Flux Financiers Illicites, une véritable hémorragie pour l’Afrique

26-12-2019

Quand l’Afrique réussit à faire entrer 1 milliard de dollars d’investissement étranger, le continent en perd en réalité 2 milliards. C’est le constat fait par des experts qui se sont penchés sur la question des flux financiers illicites en Afrique. 

L’Observatoire Tunisien de l’Economie en partenariat avec le Réseau africain pour la justice fiscale ont organisé une conférence panafricaine sur cette question, ce jeudi à Tunis. 

Afin de bien comprendre le phénomène des flux financiers illicites, il est important d’en savoir la définition exacte. Ainsi, ce qu’on appelle les FFI, correspondent à tous les fonds obtenus, transférés ou utilisés de façon illicite au-delà des frontières d’un pays. C’est l’illégalité qui est la principale caractéristique, s’agissant de la façon dont les fonds ont été acquis, transférés et utilisés.

D’après les experts, il y a plusieurs manières d’avoir recours à des financement illicites. Dans la plupart des cas, les FFI sont découverts dans des cas de corruption commis bien souvent par des fonctionnaires travaillant pour l’Etat en question (5%), dans des activités criminelles telles que le trafic de drogue, la traite humaine ou encore le commerce des armes (30%), le reste émanant de transactions commerciales comme l’évasion fiscale.

Par ailleurs, les experts ont expliqué que les flux financiers illicites sont générés par la volonté de dissimuler des bien illicites.

Une volonté qui est provoquée par une mauvaise gouvernance de la part des Etats africains. Même s’il existe dans la plupart des pays des organismes de réglementation censés contrôler ces flux, le manque de moyens financiers, humains et techniques ne leur permettent pas de travailler suffisamment à la détection des FFI.

Il a été également noté que les incitations financières délivrées par les Etats sont l’un des plus grands facteurs de ce fléau qui ronge le continent. La non-évaluation de leur impact sur les recettes nationales ne peuvent conduire que vers une fuite en avant.

Incitations financières: donner pour ne rien gagner
A cet égard, les économistes qui se sont penchés sur cette problématique ont affirmé que le montant moyen de FFI perdu annuellement par l’Afrique se chiffre entre 50 et 148 milliards de dollars. Une hémorragie à laquelle les Etats ont leur part de responsabilité. En effet, cette perte de revenus est due essentiellement due aux nombreuses incitations financières octroyées par les gouvernements en vue d’attirer les multinationales.

Les pays d’Afrique les plus touché par les flux financiers illicites sont le Nigéria et l’Afrique du Sud, qui sont en somme le plus gros pourvoyeurs d’avantages fiscaux en faveur des multinationales. Les secteurs qui sont essentiellement visés par les FFI sont le pétrole et les industries minières, les fruits et le secteur halieutique. 

Les pays africains continuent de plus en plus à octroyer des incitations financières dans le but d’augmenter les fameux IDE (Investissements Directs Étrangers) pour un meilleur développement économique. Mais le revers de la médaille s’avère risqué. En effet, les incitations fiscales correspondent généralement à une exonération partielle voire même totale des impôts pour ces grandes firmes et donc à une baisse des revenus fiscaux. Ainsi, l’implantation de multinationales en Afrique, certes, créé des emplois mais ne traduit pas forcément une prospérité économique.

Par ailleurs, les experts ont indiqué que ces pertes en termes de fiscalité pourraient être injectées dans des secteurs essentiels au développement d’un pays comme l’éducation, la santé ou les infrastructures. 

Pour mettre l’accent sur l’ampleur et la gravité de ce phénomène, les économistes ont déclaré que 5 pays africains génèrent autant de FFI que 10 pays de l’Union Européenne. 

La pression des multinationales
L’augmentation des flux financiers illicites en Afrique ne peut pas reposer seulement sur les décisions politiques des Etats. En effet, de nombreuses multinationales exercent elles-mêmes des pressions sur les pays quand à leur implantation. Les experts ont admis qu’elles sont nombreuses à imposer aux gouvernement leurs conditions en termes d’incitations financières en échange de leur venue sur le territoire. 

Les experts ont également mis en avant un paradoxe surprenant : l’Afrique exporte en FFI plus que ce qu’elle reçoit en aide internationale !

Les pistes et solutions sont nombreuses. Le réseau africain pour la justice fiscale préconise d’abord une prise de conscience générale et indispensable, aussi bien au niveau des gouvernants africains que de la société civile. Les économistes appellent également à une meilleure gouvernance, une modernisation de l’administration fiscale et un meilleur contrôle des flux financiers illicites. Il ont aussi exhorté les pays africains à réfléchir en fonction des réalités africaines et non pas en faveur des pays développés à travers leurs multinationales. 

Wissal Ayadi