La Berka désertée : La crise économique et la flambée du prix du gramme à l’origine du marasme (Reportage)

30-04-2021

Des allées vides, des boutiques entrouvertes, ou carrément fermées et des commerçants à bout de souffle… Voilà l’ambiance du souk des bijoutiers de la Berka dans la médina de Tunis.

Pourtant, ce mois de ramadan est la période des « Moussems » et autres cérémonies de fiançailles et donc un moment propice pour offrir un bijou.

En effet, la tradition veut qu’à mi-ramadan et lors de la nuit du destin (26/ 27ème jour), un bijou soit offert aux prétendantes au mariage mais aussi aux femmes mariées pour ce qu’on appelle « El Melh », pour ses efforts en cuisine. Des traditions qui se perdent peu à peu, tant les prix de l’or ont augmenté.

Gnetnews est allé à la rencontre des bijoutiers et clients afin d’en savoir plus.

Dans les petites ruelles de la Berka, où sont implantées les plus anciennes boutiques de bijoux à Tunis, héritées de père en fils depuis des générations, les allées étaient quasi désertées.

 9h du matin, les commerçants ont déjà levé les rideaux, en attendant l’arrivée des clients. Mais, au petit matin comme à l’heure de pointe en après-midi, les clients font le lèche-vitrine, passent devant ces étalages de parures en or, des bagues en diamant, des bracelets aux designs multiples, mais ne s’arrêtent presque jamais pour acheter.

C’est ce que nous a confié un bijoutier que nous avons rencontrés devant la porte de sa boutique.

« Ce mois saint, autrefois était une période festive pour les familles, pendant lequel la belle-mère, son fils et la mariée se rendent à la Berka pour choisir les bijoux du mariage. Maintenant, la donne a changé. La vie est chère pour les jeunes comme pour les plus âgés. D’ailleurs, plusieurs couples optent pour des parures, bagues et autres articles en plaqué or. L’or est devenu un luxe, inaccessible aux Tunisiens moyens aussi », explique-t-il.

La crise économique, la dégradation du pouvoir d’achat, outre la flambée du prix du gramme, compris entre 150 et 180 dinars, selon notre interlocuteur, est à l’origine de ce marasme.

« Il y a 10 ans, le prix du gramme se situait entre 30 et 35 dinars, et la plupart des familles, ne rataient pas une occasion pour se faire plaisir, à la naissance d’un bébé, les anniversaires, les cadeaux de mariage, la fin du Ramadan…Depuis la révolution, et avec la crise du Coronavirus, le secteur est frappé de plein fouet, et nous passons parfois des semaines à ne rien vendre ».

Nous avons aussi rencontré un autre bijoutier, ancien dans le secteur. D’après son expérience qui remonte à des décennies dans le marché de l’or, il a souligné que seul 20% des clients potentiels franchissent le pas, et achètent des petites pièces d’or, en guise d’investissement.

« L’or est une valeur sure, dont l’argent peut être regagné à tout moment, en le vendant. Certains Tunisiens investissent même de petites sommes dans des bracelets ou bagues en or de 9 carats. Quant aux plus aisés, ils arrivent à acheter de l’or de 18 carats, qui se vend à 180 dinars le gramme ».

En revanche, certains optent, en ces temps difficiles, pour la vente de leurs bijoux, pour combler les trous dans leurs budgets. En contrepartie, il existe des acheteurs qui profitent de cette crise pour acheter de l’or à prix cassés.

C’est le cas de Rahma, venue avec sa copine pour acheter un bracelet en or 18 carats en plus d’une bague à 1600 dinars, l’ensemble.

« Il s’agit d’une bonne affaire d’acheter à ce prix. En effet, à cause de la crise, les commerçants ne proposent plus le paiement par facilité. Ils préfèrent gagner de l’argent en espèce, pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles, payer les charges de leurs boutiques ainsi que le personnel…Ils proposent ainsi des offres alléchantes, pour gagner du temps, éviter les paiements par chèque, et l’escroquerie…C’est un accord gagnant-gagnant », conclut-elle.

Reportage réalisé par Emna Bhira et Wissal Ayadi