Tunisie/ Céréales : Dépendance plutôt que suffisance, la guerre d’Ukraine fera exploser la facture !

11-03-2022

Hausse des prix de l’énergie et de certaines matières premières, ralentissement de la croissance économique et turbulences sur les marchés financiers mondiaux. Le conflit russo-ukrainien perturbe sensiblement l’économie mondiale.

Et la Tunisie n’est pas en reste quant à ces conséquences. En effet, le pays pourrait être confronté à des problèmes au niveau de l’approvisionnement en céréales. Et pour cause, la Tunisie importe 80% de ses besoins en blé tendre, nécessaire à la fabrication du pain.

La Tunisie est très dépendante des importations. Il faut savoir qu’elle produit moins de la moitié de ses besoins nationaux. Or avec l’envol des cours mondiaux, la question de la capacité de la Tunisie à continuer d’importer semble compromise. En effet, sur Euronext, la principale place boursière de la zone euro, le blé a atteint un pic inédit la dernière période. Dès le lendemain de l’annonce de l’invasion Russe de l’Ukraine la tonne de blé à culminé à 344 euros.

« Les prix avaient déjà augmenté avant le conflit. Si la récolte de cette année est perturbée en Ukraine, les prix vont flamber », déplore Bechir Mestiri, président de CONECT-AGri (syndicat patronal). « Nous nous approvisionnons essentiellement dans la région de la Mer Noire, en céréales et surtout en blé tendre qui sert à confectionner le pain. Nous sommes un pays à tradition de blé dur », ajoute-t-il.

D’après Mestiri, la Tunisie importe principalement depuis l’Ukraine car cela coûte moins cher. « L’Ukraine nous ressemble en termes de développement avec des céréales de qualité similaire. En Europe c’est plus cher », explique-t-il.

Absence d’une politique agricole claire

En 2021, la Tunisie a importé 3,7 millions de tonnes de céréales. Le blé représentait la moitié de ce montant. Plus particulièrement, le blé tendre qui est de plus subventionné en Tunisie pour la fabrication du pain. Ainsi, selon Mestiri, outre l’approvisionnement, le conflit aura des répercussions négatives sur la Caisse de compensation, déjà en difficulté. « L’Etat n’augmentera pas le prix du pain, donc c’est la caisse de compensation qui compensera les effets de la guerre en Ukraine »., nous dit-il.

« Si nous avions une politique agricole claire, nous n’en serions pas là ! », estime de son côté Imed Ouadhour, Secrétaire générale du Syndicat des agriculteurs de Tunisie de la région de Bizerte (SYNAGRI) et céréalier. « La question qu’il faut d’abord se poser, c’est pourquoi en sommes-nous arriver à ce degré de dépendance vis à vis de l’importation de céréales. L’Etat ne s’est jamais impliqué dans la question de la sécurité alimentaire de la Tunisie ».

Selon lui, l’Etat oblige les agriculteurs à se tourner vers la culture de blé dur. « Le quintal de blé dur  est imposé par l’Office des céréales à l’agriculteur 100DT le quintal et le blé tendre  à 80DT. Ainsi, nous obligeons les agriculteurs à favoriser la culture de blé dur. Pourtant il s’agit du même processus de production », déplore-t-il.

Selon lui, si la guerre en Ukraine dure, il y aura un risque dans l’approvisionnement en blé auquel la Tunisie aura du mal à faire face en raison de la baisse de la productivité du secteur agricole tunisien et des impacts du changement climatique sur la production.

Pourtant, à ce sujet, le ministère de l’Agriculture a tenu à rassurer en affirmant que les stocks actuels de céréales couvrent les besoins jusqu’à fin juin 2022 pour le blé tendre, et mai pour le blé dur et l’orge qui sert d’aliment au bétail. Mais quid de l’après juin ?

L’Office des céréales a indiqué à cet égard, que la Tunisie s’était déjà tournée vers d’autres pays fournisseurs à l’instar de l’Argentine, l’Uruguay, la Bulgarie et la Roumanie, principalement, pour le blé tendre et la France pour l’orge… Mais à quel prix ?

En attendant, la Tunisie peine déjà à payer la marchandise arrivant à quai. Pour rappel, en décembre dernier, quatre navires étrangers chargés de blé, d’orge, et de farine importés sont restés en rade plusieurs jours, sans pouvoir accéder au port commercial de Sfax, et décharger leur cargaison, du fait de l’incapacité de l’office des céréales de payer… Un incident qui s’est produit plus d’une fois dans plusieurs ports du pays…

Autre conséquence que pourrait avoir le conflit en Ukraine, l’approvisionnement en fourrage pour l’alimentation animale. « Le prix de l’orge a augmenté de manière importante en Tunisie. Nous l’utilisons pour l’alimentation animale: Ovins, bovins, volaille et même poissons d’élevage », relève Bechir Mestiri.

Des superficies agricoles insuffisamment rentables

La Tunisie pourra-t-elle faire face à cette situation ? Pour Imed Ouadhour, « ce sera difficile ». « Aujourd’hui la demande a augmenté à cause de la hausse de la démographie, alors que les surfaces agricoles diminuent. Par exemple à Bizerte, elles sont passées de 95.000 hectares à 91.000 hectares en seulement quelques années »

Ouadhour déplore également l’insuffisance des rendements. En Tunisie, on produit une moyenne de 14 quintaux par hectares, pendant que nos voisins marocains sont à 25 quintaux. « Cela est dû principalement aux changements climatiques mais aussi aux défaillances de distribution d’engrais améliorant les rendements, à l’image de l’ammonitrate et du DAP.

A ce sujet, Bechir Mestiri, accuse l’immobilisme de l’Etat. « Le DAP et l’ammonitrate n’ont pas été distribués en quantités suffisantes et en temps voulu. Cela est dû à l’arrêt du Groupe Chimique Tunisien, censé en produire. Ainsi, l’Etat a été obligé d’en importer de Russie, là où c’est le moins cher ». Ainsi le conflit dans la Mer Noire pourrait encore plus affaiblir les agriculteurs déjà en difficulté face à une météo peu clémente et des semences peu rentable.

A noter que le prix de ces intrants, comme le phosphates et le DAP ont déjà augmenté de 44% en un an. Les fils de fer qui servent à attacher les bottes de foin ont augmenté de 35% l’année dernière. Enfin, les pesticides augmentent chaque année d’environ 10% à cause de la dépréciation du dinar.

« Le coût de production pour un hectare de blé est passé de 1800 dinars à 2200 dinars en un an », estime Ouadhour.

Déjà, certains manques ont été observés depuis une semaine dans les étals des supermarchés. IL est aujourd’hui de plus en plus difficile de trouver du sucre, de la farine ou encore du riz… Espérons que le pain ne soit pas l’ultime victime collatérale de ce conflit aux risque de voir éclater une émeute sociale, comme l’Histoire en a été témoin dans le passé.

Wissal Ayadi