanimité le 9 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies. Elle est entrée en vigueur le 12 janvier 1951. « Cette convention concerne la préventions et la répression du crime de génocide. Elle a d’ailleurs vocation à régir la situation en cours à Gaza puisque ce conflit comporte des aspects génocidaires », nous dit-il.

Enfin, le professeur en relations internationales relève également l’existence du Traité de Rome instituant notamment la Cour pénale internationale (CPI) qui a été élaboré en 1998 et entré en vigueur en 2002. « La CPI à la compétence de reconnaitre des crimes contre l’humanité, de guerre, de génocide et peut statuer dans le cas où un fait générateur de sa compétence survient », précise-t-il.

Tout cela s’ajoute bien évidemment au droit international coutumier. 

Une justice à deux vitesses

Selon le professeur Limam, la situation en Palestine a toujours été un miroir de la justice à deux vitesses. « Les occidentaux, considérés comme pro-israéliens, considèrent le droit international comme étant un instrument applicable aux autres Etats (non occidentaux) mais pas à eux. Ils cherchent à lier les autres États par le droit international tout en se considérant comme étant au-dessus de ce droit et que ce droit n’a vocation qu’à s’appliquer à ces États non occidentaux », déplore-t-il.

Une situation qui pu être constatée lors de l’éclatement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, lorsqu’une plainte a été déposée contre certains dirigeants russes les accusant d’avoir commis des crimes de guerre et contre l’humanité. Quelques jours après le dépôt de cette plainte, une enquête a été ouverte et des mandats d’arrêt ont été émis, notamment contre Vladimir Poutine lui-même, qui est aujourd’hui sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la CPI.

Ici, dans le cas du conflit israélo-palestinien, les crimes commis à l’encontre de la population civile de la Bande de Gaza sont visibles au monde entier, mais surtout reconnus et revendiqués par Israël. « L’entité sioniste à annoncé à la face du monde qu’elle allait couper l’eau et l’électricité sur la Bande de Gaza, qu’elle voulait déplacer les populations vers le Sinaï, qu’elle voulait bombarder des hôpitaux et des ambulances, sans compter les 10.000 morts dont la majorité sont des femmes et des enfants et donc des civils. Pourtant jusqu’à aujourd’hui la CPI n’a même pas diligenté une enquête pour établir ces crimes et personne n’y a trouvé rien à redire ». 

Ceci remet en cause la crédibilité du droit international, des conventions qui le régissent de l’existence même de la Cour pénale internationale. 

Sur cette question, Adnan Limam indique que l’occident a le plus lourd passif de l’histoire de l’humanité en matière de crimes, rappelant à titre d’exemple le génocide des amérindiens et l’esclavage forcé commis par les Etats-Unis. 

L’immobilisme de la CPI

Adnan Limam indique qu’il y a une question juridique qui se pose quant à la saisie de la Cour pénale internationale sur la situation en Palestine. En effet, si Israël figure parmi les signataires du traité de Rome instituant la CPI, elle ne l’a, pour autant, jamais ratifié. Concernant la Palestine, la CPI rappelle que l’Autorité palestinienne est le dernier signataire du Statut de Rome à avoir ratifié le traité en 2015.

« Là nous sommes dans le cas de crimes qui sont commis par un Etat qui ne reconnaît pas la CPI, sur le territoire d’un autre Etat qui la reconnaît. La CPI a dans ce sens rendu une décision, il y a quelques années, qui reconnaît sa compétence en ce qui concerne les crimes qui sont commis sur le territoire Palestinien et donc en Cisjordanie occupée et à Gaza. Le problème de la compétence de la CPI a donc été résolu, elle est bien compétente », affirme-t-il.

Selon Limam, il y a trois types de crimes qui sont en train d’être commis à Gaza. D’abord des crimes de guerre commis en violation des conventions de Genève, des crimes contre l’humanité et enfin des crimes de génocide. Ainsi, la Cour pénale internationale se pose comme étant  compétente par rapport aux types de crimes commis.

Ainsi, pourquoi la CPI n’intervient-elle pas? A cette question le professeur nous explique dans un premier temps que la CPI peut être saisie par l’Etat sur le territoire duquel le crime a été commis, en l’occurrence par l’Autorité palestinienne. 

A cet égard, l’Etat palestinien a déposé un dossier devant la CPI pour obtenir l’ouverture d’une enquête afin de faire la lumière sur la frappe meurtrière sur un hôpital de Gaza, en octobre dernier, dont Israéliens et Palestiniens s’accusent mutuellement. D’autres ont appelé également à saisir la CPI, comme l’Etat algérien ou encore plusieurs ONG internationales. 

« Même si l’Autorité palestinienne n’avait pas saisi la CPI, le procureur de cette cour peut s’autosaisir en ouvrant une instruction et diligenter une enquête qui vise à établir les faits. Dans ce cas de figure il est facile d’établir les faits ». 

Pourtant l’immobilisme de la CPI reste flagrant puisque la justice internationale est critiquée pour sa lenteur dans le conflit au Proche-Orient, alors qu’elle s’est montrée efficace en Ukraine. « Lors de son déplacement au poste frontière de Rafah il y a quelques jours, Karim Khan, le procureur de la CPI n’a pas mentionné les crimes contre l’humanité et de génocide. Il s’est contenté d’une déclaration fumeuse et brumeuse qui vise à manipuler l’opinion publique mondiale ». 

En effet,  le procureur de la Cour pénale internationale avait alors rappelé à Israël son « obligation » de se « conformer au droit des conflits armés ». Karim Khan, avait dit enquêter sur les faits en cours depuis le 7 octobre, et avait assuré qu’ « empêcher l’accès de l’aide humanitaire peut constituer un crime », et que « les écoles, les hôpitaux et les mosquées » sont des sites protégés.

Devant l’inaction de cette cour, et cette justice à deux vitesses, Adnan Limam pose la question du retrait des Etats reconnaissant les crimes commis à Gaza de la cour pénale internationale, comme l’ont fait certains pays dans le passé. « La Tunisie, l’Algérie et les autres pays africains et arabes devraient se retirer de la CPI afin qu’elle ne soit plus un faire-valoir qui donne l’illusion de l’existence d’une justice internationale. Gaza devrait être le tombeau de la CPI », conclut-il. 

Wissal Ayadi