La fatigue pandémique explique le passage des Tunisiens d’un extrême à un autre (Sociologue)

08-02-2021

La fatigue pandémique a touché quasiment toutes les populations du monde, vu la persistance de la crise sanitaire qui dure depuis presque un an. Plusieurs d’entre nous  se sentent épuisés par l’urgence sanitaire et les restrictions qui en découlent. Le fait de résister face aux pressions qu’on subit au quotidien, n’est plus une chose facile…

Cet épuisement a poussé plusieurs Tunisiens à lâcher-prise, voire même à refuser dans certains cas, d’appliquer les mesures mises en place pour freiner la propagation du virus…Les citoyens semblent lassés de cette ambiance anxiogène, et découragés par la poussée pandémique enregistrée malgré leurs efforts continus…

Afin de mieux cerner le phénomène de la fatigue pandémique, le sociologue Sami Nasr nous explique les causes qui se cachent derrière cet effondrement psychologique  notamment des Tunisiens.

De la phobie du virus à la nonchalance

Selon Pr. Sami Nasr, le fait de se sentir épuisé par l’urgence sanitaire et les restrictions qui en découlent, provient tout d’abord d’une défaillance au niveau des moyens de communication, utilisés par le comité scientifique de lutte contre le Coronavirus, le ministère de la Santé, les professionnels de la santé, le gouvernement et les médias, et tous les concernés à ce sujet…

« Avant de mettre en place les mesures restrictives, il fallait étudier les spécificités du peuple Tunisien, afin de cerner ses éventuelles réactions face à de telles consignes pas faciles à appliquer Â», nous indique le sociologue.

« A travers l’histoire de l’évolution de la société Tunisienne, les sociologues ont pu identifier que les Tunisiens ont a priori des comportements excessifs. Ils peuvent à tout moment basculer, d’un état extrême à un autre. Durant cette crise sanitaire, ils sont passés de la phobie du virus, observée durant la première vague, à la nonchalance lors de cette poussée épidémique.»

Ce changement n’est pas le fruit du hasard. Les messages contradictoires des professionnels de la santé dans les médias, ainsi que le discours du comité scientifique, et l’absence de fermeté des autorités en ce qui concerne l’application des mesures, ont largement décrédibilisé leurs décisions.

Des techniques de communication défaillantes

« Ces derniers doivent unifier leurs discours tout d’abord pour pouvoir convaincre. Celui qui s’adressera aux auditeurs ou aux  téléspectateurs pour annoncer des mesures, doit opter pour la règle d’or en communication, la plus basique, celle des 5 questions les (5W) ; quoi, qui, ou, quand, pourquoi. Sans cela, le message manquera d’informations, et sera ambigu », souligne le professeur.

Selon Pr. Sami Nasr, le fait de demander aux cafetiers de fermer, en ouvrant en contrepartie les restaurants et les bars, n’a rien de convainquant, sachant que les cafés représentent un moyen efficace pour passer un message.

La plupart des Tunisiens s’y rendent pour échanger en matière d’actualités. Il faudra peut-être faire de ces endroits un tremplin pour conscientiser sur la distanciation sociale, sur l’importance de s’adapter au virus, et de porter le masque en étant accompagnés, recommande-t-il.

« Au lieu de cela, le comité a fermé les espaces de loisir, incitant ainsi l’ouverture secrète des cafés, ou la création de groupements de « Hitistes » dans les quartiers, et ceux qui s’adossent contre les murs sans rien faire, à part propager le virus… », déplore le sociologue.

La rébellion comme une réponse au cumul des crises

En se penchant sur les dernières manifestations nocturnes dans les quartiers populaires, tenues durant le confinement général décrété il y a quelques semaines, le sociologue Sami Nasr a ajouté que la fatigue pandémique s’était manifestée aussi par une sorte d’indignation contre le cumul de crises, qui existaient bien avant l’apparition de la pandémie.

« Pour les couches sociales défavorisées, la crise du Covid-19 est microscopique devant l’érosion du pouvoir d’achat qui s’est accentuée ces dernières années. S’y ajoute la déception envers la classe politique, les partis et le gouvernement. Ils estiment que l’Etat les stigmatise, en optant pour des mesures restrictives, les fragilisant ainsi économiquement, encore plus. La fatigue pandémique apparait suite à un large éventail d’émotions négatives…La violence exprime désormais leur refus des décisions…Il ne s’agit pas seulement d’un manque de conscience par rapport à la gravité de la situation sanitaire, mais aussi d’une révolte contre un manque de considération, jugé aberrant par ces jeunes issus des quartiers défavorisés… ».

Emna Bhira