Essijoumi: Un quartier en mutation urbaine entre préservation du lac et défis environnementaux

21-09-2023

La région d’Essijoumi est un des quartier de Tunis qui pourrait faire l’objet d’une transformation urbaine majeure s’articulant autour de deux principaux volets : la préservation du lac et de sa biodiversité, ainsi que l’aménagement urbain.

Lors d’une réunion organisée récemment au ministère de l’Equipement, l’accent a été mis sur la poursuite des études complémentaires, au sujet du développement urbain de la région d’Essijoumi, selon une approche basée sur le développement durable, en recherchant les moyens permettant la réalisation de ce projet, dans le cadre d’un partenariat public/ privé (PPP).

Ce projet de développement urbain ambitieux a pour objectif de créer un équilibre harmonieux entre le développement humain et la conservation de l’environnement naturel. Mais force est de constater qu’il fait actuellement face à des défis cruciaux dans sa mise en œuvre.

La biodiversité de la lagune menacée par l’urbanisation

Sabkhat Essijoumi, zone humide internationalement importante à Tunis, fait face à diverses menaces. Depuis plusieurs années, l’Association des amis des oiseaux et le WWF ont mis en avant  plusieurs préoccupations.

La superficie de Sabkhat Essijoumi, qui se classe au quatrième rang des sites les plus importants pour les oiseaux d’eau hivernants en Afrique du Nord, a réduit de 3500 hectares à 2600 hectares en raison des constructions anarchique et de la création de la route périphérique menant à la sortie sud de Tunis.

La zone est également confrontée à des problèmes tels que l’extension urbaine et les 49 points de déversement d’eaux usées non régulés. La zone agricole est donc menacée de disparition, ce qui préoccupe les agriculteurs locaux.

Oiseaux migrateurs Sabkhet Essijoumi

La municipalité d’Essijoumi a modifié son plan d’aménagement en 2020, changeant la vocation agricole des terres avoisinantes. Cette modification risque de faciliter l’accès au lac et d’entraîner des atteintes supplémentaires. En effet, ces terres agricoles sont cruciales pour la nourriture et l’abri des oiseaux. Elles font partie intégrante du patrimoine local et sont liées à un circuit agrotouristique en développement.

Sabkhat Essijoumi est un site Ramsar depuis 2007, avec une importance particulière pour la diversité biologique de la région. Cependant, le nombre d’oiseaux d’eau hivernant a diminué récemment, mettant en danger des espèces rares.

Une urbanisation informelle importante

Si le lac représente un volet important au réaménagement de cette zone, l’urbanisation ne l’est pas moins. Pour rappel, la plan d’eau est entouré de zones d’habitation ou des milliers de Tunisiens vivent. Pour comprendre les enjeux urbanistique de cette zone, nous avons fait appelle au professeur et éminent urbaniste Yassine Turki.

Dans un premier temps il explique qu’il existe deux modèle d’urbanisation en Tunisie. Il y a ce qu’on appelle le modèle qualifié, qui est généralement mis en place par l’Etat à travers des politiques d’aménagements du territoireà l’image de Menzah, le Lac, Ennasr, Jardins de Carthage, etc.

« Des habitations qui sont généralement réservés aux classes moyennes à aisées qui ont la capacité d’accéder à la propriété », nous dit-il.

Pour les autres, dont les moyens sont limités, ils se dirigent vers le processus dit informel. « Ceux-là peuvent devenir propriétaires de terrains de 100m2, voire 80m2, dans des quartiers qui ne sont pas concernés par des projets d’habitats dits qualifiés. Ces gens vont commencer à construire des petites maisons sur plusieurs années, en faisant crédit à la quincaillerie ou chez les vendeurs de matériaux de construction, faute de pouvoir accéder à un crédit bancaire », précise Yassine Turki.

Il s’agit donc d’un processus qui ne peut être absorbé par le secteur formel. Toujours selon Turki,  l’Etat, de son côté,  a toléré ce genre de pratiques afin d’éviter une crise du logement, n’intervenant qu’à postériori à travers les programmes de réhabilitation, dont la mission est assuré notamment par l’ARRU, l’Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine.

Sidi Hassine

Sidi Hassine-Essijoumi est une des plus vielles communes de Tunis. Jadis, il s’agissait d’un quartier très prisé en raison de sa proximité avec le port de Tunis. Aujourd’hui, il dispose bel et bien d’un plan d’aménagement, mais il est impossible pour les autorités d’imposer ses règles en termes d’urbanisme en raison de la prédominance des constructions informelle. « Il faut savoir qu’en Tunisie en général les plan d’aménagement sont très peu effectifs », révèle Yassine Turki.

Ce dernier souligne également que dans certaines zones comme celles de Essijoumi, le taux d’urbanisation informel peut atteindre les 50%. S’il y a encore 20 ans, l’informel se résumait à quelques petites maisons de mauvaise qualité, aujourd’hui de nombreux Tunisiens n’hésitent pas à construire des villas ou même des lotissements entiers sans respecter less règle urbanistiques, profitant du manque de contrôle des autorités.

Aménager pour redorer l’image d’Essijoumi…

Sidi Hassine, Essijoumi et tous les alentours de la lagune, peuvent en réalité devenir de vraies pôles d’attractivité, encore faut-il développer une vision et une stratégie.

A cet égard, Yassine Turki, rappelle  que cette zone reste très proche du centre de la capitale, qu’elle dispose du plan d’eau de Sabkhet Essijoumi et des berges inexploitées. Au niveau des interconnexion, elle juxtapose la nouvelle route qui la relie au sud de Tunis, ainsi que les nouveaux pont construits qui amènent à la route de Béja et aussi le métro. Ainsi, tous ces éléments peuvent être exploités pour améliorer les choses.

« A cause du délaissement de ce quartier, on ne peut plus aujourd’hui imaginer de méga-projets, car l’Etat n’a pas les moyens de racheter les terrains. Il faut donc saisir les opportunités existantes », nous dit-il.

Dans ce sens, l’urbaniste évoque par exemple l’aménagement d’un parc au niveau des berges (sur les parties qui sont exploitables), profiter des terrains encore disponible pour limiter l’habitat et augmenter la présences d’équipements ou de zones d’activité.

En effet, le développement de ce quartier pourrait également favoriser la mixité sociale afin de revaloriser son image. « La première génération de quartiers informels comme Cité Ettadhamen, Le Kram, Jbel Lahmar, ont connu des processus de transformation qui leur ont permis de redorer, même un peu, leur étiquette de quartier dits populaires, voire pauvres, alors pourquoi pas Sidi Hassine-Essijoumi? En somme il s’agit d’une contamination positive », conclu l’urbaniste. 

Wissal Ayadi