Tunisie : La Fuite des médecins sur une courbe ascendante pour de multiples raisons, pas uniquement pour l’argent !
Le ministère de la Santé s’inquiète de la fuite inexorable des médecins tunisiens vers l’étranger. Ce phénomène a fait l’objet d’une réunion entre le ministère de la Santé et le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), ce mercredi 19 octobre.
Depuis 2015, le nombre de médecins, fuyant la Tunisie pour d’autres pays du monde à doublé. Il est passé de 500 par an à 1000 aujourd’hui. Une hémorragie qui peut devenir grave pour l’avenir du secteur de la santé en Tunisie.
Présent lors de cette réunion et contacté par Gnetnews, le Dr Nizar Ladhari, Secrétaire général du CNOM, nous en dit plus sur la question.
Les médecins ne partent pas seulement pour l’argent !
Environ 1000 médecins quittent la Tunisie chaque année. Il y a 5 ans ce chiffre était de 500 pour poursuivre une courbe ascendante, les années suivantes.
Selon une récente étude, ce n’est pas forcément les salaires qui poussent les médecins à partir. « Au final, proportionnellement au niveau de vie, ils gagnent moins bien leur vie à l’étranger qu’en Tunisie », affirme le Dr Ladhari. Mais pourtant l’exode continue de sévir.
D’après le secrétaire général du CNOM, l’environnement externe joue un rôle essentiel dans leur décision de partir. « Les médecins partent essentiellement pour une meilleure qualité de vie. A l’étranger, il peut mieux éduquer ses enfants et il peut consacrer plus de temps à sa vie personnelle car il a moins d’horaires de travail. En plus, de tous les avantages matériels disponibles dans les pays développés », explique-t-il.
La violence en milieu médical et l’insécurité permanente
 Dr Nizar Ladhari a évoqué également un fort sentiment d’insécurité. En effet, les médecins tunisiens sont de plus en plus confrontés à la violence, notamment dans le milieu hospitalier. Preuve en est, les nombreuses agressions dont ils font l’objet de la part de familles de patients.
Le professionnel explique, également, que les médecins pâtissent d’un manque de protection par la loi. « Ils travaillent dans un état de stress continu. Aujourd’hui, un médecin peut être à tout moment interpellé par la police à cause d’une plainte d’un patient ou de la famille d’un patient.Il y en a qui n’hésitent pas à inventer des histoires de viol, de mauvais traitement, de diffamation pour porter plainte et espérer recevoir une compensation financière », indique-t-il.
Ladhari souligne aussi qu’il existe de plus en plus de cas de chantage à l’encontre des médecins. « Certains patients inventent des actes de harcèlement sexuel, ou autres et font chanter le médecin en question en essayant de lui soutirer de l’argent pour qu’il n’aille pas porter plainte.
Il y également un autre phénomène de plus en plus répandu, celui de certaines femmes qui entrent dans le cabinet du médecin, qui déchirent leurs vêtements et qui menacent le praticien de poter plante à son encontre en échange d’une très forte somme d’argent », poursuit Dr Nizar Ladhari.
L’autre raison concerne le manque de matériel et d’équipements dans les établissements de santé publique. Ajouté à cela, le manque de personnel paramédical dans les structures. « Les médecins sont obligés de fournir des efforts supplémentaire pour assurer le suivi paramédical du patient (prise de sang, température, transport d’un service à un autre), alors que normalement ce sont les infirmiers et aides soignants qui doivent effectuer ce suivi. Ceci est dû au gel des recrutements, et au non-renouvellement des départs à la retraite », ajoute le Secrétaire Général du Conseil national de l’ordre des médecins.
Autre exemple flagrant celui de l’hôpital Charles Nicolle, le plus grand du pays. Il n’y a que quatre anesthésistes pour 1200 patients hospitalisés en permanence. A noter que depuis 2005, la loi impose qu’un médecin anesthésiste soit obligatoirement présent lors des interventions chirurgicales. Une condition impossible à tenir au vu du manque de personnel.
La majorité des départs concerne des médecins expérimentés
Le Docteur Ladhari note également que les départs ne concernent pas seulement le secteur public mais aussi le privé. « De plus en plus de médecins libéraux prennent la décision de s’expatrier en raison du climat socio-économique du pays. Et ce ne sont pas que des jeunes médecins. Il y aussi une forte fuite des médecins expérimentés ».
Il explique à cet égard que les médecins expérimentés sont très demandés à l’étranger et de plus il leur est offert dès leur arrivée des postes à responsabilité. « C’est le cas par exemple de l’ancien ministre de la Santé, Mohamed Salah Ben Ammar, qui après avoir dirigé le ministère sous le gouvernement de Mehdi Jomâa, a été sollicité par le célèbre hôpital « 15-20 » à Paris en tant que chef de service », ajoute Ladhari.
Harcèlement fiscal
Un autre aspect conduit de plus en plus de docteurs a quitter la Tunisie. Il s’agit de la pression fiscale et du manque d’encouragement de la part de l’Etat pour l’implantation des cabinets privés.
« Les médecins qui souhaitent ouvrir un cabinet privé se retrouvent confrontés à des charges fiscales importantes dès leur installation. Dès la première année, ils doivent payer des millions de dinars de charges CNSS, en plus du loyer du cabinet, de la prise en charge d’une secrétaire, de l’achat du matériel médical, d’où son besoin pour un crédit… S’il veut pouvoir s’en sortir, le médecin libéral doit dès le départ avoir une patientèle. Sans cela il ne peut pas s’en sortir financièrement ».
A cet égard, le secrétaire général du CNOM a indiqué qu’il avait sollicité le ministère de la Santé afin de mettre en place un régime spécifique d’exonération d’impôts les première années d’exercice afin d’encourager les jeunes médecins à rester en Tunisie et à ouvrir des cabinet privés.
« Pour les médecins qui sont déjà bien implantés et qui travaillent bien, ils sont victimes d’une injustice fiscale. « Certains médecins déclarent tous leurs revenus mais sont tout de même victimes de redressements fiscaux importants alors que leur déclaration a été validée au préalable. « Nous avons de plus en plus de plaintes au CNOM dans ce sens ». Ils sont accusés de ne pas déclarer tous leur revenus », affirme Nizar Ladhari.
Ces médecins, qui gagnent très bien leur vie en Tunisie, sont de plus en plus tentés de partir à l’étranger à cause de ce qu’ils considèrent comme étant une injustice.
« Il s’agissait d’une réunion préliminaire. Lors de la prochaine étape, nous allons inclure d’autres partenaires afin de travailler avec le ministère de la Santé pour trouver des solutions qui sont faisables pour garder nos médecins en Tunisie. Comme aider les jeunes médecins à ouvrir leur cabinet, favoriser la coopération avec l’étranger pour des stages à durée limitée et garantir leur retour en Tunisie ou encore améliorer le cadre légal pour garantir la protection des médecins en cas de plainte », conclut le SG du CNOM.
Gnetnews